Dans le Vercors, le dialogue entre forestiers et vététistes se complique

Attention, terrain glissant. Le sujet est « complexe », « sensible », à tel point que certains préfèrent ne pas s’y aventurer, pour ne pas « jeter de l’huile sur le feu ». Sur le plateau du Vercors, un conflit s’enlise entre les pratiquants de sports outdoor et les propriétaires forestiers.

Dans ce territoire très dépendant des sports d’hiver et fragilisé par le manque de neige, on cherche en effet à développer un « nouveau tourisme » quatre saisons, basé sur les activités de plein air comme la randonnée ou le VTT. Cette dernière a toutefois du mal à se faire une place, tiraillée entre les secteurs “autorisés” et ceux “interdits” à la pratique.

« On est entre deux fronts : d’un côté la notion du droit à l’itinérance, de l’autre le respect de la propriété privée », constate Anaël Renault, responsable de l’offre outdoor à la communauté de communes du massif du Vercors (CCMV).

Depuis septembre, il a pour mission spécifique de dénouer cette situation qui se dégrade depuis trop longtemps : « Il y a une vraie urgence à travailler ensemble, à se mettre tous autour d’une table pour trouver des solutions. »

Aujourd’hui, le dialogue est « très difficile » entre vététistes et propriétaires forestiers, qui « n’arrivent pas à s’écouter ou se parler. Ce n’est ni totalement la faute des uns, ni totalement celle des autres. Et entre les deux, personne n’identifie la limite. »

« Un grand manquement dans la méthode »

Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la multiplication des pistes sauvages de VTT depuis le Covid. Le fait d’une poignée de pratiquants qui ont dégradé des parcelles de forêts, privées et publiques, pour créer leur propre terrain de jeu. Ce qui a « enflammé les débats », c’est aussi la publication d’un diagnostic du VTT enduro, commandé par le Parc naturel de Vercors et le Département.

« Cet état des lieux de la pratique a été réalisé sans consulter les exploitants forestiers. C’est un grand manquement dans la méthode. Ils se sont sentis négligés », déplore Anaël Renault. Ce document recense une trentaine de pistes sauvages dans le Vercors. Autant d’itinéraires que les exploitants forestiers refusent de voir s’officialiser (lire ci-après).

« Canaliser les vététistes »

Le problème, c’est que l’offre est insuffisante. « Cette inadéquation par rapport à la pratique croissante du VTT nous conduit à ces problématiques qu’on retrouve aujourd’hui : certains pratiquants vont chercher d’autres itinéraires ailleurs parce qu’ils ne trouvent pas ce qu’ils recherchent dans ce qu’on leur propose. La plupart du temps, ces pistes sont créées sur des traces existantes (passages de véhicules, de chasseurs). Il s’agit d’un travail de pelles et de pioches. C’est intolérable que des gens fassent ça sans se poser la question de savoir à qui appartient la parcelle et sans tenir compte des enjeux. Peut-être que des gens en vivent ? Peut-être qu’il y a des espèces de faune et de flore protégées ? Ces quelques personnes causent des dégâts et nuisent à l’ensemble des pratiquants. »

Anaël Renault a pour mission d’agir en médiateur pour apaiser ces tensions et surtout améliorer le partage des espaces naturels. Il a établi un plan d’actions sur trois ans, « qui nécessitera un engagement de tous les acteurs pour structurer la pratique du VTT », qu’il présentera dans les semaines à venir. « On s’engage à établir des pistes homologuées d’ici 2026 qui répondent à la demande pour canaliser les vététistes sur certains itinéraires et à fermer des pistes sauvages. »

Dans la liste, on trouve aussi la proposition d’une convention signée avec les propriétaires pour transférer la responsabilité sur la collectivité en cas d’accident, une charte du bon vététiste diffusée dans les clubs, des actions de sensibilisation et d’autres, plus radicales, de répression (lire par ailleurs). « On va avoir besoin de l’appui des forestiers pour trouver des itinéraires, et de celui des pratiquants pour les respecter. Sans eux, tout cela n’aura aucun effet. On a tous besoin des uns et des autres pour vivre ensemble et continuer à développer le tourisme dans le Vercors. »

Pour lui, la pratique du vélo est « une chance » qu’il faut pouvoir saisir, sans marcher sur les plates-bandes de chacun.

D’après l’état des lieux réalisé dans le Vercors, 73,4 % des vététistes sondés empruntent des sentiers non-officiels car ils sont plus intéressants et que l’offre existante est inadaptée.  Photo archives Le DL/Jean-Benoît Vigny
D’après l’état des lieux réalisé dans le Vercors, 73,4 % des vététistes sondés empruntent des sentiers non-officiels car ils sont plus intéressants et que l’offre existante est inadaptée. Photo archives Le DL/Jean-Benoît Vigny
Un plan pour sensibiliser

Un plan vélo a été élaboré par la communauté de communes du massif du Vercors (CCMV) pour mener des actions jusqu’en 2026, dans le but de satisfaire les propriétaires forestiers et les vététistes. Le budget est de 220 000 € environ pour :

▶ Établir une étude des pistes à homologuer en tenant compte de l’intégralité des pratiques VTT.

▶ Rédiger une convention pour permettre aux propriétaires de transférer la responsabilité sur la collectivité en cas d’accident sur leurs terres.

▶ Travailler sur une charte signée par les clubs de VTT pour pratiquer ce sport dans une démarche responsable.

▶ Fermer les sentiers sauvages « qui n’ont plus lieu d’exister », les remettre en état et avertir les pratiquants qu’ils ne sont plus accessibles.

▶ Sensibiliser sur le terrain grâce à un “bike patrol” : un agent de la CCMV chargé d’entretenir les sentiers et de créer du lien avec les vététistes autour d’une « bonne pratique ».

▶ Réprimander, avec l’embauche d’un garde rural qui sera chargé de faire respecter les règles et pourra verbaliser les contrevenants en cas d’infraction ou de violation de la propriété privée.

Il faut voir plus loin

Officialiser des pistes : une démarche attendue dans le milieu du VTT, qui espère pouvoir enfin pratiquer ce sport de nature en paix avec une offre adaptée aux besoins.

D’après l’état des lieux commandé par le Parc naturel du Vercors et le Département, 73,4 % des 845 vététistes sondés empruntent des sentiers non-officiels car ils sont plus intéressants (42 %), que les pistes balisées sont inadaptées (21 %) ou bien insuffisantes en nombre (14 %). Des aménagements sont indispensables pour 61,5 % d’entre eux afin de limiter les conflits avec les propriétaires et les usagers mais aussi pour des questions d’entretien et de sécurité des parcours.

« La pratique a beaucoup évolué ces dernières années », explique Anaël Renault, responsable de l’offre outdoor dans le Vercors. « Le vélo électrique a rendu cette discipline plus accessible et a facilité l’accès à certains terrains compliqués. Aujourd’hui, les vététistes recherchent plus de sensations, d’adrénaline, des sentiers plus ludiques que physiques. Ceux-là ne se retrouvent pas dans l’offre proposée sur le territoire. »

David Boudin, président du club Vercors VTT, ne dit pas mieux. « Je me bats auprès des élus pour qu’il y ait une vraie offre VTT dans le Vercors, explique-t-il. On ne met pas suffisamment de moyens pour développer la pratique, on manque d’une vision à long terme. »

Des propriétaires forestiers dénoncent la création de pistes sauvages sur leurs parcelles. Photo Lionel Courtois
Des propriétaires forestiers dénoncent la création de pistes sauvages sur leurs parcelles. Photo Lionel Courtois

Un préjudice pour la discipline

Tout en déplorant des conflits réguliers avec les propriétaires forestiers, à cause d’un petit nombre de pratiquants qui n’auraient « jamais dû créer de traces sur des terrains privés », il réclame « une offre avec des traces officielles dans des forêts publiques ; pouvoir réussir à gérer les différends avec les forestiers. Et s’il s’agit de forêts privées, avoir la possibilité d’établir une convention avec eux. »

« On nous traite de terroristes. Tout ça donne une très mauvaise image de notre sport et, malheureusement, on récolte les fruits du manque d’offre dans le Vercors alors qu’à Vercors VTT, la très grande majorité de nos pratiquants ont moins de 14 ans et n’empruntent même pas ce type de sentiers. »

David Boudin regrette que le dialogue soit rompu, rendant impossible la mise en place de solutions pour l’instant. « Je fais passer le message à mes adhérents de ne pas se rendre sur les traces sauvages mais il y a une autre difficulté : quand on se promène en forêt, il est parfois difficile de savoir quel terrain est privé ou public. »

La CCMV va recevoir chaque acteur indépendamment dans les prochaines semaines pour leur présenter son plan vélo et espère qu’ensuite, des réunions plus apaisées seront possibles pour se mettre d’accord sur les aménagements à réaliser.

Des pratiquants ont fait de lourds dégâts

Lorsqu’ils ont eu vent de l’état des lieux du VTT enduro dans le Vercors, les forestiers sylviculteurs et acteurs de la forêt privée se sont fendus d’une lettre ouverte de cinq pages, dénonçant “le projet d’officialisation des pistes sauvages”.

Lionel Courtois, président du Groupement des sylviculteurs du Vercors 38 (GSV38), n’a pas manqué de la signer, au nom de son association et des 270 adhérents qu’elle représente. Il raconte avoir acheté pour le GSV38 une forêt à Villard-de-Lans à destination pédagogique (apprentissage de la gestion forestière) et expérimentale (introduction d’essences adaptées au changement climatique). « Une des parcelles a été fortement dégradée au printemps dernier par des équipements VTT : de la terre a été retournée, des arbres coupés. On a porté plainte en sachant que la procédure serait longue et difficile, pour un préjudice estimé à 5 000 € environ. »

Ce type de dégradation concernerait d’après lui plusieurs dizaines de parcelles dans le Vercors. « On n’a rien contre eux mais on ne peut pas accueillir des VTT chez nous comme ça, sans aucun cadre. »

Lionel Courtois pointe du doigt des conséquences sur l’environnement à cause des coupes réalisées « qui ne pourront jamais être réparées », mais aussi leur responsabilité en cas d’accident sur leur terrain. « C’est le propriétaire qui est responsable s’il se passe quelque chose. On ne peut pas accepter une telle activité sur nos terrains sans qu’elle soit encadrée et sans tenir compte de notre accord. »

Le président du GSV38 craint de voir le plan vélo de la CCMV être validé sans leur consentement et rappelle : « On comprend que le sport outdoor doit pouvoir se développer, mais ça ne doit pas se faire au détriment des propriétaires forestiers ! »

Article issu du Dauphiné Libéré

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