Deux hommes skient la face nord de l’Épéna et sa pente à 58° pour la première fois

Il y a deux choses réjouissantes en cet hiver terrible sur le plan climatique. Avec les températures élevées, la neige colle dans les hautes faces, propice au ski extrême.

Et les alpinistes deviennent des rigoristes de l’écocitoyenneté, partant réaliser leur exploit, de la maison, à vélo. La face nord de l’Épéna (3421 m), l e guide et géographe Xavier Cailhol , basé à Arêches dans le Beaufortain, en rêvait. Il avait répété la face sud, skiée pour la première fois en 1999, par le maître Pierre Tadivel, et le snowboarder disparu à l’Everest Marco Siffredi. Cette montagne, dans l’ombre de sa voisine, la monumentale Grande Casse, dégage un mystère, à la fois visible depuis le Laisonnay, à Champagny-le-Haut et discrète. Le Savoyard d’adoption en parle comme d’un cairn de calcaire impossible à protéger, d’un mont analogue de la Vanoise. « C’est ma montagne fétiche ».

Un duo de très haut niveau

Sa face nord est l’une des plus secrètes du massif. Jusqu’en 2020, et le passage des alpinistes d’élite du groupe militaire de haute montagne, personne ne l’avait remontée en hiver. « Visible de la vallée, elle m’attirait. J’étais persuadé qu’il y avait un truc à skier ». Pour songer y plonger les spatules, Xavier Cailhol a convié son ancien camarade de l’équipe nationale d’escalade sur glace Symon Welfringer, piolet d’or et prévisionniste à Météo France Grenoble , montagnard le plus protéiforme du moment. Capable de grimper dans le neuvième degré ou d’explorer l’Himalaya il s’est mis sérieusement à la pente raide cet hiver. Bonne idée. On l’a vu sur la Pierra Menta. Sa « touche » à lui c’est le combo : « vélo-alpin ». Pour rallier le totem de Xavier, la cordée est partie jeudi après-midi d’Albertville. 55 km à vélo pour 1600 m de dénivelé direction Champagny et une courte nuit.

« Un vrai chantier »

Dans la nuit, ils s’élancent pour regagner la civilisation douze heures après, l’une des rares répétitions hivernales et la première à skis en poche. L’amorce fut aléatoire en raison des quantités de neige. « Un vrai chantier ». Symon déjoue une longueur délicate, le placage de glace se décollant de la roche. Ambiance dry-tooling, piolets ancrés dans le calcaire. Après 6 heures d’effort les garçons sont au sommet. Il leur en faudra deux de moins pour le retour. « La descente la plus raide et complète que j’ai réalisée » explique le spécialiste, partenaire d’un as du genre, Paul Bonhomme. « Une ligne incroyable qui malgré la complexité reste skiante, on ne tricote pas au milieu des cailloux. »

« Là c’est à la descente que ça se joue »

 Au départ, moins expérimenté, Symon n’en menait pas large. « Pour moi c’est nouveau cette sensation. En alpi, au sommet t’as fait le plus dur. Là c’est à la descente que ça se joue. » Et quelle descente ! La pente ne descend pas à moins de 50° d’inclinaison sur 1000 m. Durant le tiers du milieu, une rampe en son cœur, elle atteint les 58°, jamais inférieure à 55. Mesure effectuée avec l’application « déclinomètre » du téléphone mobile. « Je ne me voyais pas faire un virage dans plus raide. Le plus perturbant, c’est l’absence de ligne de fuite. La pente tombe, il n’y a aucun repère visuel, ce qui accentue l’impression de pente, le vide est devant toi. », réagit Symon.

Car l’itinéraire est entrecoupé de trois barres verticales de 50 mètres qu’ils devront franchir en rappel. Autant dire que la faute de carre n’est pas tolérée. « Si elle n’a pas facilité la montée, la neige était exceptionnelle, avec un bon grip dans cette écharpe dont la largeur permettait d’enchaîner les virages », explique l’avisé Xavier Cailhol qui n’a jamais skié pente aussi soutenue, digne du couloir des Autrichiens en face nord des Courtes. Les amateurs du genre et du Mont-Blanc apprécieront.

Une fois en bas, les garçons enfourchent le vélo pour regagner de nuit Albertville. « Comme un sas de décompression » commente Welfringer. Le météorologue comprend qu’il s’est lancé dans le bain de l’extrême avec esprit d’à-propos. « C’est l’année de la pente raide quand pour l’alpinisme le créneau était mince. »

Article issu du Dauphiné Libéré