Everest : vers la fin du surtourisme sur le toit du monde ?

Un vent de décolonisation souffle au pied du géant de 8848 mètres. Désormais les patronnes sont les agences népalaises à la logistique redoutablement efficace, exportant leur expertise sur les “8000” du Pakistan au Tibet, voire les pics d’autres continents.

On pourrait se réjouir de cette réappropriation, si ce n’est qu’elle s’accompagne d’une accélération du phénomène initiée dans les années 90 par les expéditions occidentales, entre banalisation et marchandisation de la haute altitude.

« Les améliorations techniques et logistiques ont rendu l’Everest accessible à tout un chacun »

On assiste à ce que les puristes qualifient d’avènement du “Huitmillisme”. Sur ces voies normales où le chemin est jalonné de cordes fixes, la poignée autobloquante a remplacé le piolet, la bouteille d’oxygène et le séjour en tente hypoxique l’acclimatation naturelle. Et le selfie l’autonomie.

« Les améliorations techniques et logistiques ont rendu l’Everest accessible à tout un chacun, à condition d’en avoir la volonté et la condition physique. L’épreuve physiologique qu’impose un séjour à 8000 mètres, même sous oxygène, reste en revanche mal appréhendée par cette population souvent inexpérimentée, incapable de résister à l’attraction du sommet », analyse le journaliste alpiniste François Carrel, auteur d’une enquête documentée (Himalaya business, Paulsen).

Et de décrypter ce style d’ascensions à visée commerciale, incarné par le Népalo-Britannique Nimsdai, figure de proue de cette nouvelle génération, qui a montré qu’enchaîner les quatorze sommets de plus de 8000 mètres en six mois est possible. Son record a même été pulvérisé par Kristin Harila, opiniâtre Lapone à dreadlocks, relevant le challenge en 92 jours, aidée par une armada de sherpas et les transferts héliportés entre sommets.

L’industrialisation est portée au paroxysme par l’agence Seven Summit treks, la plus grosse du marché répondant à la demande grandissante des Occidentaux et Asiatiques. En 2024, à l’Everest le record du nombre de permis de l’an dernier ne sera pas battu. Mais celui de près 900 ascensions des années avant Covid peut-être.

Au début du mois de mai, on recensait déjà une petite centaine d’ascensions et deux disparus. Selon les observateurs sur place, le versant sud est très sec, glacé, ce printemps. Il faut deux fois plus de temps pour remonter l’Ice fall, la dangereuse chute glaciaire qui permet d’atteindre le Camp 1. Quelque 414 prétendants étrangers et davantage encore de sherpas sont massés au pied du géant où en comptant les équipes logistiques, un village de tentes de 2000 personnes s’est édifié sur la moraine du glacier du Khumbu, avec sept hélistations. Les royalties pour l’Everest rapportent au gouvernement 5 millions d’euros.

Un permis à 15 000 dollars par personne en 2025

L’an prochain, le permis va certes passer de 11 à 15 000 dollars par personne. Une des mesures prises par le département du tourisme népalais officiellement pour réduire l’affluence. Pas sûr que ce soit dissuasif pour qui est prêt à dépenser de 30 à plusieurs centaines de milliers d’euros afin de s’offrir ce rêve. Ce surtourisme qui alimente la chronique génère un surcroît d’accidents : 17 morts, un record l’an dernier. Certains drames, comme en 2019, sont provoqués par l’attente générée sous le ressaut sommital par la surfréquentation, à une sphère difficilement respirable et par un froid polaire.

La question des déchets

Et bien sûr des déchets. Dans le parc national de Sagarmatha (nom népalais de l’Everest) et sur les treks d’accès, on note du mieux dans la collecte. Mais le traitement pose encore problème. Une expédition d’élèves ingénieurs et architectes grenoblois est dans la vallée pour mettre en place un centre de tri, en partenariat avec Mountain Wilderness. Mais plus haut dans les camps supérieurs, malgré des expéditions de nettoyage de l’armée, de véritables décharges subsistent. Cadavres, bouteilles, lambeaux de tentes, bidons, jonchent le très rocheux col Sud, à 7906 mètres, balayé par des vents glaciaux, dernier pallier avant le sommet, qui embaume les odeurs d’urine.

À l’instigation des autorités locales et du Sagarmatha Pollution control comitee (SPCC), un dépôt de garantie de 4000 dollars est demandé à chaque expédition et restitué à condition de redescendre un certain volume déchets. Nouveauté cette année, les groupes devront redescendre aussi leurs excréments dans des sacs étanches, comme à l’Aconcagua dans les Andes. Au-delà de 5000 mètres, les déjections peinent à se désagréger par températures extrêmes. Au camp 2 (6400 m) les grimpeurs improvisent des latrines en creusant un trou dans la neige, véritable cloaque géant. Le SPCC évalue à trois tonnes la quantité d’excréments laissée sur ce versant.

L'évacuation des déchets au camp de base. Photo Le DL/Antoine Chandellier
L'évacuation des déchets au camp de base. Photo Le DL/Antoine Chandellier

« Qui va contrôler ? »

Pour Ang Norbu, président de l’association des guides népalais (NNMGA), reconnus par les standards internationaux, « pas sûr que ces mesures soient respectées. Qui va contrôler ? » Avec une poignée d’autres professionnels, tel Tendi Sherpa, l’un des 82 guides du pays reconnus à l’international, il appelle à une limitation des permis.

Or en avril, la Cour suprême du pays a ordonné au gouvernement de réguler le nombre d’ascensions pour faire baisser la pression sur la montagne. « Pas pour cette année, mais l’année prochaine » espère Ang Norbu, qui tente désespérément de convaincre son gouvernement de réglementer le métier de guide. « Pour limiter ces expéditions qui emmènent des alpinistes pas assez qualifiés ». Et de déplorer les rotations d’hélicoptères dans la vallée du Khumbu transportant touristes, alpinistes ou matériels.

Photo Le DL/Antoine Chandellier
Photo Le DL/Antoine Chandellier

La Cour suprême, faisant écho à l’agacement des villages locaux, où le transport à dos de yack subit la concurrence des airs, a demandé la régulation des vols. Norbu craint que le lobby touristique soit plus fort, arguant de la sécurité des alpinistes pour justifier l’usage de la machine. « Au moment où je vous parle, à Namche Bazar à mi-chemin entre l’entrée du parc et le camp de base, je suis survolé 50 fois par jour avec douze hélicos prêts à décoller dans le secteur. »

Article issu du Dauphiné Libéré

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