D’où vous vient cette passion pour les glaciers ?
« J’ai eu cette chance d’avoir une enfance bucolique dans un petit village près d’Annecy. Petite, mes parents nous ont beaucoup emmenés mon frère et moi en montagne, et j’ai toujours eu envie de comprendre ce qu’il se passait dans ces paysages extraordinaires. Quand j’avais 17 ans et que je faisais beaucoup d’alpinisme, j’ai rencontré un guide de haute montagne qui m’a appris que des gens étaient payés pour étudier les glaciers. Ça a été mon fil rouge. Aujourd’hui j’ai cette chance d’être glaciologue. En 2024, ce n’est pas juste aller chercher des données, mais communiquer sur ce qui est en train de se passer sur nos beaux glaciers. »
« Ce qu’on veut défendre face au réchauffement climatique, c’est aussi une partie de nous, de nos racines »
Qu’est-il en train de se passer, notamment dans nos glaciers français ?
« La situation est au-delà du catastrophique, que ce soit dans les Alpes, dans les Pyrénées ou au Groenland. Nos Alpes se réchauffent deux fois plus vite que la moyenne planétaire et on risque de perdre entre 30 % et 50 % de leurs glaciers d’ici 2050. Dans les Alpes, tout le monde a des anecdotes, des histoires familiales par rapport à ces glaciers qui se rétrécissent année après année, aux hivers qui raccourcissent, aux étés qui deviennent trop chauds. Il y a un aspect culturel très touchant et non négligeable. Quand on perd ces glaciers, ces paysages, on perd une partie de notre identité et de ce qui nous rend fier. Ça nous donne une bonne raison de nous battre car ce qu’on veut défendre face au réchauffement climatique, c’est aussi une partie de nous, de nos racines. »
- 1988 : née à Annecy (Haute-Savoie), Heïdi Sevestre grandit dans le petit village de Gruffy où elle se passionne pour la montagne et les glaciers. Après des études de géographie à Lyon-3, elle part étudier au Svalbard, en Norvège, dans l’université la plus septentrionale du monde.
- 2011 : doctorante à l’université du Svalbard,elle entame une thèse sur la dynamique des surges (poussées) glaciaires, nombreuses expéditions à la clé. Elle obtient son doctorat en 2015.
- 2017 : couverture du prestigieux Science Magazine.
- 2021 : participe à Climate Sentinels, une expédition 100 % féminine et neutre en carbone au Svalbard.
- 2022 : reçoit la toute première médaille Shackleton pour ses travaux sur les régions polaires. Parallèlement, elle participe durant six semaines avec Alex Honnold et d’autres grimpeurs à une expédition dans l’est du Groenland.
- Avril 2023 : publie Sentinelle du climat, où elle alerte sur la fonte rapide des glaciers.
- Décembre 2023 : participe à la COP 28 sur le climat.
Vous vivez au Svalbard (Norvège) et partez en expédition depuis de nombreuses années. Est-ce que là-bas aussi la situation change à vue d’œil à cause du réchauffement climatique ?
« Ma première expédition était en 2008 et ça me brise le cœur de voir la vitesse du changement. L’Arctique est la région qui se réchauffe le plus vite sur Terre. On voit les grands glaciers reculer très rapidement, le permafrost dégeler et la banquise avoir de plus en plus de mal à se former car il fait trop chaud. Ce sont des événements traumatisants qui menacent notre vie de tous les jours. Dans l’Arctique, pas une personne ne douterait du changement climatique et de l’importance d’agir au plus vite. »
« Les glaciers rendent l’invisible visible »
On dit souvent que les glaciers sont de bons baromètres du climat. Pourquoi ?
« C’est la meilleure expression ! Les glaciers rendent l’invisible visible. La concentration de CO2 ne se voit pas à l’œil nu. Mais quand on voit aujourd’hui un trou béant avec un tout petit peu de glace au fond de la Mer de Glace, il n’y a pas besoin d’avoir fait un doctorat pour comprendre que le glacier a rétréci car le climat est bouleversé. Mais ce n’est pas trop tard ! On peut encore sauver une grande partie de ces glaciers et de la calotte polaire du Groenland, surtout si on réduit notre utilisation des énergies fossiles. Encore faut-il éduquer sur les raisons pour lesquelles il faut les sauver. »
En quoi la fonte des glaciers et des calottes polaires peut-elle nous affecter directement ?
« L’Arctique, c’est vite vu : il contient assez de glace pour, s’il fond, augmenter le niveau des océans de six à sept mètres. Le futur des côtes de la France, notre destin à tous, est lié à ce qu’il se passe dans l’Arctique. C’est pour ça qu’on est parti en expédition pour essayer de mieux comprendre ce qu’il s’y passe et alerter dessus. Concernant les glaciers des Alpes, on en a énormément besoin car ce sont des gigantesques châteaux d’eau qui nous donnent de l’eau douce, permettent de produire de l’hydroélectricité. Toutes les activités le long du Rhône dépendent des glaciers des Alpes, notamment l’agriculture et le nucléaire. Le tourisme repose dessus. C’est tout un pan de notre économie qui sera touché s’ils disparaissent. »
Vous passez énormément de temps dans des universités, auprès de politiques, pour faire de la pédagogie, et vous avez sorti plusieurs livres sur votre combat. Vulgariser et sensibiliser, c’est la clé ?
« Je ne suis pas devenue glaciologue pour communiquer, mais j’ai vite compris que notre science n’aurait aucun impact si elle n’était pas expliquée. Un glacier c’est très mystérieux. Ce n’est pas un panda, pas une baleine ! Personne ne sait à quoi ça sert ou comment ça fonctionne. Il faut passer par l’éducation de tout le monde, petits et grands, secteur par secteur, pour comprendre pourquoi il faut les protéger. C’est pour ça que dès qu’on m’a contactée pour rejoindre l’équipe d’Alex sur Expédition Groenland, je me suis dit qu’on allait pouvoir partager la science autrement à un plus large public pas forcément sensibilisé, en parlant de grimpe, d’aventure, d’écosystème hostile. Cet aspect est crucial ! »
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« Avec Expédition Groenland, on peut partager la science autrement à un plus large public pas forcément sensibilisé »
Pendant Expédition Groenland, vous avez fait des expériences scientifiques avec les meilleurs grimpeurs de la planète. Quels résultats avez-vous obtenus ?
« Je suis une personne de terrain, je suis tout le temps en expédition donc c’était un rêve éveillé de partir avec eux dans l’une des régions les plus difficiles d’accès de l’Arctique, les moins explorées. On a préparé 18 protocoles scientifiques différents, on a pu en faire 16. On a notamment lancé un robot dans un fjord en partenariat avec la Nasa, qui a pu nous confirmer que les fjords sont en train de se réchauffer au Groenland, même sur la côte est, l’un des plus froids. Ça veut dire qu’elles peuvent commencer à grignoter la calotte polaire par le dessous et que cette zone est encore plus sensible au changement climatique qu’on ne le pensait. On a aussi prélevé des échantillons de roches, mesuré des températures dans les falaises, fait de la modélisation en 3D d’iceberg avec des drones, mesurer l’épaisseur d’une calotte polaire… Mais la plupart des données sont encore entre les mains des labos et on n’a pas encore les résultats. »
La sensibilisation suffit-elle vraiment si on n’a pas des politiques qui vont dans le bon sens ?
« Je fais de la communication pour tous les secteurs, je participe notamment à un programme de formation pour les hauts fonctionnaires. Les gouvernements me disent qu’ils ne peuvent pas agir si le grand public n’embarque pas, le grand public me dit que ce sont les industries qui polluent. On se pointe tous du doigt et on attend que l’autre agisse. Mais on ne peut pas attendre. On peut tous faire quelque chose en utilisant notre propre cercle d’influence : l’école, le travail, nos clubs, notre commune. On a une montagne à grimper, et on y arrivera que si on travaille ensemble. Mais on ne pourra pas y arriver sans les politiques donc il faut voter pour des personnes qui comprennent l’urgence et qui respectent le travail des scientifiques. »
« Il faut voter pour des personnes qui comprennent l’urgence et qui respectent le travail des scientifiques »
Que retenez-vous des annonces qui ont été faites pour les pôles en novembre à Paris au One Planet Polar Summit ?
« On voit qu’il y a vraiment une grosse prise de conscience sur les pôles, notamment en France qui est une vraie nation polaire. On est parmi les meilleures nations scientifiques dans ces régions. Mais le problème, c’est que les budgets ne suivent pas. Il faut soutenir la recherche. Emmanuel Macron a annoncé un milliard d’euros pour la science dans les régions polaires d’ici 2030. On s’en réjouit, mais c’est une annonce. Maintenant, elle doit être retranscrite dans la réalité. »
Vous pensez vraiment qu’il n’est pas trop tard pour sauver les glaciers, lorsqu’on voit que nos émissions de gaz à effet de serre ralentissent peu ?
« Oui ! On pourrait jeter l’éponge, se dire qu’on est trop petit pour faire la différence, être plein d’éco-anxiété. Mais on peut littéralement se lever le matin et participer à l’effort de sauver une partie de nos glaciers et de nos écosystèmes. La science le dit : on peut encore sauver la calotte polaire du Groenland et 40 % des glaciers des Alpes. Il faut se battre pour chaque dixième de degré. »
(*) Expédition Groenland avec Alex Honnold, série disponible en replay sur MyCanal.
Article issu du Dauphiné Libéré