Le monde du ski peut-il déjà s’en réjouir ?
En octobre dernier, Yan Giezendanner vous avait donné son bulletin météo pour les 4 prochains mois de l’hiver, et il avait justement mentionné les effets de « La Nina » sur l’enneigement.
Mais quel est ce phénomène météorologique et comment peut-il influencer notre hiver, à nous skieurs ? Voici l’interview pour Mon séjour en montagne en intégralité :
Ex-météorologue de Météo France à la station départementale de Chamonix où il occupait la fonction d’ingénieur prévisionniste, Yan Giezendanner a installé son camp de base dans la capitale mondiale de l’alpinisme.
Il est un des grands spécialistes de la météo de montagne et à ce titre, il est le routeur météo des alpinistes qui partent en expédition dans les grands massifs du globe ;
Comment peut-on vulgariser ce phénomène de « La Niña » par rapport à « El Niño » ?
« Dans le Pacifique, les vents soufflent normalement d’est en ouest, de l’Amérique du Sud vers l’Asie. Ce qu’on appelle El Niño, c’est quand ces vents ralentissent ou s’inversent, provoquant une accumulation d’eau chaude près des côtes de l’Amérique du Sud. Ça crée des températures plus chaudes que d’habitude, ce qui chamboule la météo mondiale : des sécheresses ici, des tempêtes là, une vraie fête de la météo extrême.
La Niña, c’est le phénomène inverse. Les vents d’est en ouest se renforcent, ce qui pousse cette eau chaude encore plus loin vers l’ouest et fait remonter des eaux froides des profondeurs près des côtes de l’Amérique du Sud. Résultat, les eaux du Pacifique deviennent plus froides que d’habitude.
Ça refroidit l’atmosphère au-dessus, ce qui influence aussi les schémas climatiques partout dans le monde, souvent en créant des conditions inverses à celles d’El Niño. On a donc tendance à voir plus de pluies dans certaines régions d’Asie et d’Australie, tandis que l’Amérique du Sud et le sud des États-Unis peuvent se retrouver avec des périodes plus sèches.
Bref, La Niña c’est le refroidissement, El Niño le réchauffement, et ensemble, ils jouent un rôle clé dans les cycles climatiques naturels – avec des impacts parfois extrêmes sur les précipitations et les températures dans plusieurs coins du globe. »
Va-t-il concerner l’Europe, et par extension, nos massif français ?
« Oui, même si La Niña et El Niño viennent du Pacifique, ils finissent par affecter un peu tout le monde, y compris nous en Europe et même nos bons vieux massifs français ! Alors, évidemment, leurs effets sont plus directs dans les zones proches de l’océan Pacifique, comme l’Amérique du Sud, l’Australie et l’Asie du Sud-Est.
Mais ces phénomènes influencent aussi des grands courants atmosphériques, notamment le jet stream, qui se balade ensuite au-dessus de l’Atlantique et atteint finalement l’Europe. Pendant un épisode de La Niña, on observe souvent un courant-jet plus actif qui descend un peu plus bas en latitude, ce qui peut influencer le climat européen. Typiquement, ça peut donner des hivers un peu plus frais et humides en Europe du Nord.
Mais pour nos massifs français, c’est plus subtil : on peut parfois voir un hiver un peu plus froid et un peu plus neigeux dans les Alpes et les Pyrénées, sans que ça soit une garantie. Il faut savoir que La Niña ne détermine pas tout, surtout qu’en Europe, on a plein d’autres influences climatiques.
Les experts du CPC estiment à 70 % la probabilité que « la Niña » se mette en place l’hiver prochain, cette temporalité vous paraît-elle aussi probable ?
« Ah oui, les prévisions des experts du CPC (Climate Prediction Center) et de l’IRI (International Research Institute for Climate and Society), quand ils avancent ces probabilités, c’est que c’est du sérieux !
Ils basent leurs estimations sur des modèles climatiques sophistiqués, des relevés de température de surface dans le Pacifique, et la surveillance de l’intensité des vents alizés, entre autres. À 70 %, on est dans une probabilité assez élevée pour les « climatos », surtout que ces événements ont une certaine inertie : les premiers signes annonciateurs de La Niña apparaissent souvent dès la fin de l’été ou l’automne, permettant de prévoir assez correctement son développement pour l’hiver.
Donc, cette temporalité paraît effectivement probable, d’autant plus qu’on sort d’un épisode d’El Niño modéré, et qu’un cycle de La Niña qui suit dans les mois à venir reste dans les schémas classiques des oscillations ENSO. D’ailleurs, si l’hiver dernier a été plutôt doux à cause d’El Niño, on pourrait bien voir un peu de frais revenir dans nos montagnes cet hiver si La Niña se confirme. Mais bien sûr, la nature étant la nature, il faut rester ouvert aux surprises, même avec une probabilité élevée comme celle-là !
Article écrit le 30 octobre 2024