Il faut scruter chaque maison du village pour trouver le Palégrié. Parfois se tromper de rue. Hésiter. Vérifier sur le GPS du téléphone qu’on a la bonne adresse. Et finalement arriver devant la maison. Rien n’est ici ostentatoire. Et rien n’indique non plus qu’il y a un restaurant. Seul le nom “Palégrié”, sobrement inscrit sur la façade, nous confirme l’endroit. Il faut ensuite sonner. Comme à la maison.
« On ne se met pas la pression. On prend notre temps pour cuisiner »
« Ici, on prescrit l’ordonnance du bonheur », lance avec un grand sourire Chrystel Barnier avant de nous emmener en salle. 15 couverts. Pas un de plus. Et un chef qui cuisine devant ses convives. On entend seulement le bruit des couteaux, des casseroles, des plats qui mijotent. « D’habitude, il y a un peu de musique. On aime travailler dans la sérénité et dans le calme », nous lance Guillaume Monjuré. Un calme que lui et sa compagne gardent malgré un succès… fulgurant.
Ouvert en juillet, le restaurant a déjà été désigné “meilleure table de France” par Le Fooding (le guide branché de Michelin) et a obtenu la note de 16/20 au Gault & Millau. « On ne se met pas la pression. On prend notre temps pour cuisiner », tempère Guillaume.
Conscient aussi que les notes, comme les étoiles, peuvent être volatiles. « On a eu la chance d’avoir une étoile lors de notre précédent restaurant à Corrençon. Puis on l’a perdue l’année de la Covid. Bien sûr que le Michelin, on l’espère. Mais on ne se lève pas tous les matins pour ça. On verra bien… », explique Guillaume.
« Ici, c’est ma cuisine, nos vins, notre façon de boire le café… »
Une sérénité qui n’empêche pas le couple de cultiver tous les codes des grands restaurants. Des belles nappes à la verrerie artisanale, rien n’est laissé au hasard. « Je suis maître de tout ici », lance Guillaume. Peut-être pour la première fois de sa vie professionnelle d’ailleurs. « Dans ce restaurant, c’est un peu notre histoire qu’on raconte, dit-il. Quand on a travaillé toute sa vie pour des chefs, on se perd un peu. Ici, c’est ma cuisine, nos vins, notre façon de boire le café… » La raison aussi pour laquelle le couple reçoit comme à la maison.
Il y a cette odeur de pain qui embaume toute la salle. « Parfois, selon le vent, ça sent même dans tout le village », s’amuse Guillaume Monjuré. Les miches sont cuites et sortent du four au feu de bois. Le chef a choisi des modes de cuisson à l’ancienne. Un petit barbecue a également été installé dans la cuisine. Elle-même créée dans la salle, juste en face des tables.
« Les clients viennent regarder. On discute. C’est aussi cela dont on avait envie », précise le chef. La salle prend alors des allures de commedia dell’arte. Ici, on coupe les légumes à la mandoline, on pétrit à la main. On ne cache aucun geste. Tout est mis sur le plan de travail. « Il y a un côté théâtral. On enfile notre costume et on joue. Il n’y a aucun filtre entre moi et les clients », constate Guillaume.
Depuis peu, une apprentie, Delphine, l’a rejoint en cuisine. Et sa femme, Chrystel, est au service et à la sommellerie. Une équipe minimaliste pour une cuisine en majorité végétale et authentique. Avec des ingrédients qui sont le résultat de leur parcours : des produits de la mer, des épices, des légumes locaux… « C’est notre histoire que l’on raconte dans l’assiette », conclut Guillaume.
Et pourtant. « Je ne m’estime pas encore chef. Comme dit Pierre Gagnaire, on n’est pas chef avant 50 ans. » Guillaume n’en a que 42. Il a beau avoir travaillé dans des palaces, arpenté les cuisines d’Olivier Roellinger à Cancale, celles de la Mamounia à Marrakech, en passant par un bateau de croisière à Tahiti. Et puis Lyon, Corrençon et aujourd’hui Méaudre. Guillaume semble repartir de zéro. « Quand on a décidé de s’installer ici, on a eu beaucoup de réticence de la part des banquiers. Et pas seulement d’eux. »
Il faut dire qu’il y a encore quelques mois, à la place de la cuisine, il y avait un tracteur et des bottes de foin. Dix mois de travaux ont été nécessaires pour transformer ce lieu en restaurant. Mais ce n’est pas n’importe quel lieu. C’est “Chez l’Henri”. La grange familiale de Chrystel. Fille du plateau du Vercors. Fille d’hôteliers aussi. « J’ai toujours baigné dans ce milieu », dit-elle. Et c’est aussi dans ce milieu que le couple s’est rencontré. Et qu’il s’est épaulé pour progresser.
Chrystel est la « marchande de bonheur » comme elle se qualifie. Agrémentant chaque plat d’un bon vin. La sommelière retrouve ici les lieux de son enfance. Ceux qui ont sans doute constitué sa première formation. « C’est important de ne pas oublier tout le chemin parcouru », dit-elle, une véritable douceur dans la voix. Guillaume aussi a eu très tôt le goût des bonnes choses. Préférant les cuisines à l’école. « Mes parents m’ont toujours encouragée. Je me souviens qu’ils m’avaient acheté tout le matériel nécessaire et que je cuisinais pour eux. »
« Il fait de la magie avec nos légumes qui changent en fonction des saisons. C’est un artiste ! »
Aujourd’hui, c’est leur fille de 8 ans qui traîne au milieu des casseroles. De quoi susciter une vocation ? « Il y a encore quelques années, je l’aurais découragée. Aujourd’hui, ça me ferait plaisir. Ma vision du métier a changé », estime Guillaume. Car désormais, c’est lui le chef, quoi qu’il en pense. Et le maître du temps aussi. Une maturité et une temporalité que l’on retrouve aussi bien dans l’assiette que dans l’atmosphère du restaurant.
Pendant un jour des vacances scolaires, c’est tout une famille qui débarque dans la cuisine de Guillaume. Carla et ses trois enfants, bientôt rejoints par son mari. Un accent espagnol et un très beau sourire. L’agricultrice est « la reine des légumes », lance le chef. « Sans eux, on ne ferait rien car ce sont les produits qui font le menu », dit-il. Improvisant chaque recette au gré de la production de la Ferme des Sisampas située à Rencurel. « Il fait de la magie avec nos légumes qui changent en fonction des saisons. C’est un artiste ! », s’amuse Carla.
80 % des produits cuisinés par Guillaume Monjuré sont locaux et 79 % sont bio. « On a des relations très fidèles avec nos producteurs. On s’engage avec eux et c’est réciproque. » De quoi créer une véritable émulation sur le plateau. À quelques mètres du Palégrié, deux anciens apprentis de Chrystel et Guillaume ont ouvert leur cave à manger, Fleur de Vignes. La potière du village est également sollicitée pour créer de la vaisselle sur mesure. « Ça vit ici ! », s’amuse Guillaume. Un décor forcément inspirant. « Cuisiner avec en face le décor du Vercors, c’est magnifique. »
Article issu du Dauphiné Libéré