Ce n’est pas forcément le terrain de jeu sur lequel on s’attend à retrouver un youtubeur. Et pourtant, le toit du monde, l’Everest, s’apprête à recevoir la visite de l’un d’eux. Inès Benazzouz, plus connu sous le pseudo d’Inoxtag, s’est en effet lancé dans un projet d’envergure : gravir le légendaire sommet himalayen, qui culmine à 8 849 mètres d’altitude.
Un véritable défi pour lequel le vidéaste de 22 ans s’est préparé pendant un an, avec l’aide du photographe et guide Mathis Dumas. Alors évidemment, l’annonce de l’ascension n’a pas manqué de faire réagir dans le milieu de l’alpinisme, et même au-delà. Course au buzz, caprice d’ego… tous les qualificatifs y sont passés.
« Grand n’importe quoi ! »
Il faut dire que Mathis Dumas lui-même n’a pas caché ses premières craintes lorsqu’il s’est confié à notre journal dernièrement : « La première fois qu’on m’a dit les mots Everest et youtubeur, je me suis dit : ça sent le bourbier », nous a-t-il avoué. Avant de se raviser face à l’investissement du jeune vidéaste. Et de lui proposer plusieurs séjours de préparation dans les Alpes, l’emmenant gravir la Dent du Géant, le mont Blanc et le Cervin. « C’est l’un des meilleurs clients que j’ai pu avoir », estime aujourd’hui Mathis Dumas.
D’autres alpinistes n’ont en revanche pas caché leur hostilité au projet d’Inoxtag. À l’image du photographe Pascal Tournaire, habitué de l’Everest, qui n’a pas hésité à le qualifier de « grand n’importe quoi » auprès de nos confrères de BFM TV. Tout en s’interrogeant sur l’intérêt d’une telle ascension : « N’importe quelle célébrité peut gravir l’Everest, il suffit d’y mettre les moyens. »
Ou encore de Marc Batard qui, toujours auprès de BFM-TV, déplorait « l’illustration de la marchandisation de l’Everest ». « Il y a trop de monde et qui dit surpopulation, dit pollution et hausse du nombre d’accidents », regrette l’alpiniste, qui s’apprête d’ailleurs à retourner à l’Everest pour y finaliser une nouvelle voie, censée être plus sécurisée, comme le rapportent nos confrères de La Montagne.
« On est en France, donc il faut toujours qu’il y ait des gens qui fassent chier »
Il serait pourtant faux de prétendre que le monde de l’alpinisme dans son ensemble boycotte le youtubeur. Yorick Vion, guide à Pralognan, n’hésite d’ailleurs pas à le défendre. « C’est une polémique malsaine parce que ce jeune Inoxtag parle à une génération que je ne connais pas et véhicule des valeurs saines. Il pourrait utiliser son budget et sa notoriété pour aller à Dubaï, faire la fête et s’acheter des grosses montres. Au lieu de ça, il prend un guide, se fixe un projet et fait de la montagne. » Et d’ajouter : « C’est son boulot de vendre son image, il fait son job. »
La grande figure de l’alpinisme français, Catherine Destivelle, semble sur la même longueur d’ondes. « C’est normal que ça aille dans ce sens-là, on n’y peut rien : il n’y a pas de raison que les non-alpinistes n’aient pas le droit d’y accéder », estime-t-elle. « En fait ce qu’il faudrait, c’est trouver un autre nom pour les gens qui n’ont jamais mis de crampons et vont les utiliser une fois pour faire l’Everest ! (rires) Ce ne sont pas des alpinistes, mais des gens qui vont faire un record, quel que soit le moyen. Mais Inoxtag, lui, a fait ça sérieusement, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Donc pourquoi pas, si ça peut faire rêver des gens ! Et puis les gens ne vont pas se dire non plus qu’ils sont capable de le faire parce que lui l’a fait. Par contre, ça fait rêver. Évidemment qu’en tant qu’alpinistes, ça nous chiffonne un chouïa, mais il faut être tolérant ! »
Une polémique française
Pour le guide savoyard Yorick Vion, cette polémique est avant tout bien française ! « Je pense que s’il était américain ou anglais, il serait encensé, tout le monde trouverait ça super. Mais on est en France donc il faut toujours qu’il y ait des gens qui fassent chier. »
Les dommages collatéraux de la polémique Inoxtag, dont le guide Mathis Dumas fait les frais, agacent également Yorick Vion. « Mathis m’a appelé quand il préparait l’expédition d’Inoxtag pour l’Everest. Il m’a demandé des conseils : par où passer, combien de litres d’oxygène et de temps prévoir… J’ai passé des heures au téléphone avec lui pour lui partager mon expérience de guide qui va à 8 000 m. C’est quelqu’un qui ne se cache pas de se renseigner pour préparer son expédition. C’est quelqu’un de sérieux, un très bon guide. Il y a eu beaucoup de polémiques autour de lui et je trouve que ce n’est pas normal. Les gens qui le critiquent sont jaloux. »
« L’Everest est devenu le Grâal de beaucoup de gens »
« Le métier de guide et la montagne, c’est un milieu d’entre-soi », poursuit Yorick Vion. « Tout le monde a sa conception personnelle de l’alpinisme : le purisme, le commercial… Dès que quelqu’un commence à avoir une démarche un peu publique, c’est critiqué. Même Marc Batard à son époque était critiqué pour sa volonté de sprinter l’Everest… »
D’autant que, selon le guide Yorick Vion, la médiatisation de l’expédition d’Inoxtag sur YouTube pourrait bien avoir des effets positifs. « Cela va peut-être inspirer des centaines ou des milliers de jeunes à aller vers la montagne, vers l’alpinisme. Je pense qu’on ne peut en sortir que quelque chose de bénéfique. »
« Tout dépend de ce qu’il va dire dans ses vidéos », estime pour sa part Catherine Destivelle. « Je ne le connais pas donc je ne sais pas s’il va cacher les côtés négatifs de la surfréquentation de l’Everest ou au contraire s’il va en parler.
« On n’a pas le droit de les empêcher ! »
Quant à la surfréquentation de l’Everest, le phénomène n’est pas nouveau, estime le guide savoyard. « Cela a toujours existé, mais je trouve que c’est de plus en plus régulé », estime-t-il.
Un sentiment partagé par Catherine Destivelle. « C’est l’évolution des choses : les gens veulent tous aller à l’Everest, comme tout le monde voulait aller au mont Blanc avant », juge-t-elle. « Effectivement, il y a de plus en de monde, l’Everest est devenu le Grâal de beaucoup de gens. Mais on n’a pas le droit de les empêcher ! Ce qui va contribuer à faire une sélection et limiter les candidats, c’est l’argent malheureusement car ça coûte assez cher. Après, il faut bien sûr réglementer pour qu’il n’y ait pas de pollution. Mais les sherpas ne sont pas stupides, ils vont gérer pour que leur montagne dure. »
Affaire à suivre donc, sans doute sur la chaîne YouTube d’Inoxtag qui ne manquera pas de débriefer son expérience à son retour !
Article issu du Dauphiné libéré
