Il n’a jamais été aussi bas. Ce jeudi 5 octobre, les géomètres experts ont révélé qu’ils ont toisé le toit de l’Europe à 4 805,59 mètres. Cette valeur est 2,22 mètres en retrait de celle de 2021, dernière en date, avec une précision de 2 à 5 centimètres. La mesure du mont Blanc est autant une affaire de précision que de communication. Depuis 2001, les géomètres experts relèvent l’altitude exacte du toit de l’Europe lors d’une expédition organisée en fin d’été. Ils en sont à leur douzième mesure.
Les 15 et 16 septembre 2023, ils sont 22 à avoir réalisé l’ascension du géant des Alpes, dont le quintuple champion olympique de biathlon Martin Fourcade, proclamé cette année ambassadeur de la mesure. Dix heures d’ascension, 10 kg de matériel et un peu plus d’une heure de mesure sur le sommet avec une vue imprenable sur les Alpes. L’expédition se veut scientifique. « On accumule des données pour les générations futures, nous ne sommes pas là pour les interpréter », commente Jean des Garets, le président de la Chambre des géomètres experts de Haute-Savoie.
Un été globalement sec et peu perturbé
Cette année, la campagne de mesure s’est faite dans de bonnes conditions météorologiques. « On aurait très bien pu avoir une grosse chute de neige. En une nuit, il peut tomber 1,5 mètre de neige », indique Denis Borrel, le chef de l’expédition des géomètres experts. L’objectif est autant de déterminer une altitude précise que de modéliser le volume de la calotte glaciaire qui lui aussi est à la baisse.
Leurs relevés mettent en évidence les mouvements de l’arête sommitale. Avec l’altitude, le sommet change également de position géographique. D’une campagne à l’autre, le point culminant de l’Europe peut varier de 60 mètres vers Chamonix ou Saint-Gervais et d’un peu plus de 9 mètres vers la France ou l’Italie. Cette année, la cime du mont Blanc est revenue exactement à la position de 2003, quand il mesurait 4 808,45 mètres. Bonne nouvelle, il est revenu à une position assez centrale ce qui évitera une guerre d’appartenance entre pays ou communes.
Une hauteur stabilisée entre juin et septembre
Sans vouloir tirer de conclusion sur cette altitude 4 805,59 mètres, la profession remarque un fait jamais enregistré. Depuis 2015, une mesure du mont Blanc est réalisée avant l’été, au mois de juin, dont les géomètres experts ne communiquent normalement pas les valeurs. Habituellement, les altitudes relevées avant l’été sont traditionnellement un mètre en dessous de l’altitude du mois de septembre. Cette année, la mesure est pratiquement la même. L’altitude du mois de septembre n’est que 10 centimètres au-dessus de celle du mois de juin. Elle serait le constat d’un été globalement sec et peu perturbé en haute montagne.
« Cette année, le mont Blanc ne s’est pas rechargé, ce qui est nouveau », explique Farouk Kadded, représentant de la société Leica Geosystems et partenaire de la mesure depuis 22 ans. Ses instruments placés au sommet du patriarche des glaciers sont formels. Cette conclusion n’est pas de bon augure pour l’ensemble du massif et ses neiges dites éternelles.
■ 2001 : 4 810,40 m.
■ 2003 : 4 808,45 m.
■ 2005 : 4 808,75 m.
■ 2007 : 4 810,90 m.
■ 2009 : 4 810,45 m.
■ 2011 : 4 810,44 m.
■ 2013 : 4 810,02 m.
■ 2015 : 4 808,73 m.
■ 2017 : 4 808,72 m.
■ 2019 : 4 806,03 m.
■ 2021 : 4 807,81 m.
■ 2023 : 4 805,59 m.
Météo et climat : la perte d’altitude s’explique
La baisse est tangentielle depuis les 4 810,90 mètres relevés en 2007. Le sommet du mont Blanc perd de l’altitude. Pourtant il ne faut pas y voir trop vite une cause directe du réchauffement climatique. Les scientifiques estiment que les données ne sont pas assez nombreuses pour en arriver à une telle conclusion.
Les variations d’altitude sont d’abord le fruit de deux facteurs : le cumul de précipitations et les vents. L’arête sommitale est comparable à une dune modelée par les éléments, telle une tempête qui sculpte les accumulations neigeuses. « Ce sont les précipitations qui gouvernent la forme du sommet et la variation d’altitude : chaque mois, chaque semaine, chaque saison », commente le glaciologue Luc Moreau.
Ainsi le recul à 4 805,59 mètres est dû à un été sec. « On sait très bien que depuis deux ans, on a une sécheresse en France et en montagne », rappelle le scientifique, la mesure 2023 qui montre un abaissement de 2,22 mètres n’est que le reflet de l’été passé. « C’est en phase avec cette sécheresse, ce n’est pas un marqueur du changement climatique. »
Un manque de paramètres
La recherche manque de paramètres. La mesure de l’altitude n’est pas encore corrélée aux précipitations et aux vents à 4 800 mètres. Ces données n’existent pas. En revanche, les températures sont relevées en proximité. « On a eu beaucoup de températures positives l’an dernier et cet été 2023 », explique Luc Moreau.
Côté italien à 400 mètres du sommet, on a relevé jusqu’à 10,4°C en 2022 alors que la moyenne annuelle est de – 15°C. Côté français, la température du glacier est relevée à 4 300 mètres. En 1994, les chercheurs mesuraient – 11 degrés. Cet été le mercure affichait – 9°C. « C’est toujours une température négative et la glace ne fond toujours pas, il n’y a pas de fonte au sommet du mont Blanc ou très peu, quand on a 5 à 10°C pendant une journée ou deux », ajoute le glaciologue.
La science n’apporte donc pas de conclusions hâtives sur la montée des températures, elle ne se prononce pas non plus sur un recul de l’altitude sur 15 ans. Tout est histoire de météo et de déficit neigeux, même si à l’arrivée, la météo, c’est aussi le climat.
Pour qui n’est jamais monté au sommet du mont Blanc, la cime est très arrondie. « Quand on arrive au sommet, c’est une longue arête de 200 mètres de long », explique Farouk Kadded, de la société Leica Geosystems. « On se balade avec notre appareil équipé d’une antenne et on cherche le point sommital ».
Lorsque le point le plus haut est déterminé, l’appareil est installé pendant près de deux heures pour réaliser les mesures statiques. Entre les premiers relevés il y a 22 ans et ceux réalisés cette année, la technologie a évolué. « En 2001, on avait 5 à 6 satellites GPS américains au mieux dans la journée, aujourd’hui avec l’évolution des constellations, on a une trentaine de satellites disponibles pour pouvoir mesurer ». Les appareils s’appuient sur les signaux des satellites russes Glonass, européens Galileo ou encore chinois Beidou.
Un deuxième appareil au sol mesure la calotte glaciaire. Un géomètre se déplace avec une antenne. Le système fait des relevés de points et réalise des photos qui sont ensuite assemblées. « On a récolté 1 100 photos qui nous ont permis de générer un nuage de 7 millions de points », détaille Farouk Kadded. Ces points, comme des pixels répartis en trois dimensions, permettent de modéliser le volume de glace au sommet du mont Blanc.
Pour la première fois une seconde technique a été utilisée, avec un drone par photogrammétrie. L’assemblage des 70 photos réalisées en vol permet de représenter la calotte glaciaire sous tous ses angles. « On peut calculer la cubature, le volume au-dessus du plancher de 4 800 mètres », ajoute Robin Burrus de la société Sogelink. Les résultats montrent que celle-ci a perdu de sa masse.