Records de chaleur mais neige abondante à très haute altitude, un hiver plein de contrastes

Un 7 avril, à Chamonix, par 25°C. On fait la queue devant le marchand de glaces. Le téléphérique de l’aiguille du Midi se perd dans les poussières sahariennes, à l’arrêt pour cause de vent violent. Ce ciel sépia loin de le ramener au passé, propulse le touriste dans une vision dystopique.

Des écarts impressionnants du jour au lendemain

En vallée, la veille, le thermomètre a atteint le niveau inédit de 30° à Sallanches. Record absolu en avril également au sommet de Bellecôte à la Plagne (Savoie), à 3000 m : +8,2°. L’épais manteau neigeux (3,50 m) a vu sa fonte (5 cm par jour au printemps) accélérée par le sable venu d’Afrique.

Voilà qu’en 24 heures, le mercure a chuté de 20° et la neige fait son retour à 900 m. Grands écarts et contrastes auront marqué cette saison hivernale 2023/24. Entre un automne, saison où commence à se constituer le manteau, le plus chaud jamais enregistré en France, un hiver le troisième le plus doux et une entame printanière perturbée, jamais la montagne n’a connu la période si douce.

« En même temps ce fut une saison particulièrement arrosée dès octobre », relève Cécile Coléou, responsable de la cellule montagne et nivologie à Météo France. « Dans les Alpes, cela s’est traduit par un fort contraste d’enneigement entre la basse altitude très déficitaire et la haute montagne excédentaire tout le temps ». Avec des quasi records dans les deux sens.

El Niňo à prendre en compte ?

Pour trouver un enneigement naturel conforme aux moyennes il fallait monter à 1800 m. Dans les Alpes du nord, les écarts à la normale des températures des 30 dernières années (1991-2000) ont été constants : +1 à 2° en décembre, 0 à 1°C en janvier, +3 à 4° en février et 0 à +1 en mars. Un phénomène moins marqué dans les Alpes du sud (+2 à 3° en février) quand dans les Vosges et le Jura, l’anomalie thermique a flirté avec les 5°. À Chamonix ou Bourg-Saint-Maurice, cet hiver météorologique a été le plus chaud jamais enregistré.

Emballement du climat ou anomalie imputable à la variabilité interannuelle dans une tendance de réchauffement ? « Trop tôt pour le dire », répond Samuel Morin directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRS/Météo France), évoquant le contexte mondial, une Terre sous l’influence du puissant phénomène El Niňo, avec 10 mois consécutifs de records de chaleur.

Avalanches : un manteau stable

Entre températures élevées, abondantes précipitations et remontée de la limite pluie neige, la situation a été propice à la stabilité du manteau neigeux, selon l’expert nivologue Alain Duclos. Pour un nombre de phénomènes avalancheux conforme à la moyenne.

« L’absence de froid a favorisé un manteau homogène et continu. Pas de couches fragiles persistantes qui provoquent le départ de grandes plaques inattendues. A chaque chute, la neige récente est partie en avalanches de surface mais l’instabilité n’a pas duré ». En revanche, illustration du réchauffement, l’activité avalancheuse a été marquée par des plaques de fond, aux forme de gueules de baleines et autres phénomènes de reptation. Le manteau glisse jusqu’à la terre.

« Des avalanches qui partent d’un bloc, impossibles à déclencher artificiellement. On en a vu dans des secteurs inhabituels à 2500 m d’altitude, quand autrefois elles survenaient à des altitudes plus modestes et en versants ensoleillés ». Avec douze morts depuis octobre, c’est l’un des plus faibles bilans depuis 50 ans selon l’association nationale pour l’étude de la neige et des avalanches (Anena). Mais gare aux retours de conditions hivernales, ces petits hivers qui tranchent avec l’idée reçue selon laquelle le ski de printemps est « safe ».

Emballement du climat ou variabilité interannuelle ?

Cet hiver marque les esprits. Avec un enneigement remarquable à plus de 2300 m, exceptionnel à 3000 m dès décembre, qui a résisté aux remontées de pluie temporaires à 2800 m. Et des records : 3,59 m en janvier à la nivose des Écrins (Hautes-Alpes) à 3000. Et 2 mètres, fin mars, à la station du Parpaillon (Embrunais) à 2545 m, toujours dans les Alpes du sud.

Mais à moins de 1200 m le manteau n’a quasiment pas tenu au cours d’un hiver qui selon les Domaines skiables de France (DSF) n’a connu que deux véritables périodes de froid en décembre et janvier permettant de produire l’indispensable neige de culture. Peut-on parler de record de faible enneigement à basse et moyenne altitude ?

La station de référence du Col de Porte (Isère) en Chartreuse à 1326 m avec sa série de mesures depuis 1960 donne un indice. Avec 82 jours d’enneigement (épaisseur de 5 cm), seul 1989/90 fait pire quand la moyenne sur 60 ans est à 120 jours. Et le déneigement dès le 20 février n’a jamais été aussi précoce. Une pénurie qui avait déjà sévi l’hiver dernier (89 jours de neige au col de Porte) et renforce la tendance climatique.

« Cette déconnexion entre la haute et la basse altitude est représentative de ce qu’on attend de plus en plus souvent à l’avenir. Comment se positionne cet hiver par rapport aux projections climatiques ? Il faudra des études pour documenter à quel point il résulte de la variabilité du climat ou s’il est le signe d’une accélération de la tendance de fond », estime Samuel Morin. Pour l’expert en nivologie Alain Duclos, cette situation est caractéristique des « saisons à venir ». Ce qui n’exclut pas le retour de vrais hivers d’antan comme en 2020/21. Malgré la fermeture des stations pour cause de pandémie, 40 personnes avaient péri dans des avalanches.

Article issu du Dauphiné Libéré

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