Sentiers de randonnées fermés, forêts interdites : faut-il garantir un droit à la nature ?

Il y avait foule ce week-end à Lyon au salon du randonneur. Signe que c’est bien l’activité sportive en France la plus populaire, avec 27 millions de marcheurs, devant le vélo et la natation pour 227 000 km de chemins balisés. Près de la moitié des plus de 18 ans s’adonnent à une pratique en pleine croissance depuis la crise sanitaire. Victime de son succès ? On pourrait le croire, à lire l’intitulé du guide lancé par la Fédération française de la randonnée pédestre (FFRP) dans le cadre du plan « Avenir montagnes » lancé en sortie de Covid : « Les sentiers de montagne en tension ». Objectif : mieux réguler la fréquentation tant l’équilibre est fragile entre valorisation des territoires et protection des milieux.

Sans aller jusqu’à instaurer des quotas limitant l’accès comme à la calanque de Sugiton, collectivités et gestionnaires d’espaces naturels, incitent, forment et régulent un public grandissant. Par exemple en incitant à faire un pas de côté, à prendre des itinéraires bis. Ou en limitant le stationnement au départ des sites par des parkings payants, 10 € pour accéder au lac d’Allos (Alpes-de-Haute-Provence) dans le Mercantour, voire en l’externalisant avec des liaisons par navette comme dans les Pyrénées, au lac des Bouillouses sous le Carlit. « Presque un problème de riches » commente Pierre Torrente, expert en tourisme durable et professeur à l’Université de Toulouse. « Ce phénomène ne doit pas masquer une autre réalité : beaucoup de territoires sont sous fréquentés ».

Au salon du randonneur du 22 au 24 mars à Lyon. Photo Le DL /Antoine Chandellier
Au salon du randonneur du 22 au 24 mars à Lyon. Photo Le DL /Antoine Chandellier

En France les forêts sont ultra-majoritairement privées

Au-delà de sites phares frappés de « pics » de fréquentation, il est un sujet qui préoccupe le randonneur. Il ne date pas d’aujourd’hui mais a surgi sur la place publique en fin d’été dernier en Isère en Chartreuse. En France, les trois quarts des forêts appartiennent à des propriétaires privés tout comme 10 à 50 % des terres d’altitude selon les massifs. Parmi eux, Bruno de Quinsonas, marquis du Touvet dont le domaine s’étend sur 750 hectares, 15 % de la Réserve des Hauts de Chartreuse. Fin août le seigneur brandissait la loi du 2 février 2023 , votée sans grande publicité. Elle vise à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Détail lourd d’enjeu : le texte dispense désormais de clôturer son terrain pour en restreindre l’accès, sous peine de contravention.

Au motif des effets de la « mauvaise » fréquentation de son fief et son impact, en installant des panneaux “défense d’entrée” le long des deux sentiers balisés du parc de Chartreuse, le marquis interdisait de fait l’accès aux autres itinéraires, réservant son domaine à une société de chasse. En réaction un comité organisait, in situ, une manifestation d’un millier de personnes invoquant la sacro-sainte liberté de se promener.

Cette interdiction est loin d’être une première. Dans l’Isère, sous le Taillefer, la Fédération a dû modifier son GR 50, sous la pression de propriétaires de chalets, dans le secteur du lac Fourchu. En Haute-Savoie, dans le massif des Voirons, près d’Annemasse, le comité départemental de randonnée a déserté le sentier de « La taille de la marquise », pour éviter les tensions. Dans la Drôme, au Jocou (2051 m), la variante du GR 93 par l’alpage privé du vallon des pâtres a été supprimée en raison des conflits d’usage avec les troupeaux. Une liste loin d’être exhaustive.

Un précédent a été créé

Mais à l’évidence, l’évolution juridique et l’affaire de la Chartreuse, hautement médiatisée, marquent une nouvelle étape. Les randonneurs craignent une réelle contagion d’interdictions en France. Deux cas ont surgi depuis. En novembre, dans les Alpes-Maritimes, à Villeneuve Loubet, un autre marquis -décidément- celui de Panisse-Passis interdisait l’accès à ses 1 000 ha, « 85 % des espaces naturels confisqués aux promeneurs », dixit le collectif Côte d’Azur cousin de celui créé en Chartreuse. Ils étaient rejoints dans leur lutte, en janvier, par un troisième comité, quand 64 ha de forêt à Rimbach-près-Masevaux (Haut-Rhin) dans la vallée de la Doller et le Parc naturel régional des Ballons des Vosges étaient aussi interdits à la promenade. Le collectif Notre village d’Alsace, s’est joint à la lutte contre la disposition légale de février 2023. Les trois mouvements ont rassemblé 60 000 signatures pour réclamer l’inscription dans la loi du droit d’accès à la nature.

La législation va-t-elle garantir l’accès à la nature ?

À la Fédération de randonnée, Jean-Claude Marie, le vice-président, s’inquiète : « Le randonneur a bon dos et ne doit pas être prétexte à fermer des accès ». Dans l’Isère, en Matheysine, l’antenne iséroise de la Fédération craint d’autres restrictions. Du côté des accompagnateurs en montagne, on parle encore d’épiphénomènes, le sujet de la cohabitation avec les chiens de troupeaux, arrivant toujours au sommet des préoccupations. Reste que les trois collectifs ont décidé d’unir leurs forces pour faire entendre leurs voix à l’Assemblée nationale.

Le député écologiste de la 5e circonscription de l’Isère, Jérémie Iordanoff. Photo Le DL /Emmanuelle Duffeal
Le député écologiste de la 5e circonscription de l’Isère, Jérémie Iordanoff. Photo Le DL /Emmanuelle Duffeal

Garantir l’accès à la nature, c’est justement l’objet de la proposition de loi déposée par les députés EELV de la Vienne Lisa Belluco et de l’Isère Jérémie Iordanoff. Ce dernier reste prudent : « La loi contre l’engrillagement est absurde, mais on sent la majorité très frileuse sur notre texte parce qu’elle a voté le contraire il y a un an ». Il doit être discuté le 4 avril dans le cadre de la niche parlementaire écologiste, appelant en premier lieu à supprimer l’amende encourue en cas de pénétration sur une propriété privée. Le député isérois défend un droit qui garantirait l’accès à la nature pour tous. Comme cela existe ailleurs en Europe (en Finlande, Estonie ou Suède) à condition « de ne pas déranger le propriétaire et de ne pas dégrader son espace ».

Article issu du Dauphiné Libéré

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