À 3450m d’altitude, l’Aigle, un refuge haut-perché

C’est ce que sociologues et publicitaires appellent un archétype. Demandez à un enfant de dessiner un refuge et ça donne l’Aigle. La cabane de 30 places se dresse sur un piédestal de cailloux, tel un rapace sur ses ergots.

Son cadre : l’une des plus belles chaînes, la Meije.

Son cadre : l’une des plus belles chaînes, la Meije. Son écrin : les glaciers du Tabuchet et de l’Homme, tourmentés comme une toile surréaliste. Un phare dans la tempête, un radeau pour alpinistes tentant le diable d’une hivernale dans la reine de l’Oisans. Une oasis ponctuant la traversée glacée de ses arêtes.

Fin 2021, après la folle période du Covid, son image de carte postale a agité la sphère médiatique, profane. La nouvelle fait grand bruit : la fédération des clubs alpins cherche un nouveau gardien pour la plus perchée de ses 120 adresses. « Pour une fois, on parlait d’autre chose que des polémiques au mont Blanc », positive Nicolas Raynaud, son président.

Cordée arrivant au refuge, après 5 à 6 heures d'effort depuis Villar d'Arène et le pont des Brebis, pour près de 1800 m de dénivelé positif.  Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER
Cordée arrivant au refuge, après 5 à 6 heures d'effort depuis Villar d'Arène et le pont des Brebis, pour près de 1800 m de dénivelé positif. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER

Pour 50 candidatures farfelues, il n’y eut guère que cinq dossiers crédibles. Il a beau avoir le plus beau bureau du monde, le gardien de l’Aigle n’a pas toujours un job de rêve. En l’occurrence, une gardienne. Béatrice Leitner, Italienne du Sud Tyrol, a travaillé dans des mastodontes, le Goûter au mont Blanc, Gnifetti au mont Rose, et de l’autre côté de la Meije, au Promontoire. Pour gérer l’étape, il faut être un montagnard couteau suisse, savoir tout faire : cuisiner, bricoler, compter, ranger. C’est donc elle, l’hôtesse de l’Aigle, en alternance avec son compagnon, Florent Barbier, guide, en bas, à La Grave.

Depuis la terrasse du refuge, vue sur le très tourmenté glacier de l'Homme. Ne pas trop se pencher. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER
Depuis la terrasse du refuge, vue sur le très tourmenté glacier de l'Homme. Ne pas trop se pencher. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER

Odeur de chaussette et fumet de soupe

Pas très showbiz, l’aubergiste des hauteurs. Peu encline à voir débarquer un reporter. Ah ces journalistes qui voulaient venir l’interviewer en hélicoptère ! Le genre de vols interdit dans le parc des Écrins. Alors l’engouement s’est arrêté net. Quand on pousse la porte, après avoir laissé grosses chaussures et piolets dans le sas, on se dit que l’on n’a pas sué six heures pour ses beaux yeux mais ce lieu magique. Ici, les gardiens passent, tous les cinq ans en moyenne, le décor reste. Garder l’Aigle n’a rien d’une sinécure. Déjà l’accès : six heures au départ du Pont des brebis, à Villar-d’Arêne, sous le col du Lautaret, 1800 m de dénivelé. L’ascension relève déjà de l’alpinisme. De longs névés à remonter, une arête rocheuse facile mais exposée. Et la vertigineuse vire Amieux, coup d’épée dans le Bec de l’Homme pour gagner le glacier du Tabuchet. Et là, gare à ne pas tomber dans un trou, les ponts de neige sont fragiles. Les sauveteurs du PGHM de Briançon à l’entraînement nous dissuadent de nous y aventurer seul. Alors on prend le train de la cordée suivante. Alexandre, étudiant à HEC et Nicolas, charpentier de Chambéry se sont contactés sur Facebook. On s’assure à leur brin, pour le final vers l’Aigle. Dire qu’en 1910, pour justifier sa création, le Club alpin français avait usé d’un argument un rien fallacieux : “Un but pour les touristes inexpérimentés en séjour à La Grave”.

 

C'est l'esprit d'un refuge tout en un, dortoirs d'un côté, coin salle à manger de l'autre, dans une seule et même pièce. L'odeur de chaussette humide se mêle au fumet de la soupe. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER
C'est l'esprit d'un refuge tout en un, dortoirs d'un côté, coin salle à manger de l'autre, dans une seule et même pièce. L'odeur de chaussette humide se mêle au fumet de la soupe. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER

Plus d’un siècle qu’il est sur son piédestal, à 3450 m d’altitude, immuable ou presque. La cabane primitive a muté en 2014. L’Aigle d’origine ne répondait plus aux normes. Il fallait un alchimiste pour sauver son âme, opérer la synthèse entre anciens et modernes. L’architecte isérois Jacques Félix Faure a préservé le vivre ensemble et l’esprit “tout en un”, conservant les poutres de la cabane historique. Réfectoire et dortoir dans la même pièce. « Ça sent la chaussette et on aime ça ». Odeur de pied mêlée au fumet de soupe.

L’Aigle, refuge musée, a changé de plumage non sans contraintes : résister à des vents de 250 km/h et des gradients de température de 30° en un jour. Enfin un impératif des temps nouveaux : les panneaux solaires rendent le refuge autosuffisant. Garder l’Aigle est parfois un métier de chien, avec une équipe réduite. Quentin Bailly, l’aide gardien est là depuis huit jours. Le plein de globules compense le déficit de sommeil. Avec Béatrice, comme les marins, chacun son quart. Arrivées et réveils s’étalent, hachés, toute la nuit, entre les alpinistes de la traversée de la Meije, venant du Promontoire, jusqu’à minuit, le petit-déjeuner au milieu de la nuit pour ceux en partance pour le Doigt de Dieu et le départ des fatigués, redescendant tranquillement, à 7 h.

Le refuge sur son promontoire rocheux à 3450 m, porte bien son nom. Un décor de carte postale, iconique. Peut-être la plus belle étape dans les Alpes françaises. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER
Le refuge sur son promontoire rocheux à 3450 m, porte bien son nom. Un décor de carte postale, iconique. Peut-être la plus belle étape dans les Alpes françaises. Photo Le DL/Antoine CHANDELLIER

Victime du climat

Et le climat met les nerfs et l’activité à rude épreuve. En 2022, année de sécheresse, le refuge n’a pas ouvert pour la saison de ski alpinisme. L’été s’est achevé mi-août, faute d’eau (la source glaciaire étant tarie) et en raison de l’accès dangereux entre les crevasses. « Les courses étaient devenues difficiles, les amateurs frustrés, les guides tendus. Il y avait une sale ambiance ». Béatrice veut chasser l’image d’une montagne qui a viré au grisâtre. Le futur de l’Aigle ? « Sans doute à repenser. »

Avant le coucher, à l’heure du point météo dans la cuisine, une tante, qui a fait ses armes à l’UCPA et emmène son neveu belge, s’enquiert des conditions. Objectif : Doigt de Dieu. « Je l’ai fait il y a 20 ans, c’était en glace. Là ça doit être mieux. » La gardienne a le sourire amer. « Il y a 20 ans tout était en meilleur état ». La dame se rabattra sur le pic oriental, le plus aisé des trois points saillants de la Meije, 3891 m, quatre heures aller-retour. On annonce l’orage dans l’après-midi. Plein ce soir, le refuge sera vide demain. Quentin, l’aide, prend sa demi-journée. La fenêtre sera suffisante pour aller, là-haut, avec lui, siffler sur la Meije orientale. Et voir l’Aigle prendre son envol à l’aube.

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