Découvrez la Chambre du Turc : « On y fait les plus belles photos du Ventoux »

« Désolé mais on n’en fait pas la promotion… »

Le visiteur ingénu mis en garde

À l’office de tourisme de Gigondas, bien sûr que l’on connaît la Chambre du Turc. Mais on met en garde le visiteur ingénu sur les enjeux de la “balade”, quand bien même ce lieu de carte postale chargé d’histoire vaut le vertigineux détour. D’ailleurs, il n’existe pas de véritable topo de ce secret de Polichinelle si bien gardé. Dans le célèbre village viticole, de génération en génération, les gens du cru ont pendant longtemps entretenu ce rite qui consiste à grimper, une fois dans sa vie, à cette cavité haut perchée.

« Laisser la montagne libre, mais sans mettre en avant ce lieu insolite »

Guide de haute montagne dans le secteur, Régis Leroy se souvient du temps avant que le principe de précaution soit gravé dans le marbre où, avec une armada d’encadrants, il emmenait même là-haut des classes de CM2. Autre époque. Car la voie qui mène à cette grotte, défendue par un mur de pierre en ruines, juchée au sommet de la plus élancée des trois chaînes de Montmirail, est du genre incliné. Et se redresse à mesure qu’on se rapproche du but.

Quinze ans en arrière, Leroy a suggéré à la commune de ne plus baliser son accès, histoire de l’exonérer de sa responsabilité en cas d’accident, tant le terrain est aléatoire. « Vu l’évolution des comportements, c’était la garantie de faire travailler les pompiers. J’ai préconisé de laisser la montagne libre, mais sans mettre en avant ce lieu insolite ».

Faire en sorte qu’on n’y vienne pas par hasard… C’est vrai qu’il faut en chercher l’accès, depuis le sentier bleu qui fait le tour de la dentelle. Trouver la clé de la chambre relève désormais du jeu de piste. Il y a bien ces points d’assurance, histoire d’installer une corde fixe, que Régis Leroy avait placés. Entre chênes verts et buis, l’œil avisé remarque ces points orange effacés par le temps.

« Beaucoup de gens passent au pied sans savoir »

« Beaucoup de gens passent au pied sans savoir », observe l’accompagnateur en montagne du Ventoux, Pierre Peyret. « Il faut mettre les mains, être sûr de soi, ce n’est pas vraiment un itinéraire de randonnée ».

Parler d’escalade serait exagéré, mais il faut s’aider des mains dans ce crapahut qui par endroits ne tolère pas la chute. Jusqu’à une rampe rouillée, qui permet d’accéder à la caverne où il faut avoir l’âme aventurière plus que romantique pour donner un rendez-vous galant. Si on l’appelle la Chambre du Turc, c’est que son aménagement en tour de guet remonte au Moyen Âge et aux invasions sarrasines. Des siècles durant, elle offrit un poste de surveillance sur l’enclave des papes et la vallée du Rhône à qui voulait défendre ces terres. Comme d’autres points hauts du secteur.

Sur un promontoire face à la troisième dentelle, Grand Montmirail, la plus méridionale, subsiste encore le socle d’une tour sarrasine, pile dans l’axe de la vallée du Rhône, les Alpilles d’un côté, le Luberon de l’autre. « De là-haut, on pouvait voir les armées arriver avec deux jours d’avance, en apercevant la poussière de chevaux ». Entre la Chambre du Turc et la Tour Sarrasine, on communiquait par des signaux de fumée.

L’endroit n’a pas livré tous ses secrets

Si l’endroit a perdu sa vocation stratégique, il n’a pas livré tous ses secrets. On y pénètre ainsi par le sud, les vignes de Beaumes-de-Venise dans le dos. Au bout d’un étroit boyau, on en ressort sur l’autre versant, face nord, par une chatière aux airs de meurtière, qui mène à une vire au bord de 90 m de vide. Ambiance, et vue imprenable sur les ceps de Gigondas. Signe du passage, le rocher est patiné en diable. Par temps de grand mistral, on n’ira pas plus loin.

Plus que dix mètres de grimpette, sans regarder derrière, et nous voilà hissés le point culminant de la chaîne, la Dent du Turc (627 m), d’où le panorama à 360° permet de mesurer les liens entre les dentelles et le terroir à leurs pieds qui s’est nourri de leur calcaire, or blanc vieux de 140 millions d’années. « On y fait les plus belles photos du Ventoux, sur la plus esthétique des dentelles », commente Pierre Peyret, insistant sur l’apport de ce relief à la typicité des sols. Si le vin de Gigondas est prisé des œnologues, c’est à l’érosion de ce relief étonnant qu’il le doit.

Nul ne connaît mieux ces crêtes que Leroy. Il a imaginé un parcours d’arête qui débouchait sur la Dent et la Chambre du Turc. Et de mettre en garde les grimpeurs – en été, il fait désormais bien trop chaud, « on n’est pas à Chamonix » – ainsi que les profanes tentés de se fourvoyer vers la Chambre du Turc sans expérience ni encadrement.

« Un jour, en redescendant, à la bifurcation, je suis tombé nez à nez avec une famille, un chien dans les bras et un gamin dans le dos en suivant une application de randonneurs. Je leur ai dit qu’ils n’avaient pas vraiment la panoplie et qu’avec du matériel ce serait mieux. » Et la troupe de faire demi-tour, se disant qu’au fond, elle s’était épargné une bonne frousse. Car il n’est pas nécessaire de grimper les dentelles pour apprécier leur silhouette. Vues d’en bas, elles tricotent l’un des plus beaux paysages de Provence.

Article issu du Dauphiné Libéré

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