« La Grave est un passage obligé dans une vie de skieur »

C’est à La Grave et nulle part ailleurs. Pas de piste sécurisée, exceptée celle du téléski thermique au sommet du Dôme de la Lauze (3550 m) de plus en plus difficile à ancrer au glacier de la Girose, joyau des Écrins. Fonte oblige, on atteint l’appareil hors d’âge, tracté par une dameuse, depuis l’arrivée du téléphérique antédiluvien qui vous expédie en haute montagne en 40 minutes. Le voyage a toujours son charme désuet, mais peine à résister à l’air du temps.

Photo Le DL/Benoît Lagneux
Photo Le DL/Benoît Lagneux

Des rêves de pentes raides

Ici on ne vient pas par hasard. L’équipement est de rigueur : détecteur d’avalanches, pelle, sonde dans le sac et baudrier à la taille. Depuis le Dôme ou le col des Ruillans, 350 m plus bas, et jusqu’au village, à 1400 m d’altitude, il y a les classiques, matérialisées sur le plan par des pointillés : les vallons de la Meije ou de Chancel. Et pour les freeriders au cœur et carres affûtés des itinéraires d’envergure entre barres rocheuses, crevasses et coulées aux puissants aérosols. La Banane, Trifides ou la Voûte… Rêves de pentes raides.

L’exception culturelle du site tient aux dénivelés de ses pentes. « 2150 m qui font la différence », disait le slogan naguère. Réchauffement oblige, on redescend de moins en moins skis aux pieds à La Grave. Et c’est au P1, premier pylône transformé en quai de transit à 1900 m, que l’on ressaisit le train de cabines au vol pour un nouveau tour de ce manège inventé par un génie colérique de la remontée mécanique, le polytechnicien Denis Creissels.

Mais le caractère atypique du domaine tient aussi à un modèle unique au monde. Longtemps, la commune a été embarrassée juridiquement pour préserver cet esprit selon lequel « baliser revient à banaliser » et chacun skie sous sa propre responsabilité.

Photo Le DL/Benoît Lagneux
Photo Le DL/Benoît Lagneux

« Avec nos patrouilleurs, l’idée c’est d’intervenir avant l’accident »

Maire au début du siècle Jean-Pierre Servez, par ailleurs guide, justifiait : « Sur 2 000 m de dénivelé, impossible d’entretenir un service des pistes, avec un téléphérique qui transporte 400 personnes par heure. Les conditions nous ont obligés à être inventifs. Avec nos patrouilleurs, l’idée c’est d’intervenir avant l’accident. » Impossible aussi à sécuriser contre les avalanches des immenses flancs de la Meije (3 983 m).

Dans une nature non domestique, le ski est donc atypique. Les voilà, ces patrouilleurs, au pied du télé, dans leur petit chalet. On reconnaît la silhouette de Jérôme Gillet. 20 ans qu’il assure cette mission. Il rappelle l’historique de sa fonction. « À l’époque la commune avait été condamnée pour défaut d’information ».

Depuis l’ouverture du téléphérique en 1978, La Grave s’est fait épingler quatre fois par la justice administrative suite à des accidents. Les tribunaux pointant l’incitation de la station à venir consommer son produit « hors pistes ».

Aviser le skieur de l’enjeu des pentes où il met les pieds

D’où, depuis 2000, ce dispositif unique, instauré par un autre guide et adjoint au maire, Bruno Gardent. Les patrouilleurs en sont la cheville ouvrière. Leur mission : aviser le skieur de l’enjeu des pentes où il met les pieds. « Les nouveaux pratiquants sont tout de suite identifiés et comprennent le message à l’exception de rares têtes de lard » estime David Le Guen, directeur commercial du téléphérique.

Jusqu’en 2017 et la fin du forfait commun avec la station des Deux Alpes, de l’autre côté du Dôme de la Lauze, la frayeur des patrouilleurs venait de ces hordes issues d’un domaine aménagé qui, au prix d’une courte marche, basculaient par le haut sur ce versant. Tels des Huns affamés de poudreuse et non sensibilisés à la spécificité du site, ils échappaient à leurs mailles. Sur eux les pièges de la haute montagne pouvaient se refermer sans pitié.

Tels ce père et son fils retrouvés morts au pied du couloir d’Orcière. Dans leur sac, leur appareil numérique contenait une photo d’eux posant fièrement devant le panneau recommandant de ne pas s’aventurer là sans corde de rappel…

Dans les années 2000, une dameuse assurait même le transfert des « Deux Alpins » par le haut. Du temps de la « croisière blanche », un quart des 45 000 clients par hiver venait de l’autre côté.

Photo Le DL/Benoît Lagneux
Photo Le DL/Benoît Lagneux

« La clientèle des 2 Alpes ne vient plus chercher La Grave. C’est deux salles deux ambiances »

Depuis, finis les vases communicants. La fréquentation hivernale s’est affaissée à 35 000 skieurs (l’équivalent d’une journée pour une station de Tarentaise) compensée par la hausse estivale.

« La clientèle des 2 Alpes ne vient plus chercher La Grave. C’est deux salles deux ambiances », assure-t-on au téléphérique, pourtant géré depuis 2020 par Sata Group, qui exploite aussi les 2 Alpes et l’Alpe d’Huez.

Nous voilà partis, avec les patrouilleurs, à remettre les égarés sur le droit chemin, distiller la signalétique aux endroits stratégiques, effectuer de premiers secours. « Nous sommes les yeux des CRS et gendarmes de montagne », explique l’un d’eux, Charley Scemama, pisteur-secouriste 2e degré. Dans sa trousse, de la morphine. « Car ici les délais d’intervention sont plus longs en attendant l’arrivée du médecin ».

Photo Le DL/Benoît Lagneux
Photo Le DL/Benoît Lagneux

Américains ou Scandinaves affluent tous les ans

Avec nous aussi, le guide de veille, dont l’avis dicte l’ouverture du téléphérique. « Dès que le danger d’avalanche évolue de niveau 2 (limité) à 3  (marqué), on lance la commission d‘évaluation des risques », rappelle Pascal Guiboud, fidèle à ce poste depuis deux décennies. Ce jour-là c’est son remplaçant, le jeune Florent Barbier.

Depuis le Dôme, on fait le tour du propriétaire. On dévale le glacier de la Girose, aux crevasses comblées par les précipitations depuis l’automne. Direction le col du lac, sortie glaciaire qui oblige à déchausser, signe des effets du climat.

À la brèche Pacave, on bascule dans les vallons sous la Meije. La neige lisse, froide, malgré ce printemps au cœur de l’hiver. Pour Florent, c’est sûr : « La Grave est un passage obligé dans une vie de skieur ». Américains ou Scandinaves affluent tous les ans. Certains y restent toute la saison à s’enivrer de cette glisse au goût d’ailleurs.

Article issu du Dauphiné Libéré

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