Depuis 34 ans, il pratique le métier de guide et arpente régulièrement la vallée Blanche. Mais à la sortie de la galerie qui l’amène sur l’arête de l’aiguille du Midi, l’émotion reste la même pour David Ravanel. « C’est une descente comme il y en a nulle part ailleurs. Un concentré de la beauté que nous tend la haute montagne » confie l’ancien président de la Compagnie des guides de Chamonix. Un passage obligé dans une vie de skieur qui n’échappe pas aux assauts du réchauffement du climat.
Les ravages du réchauffement climatiques choquent
Quand le skieur évolue sur ce qu’il reste de la mer de Glace, dans la partie basse de l’itinéraire, les ravages du coup de chaud planétaire choquent. Ils se lisent toutefois dès le point de départ, à la sortie de la benne de l’aiguille du Midi.
Un panneau “crampons obligatoires” a été installé cet hiver. Il faut dire que l’arête à franchir à pied, étape obligatoire pour avoir le droit de skier la vallée Blanche, se révèle particulièrement en glace cette année. Les précipitations, insuffisantes et le vent, trop fort et trop fréquent, n’ont pas permis à la neige d’adhérer à cette épine gelée.
Les employés de la Compagnie du Mont-Blanc ont même dû redoubler d’inventivité pour planter les pieux et tailler le Z qui limitent le risque de dévissage, mais pas la sensation de vide, avec Chamonix 2800 m plus bas.
65 000 personnes font cette descente chaque année
Malgré le portillon annonçant sans ambiguïté, qu’au-delà, aucune piste aménagée n’existe, certains novices débarquent sans le matériel adapté. Un couple d’influenceurs a même été vu un jour s’y engager en chausson fourré, parole de cabinier !
Et pourtant, cette descente magistrale empruntée de décembre à mai par environ 65 000 personnes, demande plus que jamais de la vigilance. Entre crevasses béantes et séracs menaçants, ou chutes de pierre aux heures les plus chaudes, le skieur évolue dans un terrain piégeux, dont il ne prend souvent conscience que devant les chaotiques blocs de glace du secteur appelé “la salle à manger”.
Mais parfois, la fonte de ce tapis glaciaire capricieux leur facilite la tâche. « La combe du Requin s’est élargie depuis quelques années. Les skieurs moins à l’aise ont donc plus de place pour évoluer et les bosses se forment plus lentement », observe ainsi David Ravanel, qui, en bonne sentinelle du climat, profite de la vallée Blanche pour interpeller ses clients sur ce réchauffement dévastateur.
En haut, l’altitude et les températures qui restent fraîches, garantissent la qualité de ce gisement de poudre que l’on croyait longtemps infini. D’excellents virages sont toujours à se mettre sous les carres.
Il devient de plus en plus rare de pouvoir descendre jusqu’aux portes du centre-ville de Chamonix à ski
Mais en bas des 22 km jusqu’à Chamonix, la vallée Blanche se retrouve de plus en plus souvent amputée de son final. « Dans mes jeunes années, avec mon père, il suffisait de pousser sur les bâtons et de faire quelques pas de skating pour remonter à la buvette des Mottets », se souvient David Ravanel.
Aujourd’hui, le lit érodé du plus grand glacier de France prend des airs de canyon. Sa sortie impose de remettre les skis sur l’épaule pour grimper 150 mètres de moraine instable, l’équivalent de la perte d’épaisseur du front glaciaire. Et très rares sont désormais les jours où l’or blanc est suffisamment abondant à basse altitude pour redescendre jusqu’aux portes du centre-ville de Chamonix à ski.
Les pratiquants de ce hors-piste s’arrêtent donc presque tous au pied du Montenvers, après 14 km de glisse. De là, il fallait jusqu’alors remonter d’innombrables marches, rajoutées au fur et à mesure de la fonte du glacier.
Une nouvelle télécabine mise en service
Afin de garantir un accès facile au cœur du massif du Mont-Blanc et de remettre les visiteurs dans l’axe du glacier agonisant, la mairie de Chamonix et la Compagnie du Mont-Blanc viennent de mettre en service une nouvelle télécabine. 400 m de dénivelé pour rejoindre le train du Montenvers se font désormais assis sur une banquette confortable qui permet d’apprécier la vue sur les Drus ou les Grandes Jorasses.
Une évolution qui risque bien de prolonger l’attractivité de la descente qui représente plus de la moitié de l’activité hivernale de la Compagnie des guides de Chamonix. « Même si les plus anciens vous disent qu’elle a beaucoup changé, elle continue de faire toujours autant rêver », assure l’actuel président de cette institution chamoniarde. « La nature y fabrique toujours de nouvelles merveilles à découvrir, comme la grotte de glace qui est apparue d’elle-même dans la bédière, ce torrent gelé au niveau des moulins de la mer de Glace ».
« Petit, je voyais la vallée Blanche comme un terrain de jeu inaccessible »
L’enchantement suscité par cette descente éblouissante, aux variantes permettant de combler les envies de verticalité des plus aguerris mais aussi de dépayser ceux préférant les pentes plus douces, se lit toujours dans les yeux de Vivian Bruchez. « Petit, je voyais la vallée Blanche comme un terrain de jeu inaccessible. Un jardin d’altitude aux dimensions énormes qui m’a toujours impressionné et qui continue de le faire », livre le skieur de pente raide ému par la beauté du nuage iridescent qui surplombe ce jour-là les aiguilles de Chamonix.
Un voyage somptueux et marquant dont on revient avec l’image de ces monuments menacés par les émissions incontrôlées de l’humanité.
Article issu du Dauphiné Libéré