Soudain, l’apothéose. Le petit sentier émerge de la forêt d’épicéas et débouche sur une ligne de crêtes calcaire. Le lac d’Annecy s’offre à la vue du randonneur essoufflé, parvenu sur le toit du mont Veyrier, à 1290 mètres d’altitude. Les eaux, turquoise en bord de rive, bleu profond au milieu de l’étendue, reflètent mille rayons de soleil, comme autant de clins d’œil scintillants.
Au loin, on aperçoit tour à tour Annecy, le massif des Bauges, le Genevois au nord… Sur des rochers patinés par le vent, on mange son sandwich en silence, la vue happée par le panorama. Des hirondelles de rochers fusent dans l’azur, en faisant siffler le vent.
À la fois un lieu de randonnée loisir et un terrain d’entraînement idéal pour les traileurs
Montagne emblématique du lac d’Annecy, il y a bien des façons de vivre le Veyrier. Il est tout à la fois un lieu de randonnée loisir, un terrain d’entraînement idéal pour les traileurs, ou un souvenir empreint de nostalgie pour les plus anciens.
« La spécificité du Veyrier, explique Lauris Chaumond, guide de montagne au bureau des guides d’Annecy, c’est que c’est la montagne à la ville. On peut partir à vélo du bord du lac ou d’Annecy pour s’y rendre ».
Hachuré par d’innombrables sentiers de randonnée, il est possible de le gravir par tous les versants. Depuis son pied, ou par la route en se garant au col du Pré Vernet.
6 heures aller-retour depuis le bord du lac
Pour grimper les 900 m de dénivelé et affronter les six heures aller-retour, un des départs les plus connus se situe au Petit-Port, à l’extrémité nord du lac. Un petit chemin de pierre s’élève sans ménagement pour se perdre dans la forêt, à flanc de montagne. En journée, des colonnes de randonneurs aguerris défilent sans cesse. Et il n’est pas rare de doubler des touristes chaussés de Converse qui peinent un peu à monter.
Il est plus fréquent encore de se faire dépasser par un traileur déchaîné. Thibaut Garrivier est l’un d’eux. « Le gros avantage du Veyrier, explique-t-il, c’est sa pente raide. Je fais des séances navettes. J’alterne entre une forte montée régulière, et la course sur du plat, au bord du lac. Et j’enchaîne les montées et redescentes durant deux à cinq heures. Le Veyrier permet des séances de très bonne qualité. C’est du vrai trail. »
« C’est très satisfaisant de pouvoir monter là-haut après le boulot »
Et au crépuscule, à l’heure où flamboie le ciel, les falaises de calcaire du Veyrier s’embrasent de furieuses teintes orangées et violacées. Pour autant, dans l’ombre qui s’empare des lieux, les pas des randonneurs résonnent encore.
La nuit tombée, de petits points de lumière clignotent le long des crêtes, visibles depuis le lac. Lampes frontales enclenchées, des sportifs « se font le Veyrier » après le travail. « C’est très satisfaisant de pouvoir monter là-haut après le boulot. Le coucher de soleil est très beau, et redescendre à la frontale est folklo », confie Célanie, Annécienne depuis peu habituée de ces sorties nocturnes avec un ami, Corentin. « Et une fois en bas, poursuit ce dernier, on peut continuer la soirée et aller boire des verres en ville. Ça fait une belle coupure. »
- Pour partir depuis le lac : se rendre à vélo au Petit Port, se garer à côté du Sapaudia Express. Itinéraire balisé. Point bas : 447 m. Point haut : 1 290 m. Dénivelé : +966 m. Difficulté : Difficile. Durée moyenne : 6 heures.
- Pour partir de plus haut : se rendre au col du Pré Vernet en voiture. Le parking, bien indiqué est gratuit. Point bas : 908 m. Point haut : 1 290 m. Dénivelé : +382 m. Difficulté : moyenne. Durée moyenne : 2 h 45.
- Pas de point d’eau sur le parcours.
Un restaurant d’altitude trônait naguère
En poussant le long des crêtes, le chemin d’un coup s’élargit et fait entrer sur un grand terre-plein rectangulaire et désertique, bien géométrique. Ici, un restaurant d’altitude trônait naguère, alimenté en vivres et clients par un téléphérique. La gare, située à Veyrier, a été transformée en cinémathèque. Son exploitation cessa en 1984, mais son souvenir reste bien présent dans la mémoire de ceux qui l’ont connue.
Évoquer ce souvenir aux Annéciens les plonge dans une bulle de nostalgie. Chacun y va de sa photo d’archive et de ses réminiscences. « Je me souviens que l’on faisait le tour du lac en bateau, et qu’il s’arrêtait à Veyrier pour prendre le téléphérique, raconte Hélène. La montagne était animée avec les gens endimanchés qui se promenaient autour du restaurant. »
« On servait des patates avec du reblochon chaud dessus, les gens adoraient »
Détruite en 2001, la plateforme du téléphérique a laissé place à un grand espace dégarni au sommet du Veyrier. Loin du fracas mécanique d’antan, un panneau rappelle aux plus jeunes qu’un pan de l’histoire du lac d’Annecy trônait fièrement en ce lieu.
Gérard Blanc-Garin, le dernier exploitant du Restaurant du téléphérique, regrette sa disparition. « C’est un peu dommage que ça soit fini. Dans les meilleures années, on accueillait 64 000 clients par saison. »
Sa voix s’émeut quand il évoque les deux salles de 150 couverts, la terrasse de 120 places, et l’équipe de sept employés de son restaurant. « On faisait des filets de perche, de la charcuterie maison, du vacherin…, se souvient-il. À l’époque, la tartiflette n’existait pas, mais on servait des patates avec du reblochon chaud dessus, les gens adoraient… »
Voici le mont Veyrier, sous toutes ses coutures. L’éminence qui fait pleurer son téléphérique disparu, et pour qui coule la nostalgie, en bas dans la ville. Le mont où bruisse le souffle des randonneurs jour et nuit. La montagne qui ne dort jamais.
Article issu du Dauphiné Libéré
