“Where is Grand Couloir ?” Comment expliquer à cette touriste chinoise que pour gagner l’entrée de la piste la plus ardue de la célèbre station des Trois Vallées, depuis deux ans, il faut faire le tour par Méribel ? Suite à un incident spectaculaire lors d’un test de sécurité, le célébrissime téléphérique de la Saulire, navire amiral de la flotte mécanique de Courchevel, est à quai. Réouverture avec des bennes panoramiques (160 places) en décembre prochain. D’accès moins direct, du coup ce fameux Grand Couloir, on n’y va pas par hasard.
Mais qu’ont-ils tous, ces skieurs n’ayant pas froid aux yeux, à en chercher la voie ? Là où il y a une volonté il y a un chemin, disaient les alpinistes anglais jadis. On pensait que l’Éclipse, façonnée pour les championnats du monde excitait davantage l’imaginaire. Pensez… L’autre jour est venue une délégation de Gstaad, la sélecte station suisse qui a tant à envier à Courch’.
« L’arête arrête… Les moins téméraires »
Et les visiteurs n’avaient que le nom à la bouche de cette piste, l’une des plus dures au monde, derrière le couloir Corbet à Jackson Hole (Wyoming, USA) et sa corniche d’entrée.
Dès le débarquement au sommet de la Saulire, altitude 2740, toit du domaine, on est dans l’ambiance. Il faut se lancer sur une étrave de trois mètres de large, taillée à la pelle. Âmes sensibles, s’abstenir. À gauche Méribel, à droite la combe de la Saulire et Courchevel. Dixit Pascal de Thiersant, patron de la Société des Trois vallées (S3V), « l’arête arrête… Les moins téméraires ».
Une zone « Vertical expérience »
Deux panneaux signalent qu’on pénètre dans une zone « Vertical expérience » et nous font hésiter tel l’âne de Buridan. Face Est, le couloir Tournier, continu sur 650 m, pente moyenne 33°. Faute de carre interdite. Côté Ouest, aussi long, l’itinéraire se décline par un premier mur de chauffe suivi d’un replat pour mieux vous propulser dans le Grand Couloir dont la pente atteint 38,6° en son faîte aux airs de verrou rocheux. Là aussi, la chute serait désagréable en neige dure.
Stéphane Pfend, le directeur du domaine, confirme que la signalétique a pour but de dissuader les innocents et d’afficher les enjeux. « Et nous avons voulu valoriser ces zones à plus de 2000 m d’altitude ». Une célèbre marque de caméras embarquées a failli poser son nom versant Méribel. « Pas de pub dans cette zone de montagne » ont décidé les exploitants des sites.
Émile Allais emporté par une avalanche
Quand on s’élance sur l’arête creusée par les passages, main droite, une série de couloirs profilent leurs flancs qui ne se prêtent qu’aux carres bien limées : le panoramique, sous le téléphérique, l’antenne et le « Émile Allais ». Voilà qui rappelle que la station porte la griffe du pionnier. Arrivé en 1954, le premier champion français y a révolutionné le ski et inventé le métier de pisteur, suivant le précepte que « les clients ne paient pas pour la montée mais pour le plaisir de descendre ».
Si ce couloir porte son nom c’est qu’il y a été emporté par une avalanche, restant enfoui 20 minutes, en voulant sécuriser la combe en aval, skis aux pieds. Depuis des gazex, déclencheurs à distance, purgent le pan de montagne qui toise le reste du domaine.
Avec Allais, puis son élève, le futur patron des Trois vallées, Jean Cattelin, Courchevel invente le damage, expérimente le déclenchement préventif et le modelage des pistes. « Au début hormis la combe de la Saulire, plus sévère que la belle piste rouge d’aujourd’hui il n’y avait pas de piste. Le Grand Couloir était un itinéraire », explique Guy Lazzaroni, resté 47 ans au service des pistes (un record dans la profession). Ce vétéran, débarqué à 17 ans, abandonnant la carrière de charpentier suite à la chute d’un toit de chalet, se souvient que l’arête et ses couloirs étaient empruntés par les pisteurs pour faire partir les avalanches, multipliant les points de tirs.
Et un jour, naturellement Jean Cattelin décida de faire du « Grand Couloir », juste après le « Émile Allais », une piste, comblant le déficit de « noires » dans le secteur.
Vu le caractère dissuasif du départ, les accidents n’y sont pas légion
« À l’époque il n’y avait que les montagnards qui se lançaient, sûrs d’arriver debout, les accidents étaient rares. Vu la déclivité, si on tombe on va en bas. » Sur ce terrain pentu en diable, les pisteurs ont développé un art du maniement de la barquette. « Un devant, trois derrière pour éviter de partir. » Pour Guy Lazzaroni, vu le caractère dissuasif du départ, les accidents n’y sont pas légion.
« Dans le Grand Couloir, j’ai souvenir de François, un collègue pisteur secouriste venu récupérer le matériel d’une skieuse qui avait débaroulé. Il a tapé une bosse, est parti d’en haut et n’a pas pu s’arrêter, gravement blessé, la cage thoracique enfoncée ».
Rappeler la dimension « montagne » de Courchevel
Aujourd’hui les pisteurs interviennent parfois pour rassurer les « bloqués technique », impressionnés par la pente. Au-dessus, un hélicoptère s’entraîne au poser sur la Croix des Verdons, le sommet tutélaire de la station., Dégringolant de son épaule, le Grand Couloir est rapidement tracé après les premières chutes et se métamorphose en champ de bosses.
Les connaisseurs le contournent, pour aller chercher le « Curé », couloir voisin à l’ombre, réservoir de poudre, nommé ainsi en référence à ce doigt rocheux qui évoque la posture d’un prêtre.
Pour les exploitants du domaine, le Grand Couloir est plus qu’une piste. Il rappelle la dimension « montagne » de la station, plus connue pour son côté paillette. Sur le versant des Creux noirs, en face, ils ont créé le Freeride Lab. Depuis le démontage d’un télésiège difficile à exploiter, on accède à ce secteur redevenu vierge en 20 minutes de marche pour skier des itinéraires sécurisés contre les avalanches. Courchevel, autre Mecque du ski libre.
Article issu du Dauphiné Libéré
