Par Taranis, le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ? En cette fin de journée d’été torride (randonnée effectuée en août 2022), la question mérite d’être posée, alors que le ciel tonne et se déchire en éclairs. La station de la Croix de Bauzon, 1 365 m d’altitude, notre point de départ, est encore à deux heures de marche et on achève à peine d’explorer le premier versant du drôle de massif qui doit son nom au Jupiter gaulois ou au Dieu celte du Tonnerre.
Ici, la foudre frappe souvent
À vous rendre d’autant plus superstitieux qu’au Tanargue, feu et eau font bon ménage. Ce plateau ourlé de crêtes étroites, ces serres si caractéristiques, reçoit jusqu’à 2 000 mm d’eau par an et la foudre frappe souvent un relief oscillant entre 1 200 et 1 500 mètres. Comme au début du siècle dernier, lorsque le résident de la ruine du mas de Perreyre a été foudroyé devant sa cheminée.
Plus que le Gerbier, source de la Loire, dont le suc pointe à deux vallées de là, n’est-ce pas la montagne fétiche des Ardéchois ? Elle a inspiré deux distillateurs d’Aubenas qui ont baptisé leur whisky à son nom. « Pour produire, il nous faut un bon orge issu de la terre, de l’eau pour le transformer et du feu pour le distiller. Or le Tanargue est le point de rencontre de ces éléments », justifient les entrepreneurs patriotes et locavores.
Peignez donc en blanc la face nord du bien nommé mont Aigu (1 316 m), son sommet oriental, et vous avez une montagne suisse. Le Tanargue n’est pas le Cervin, dont la silhouette orne les boîtes de chocolat Toblerone, mais à l’auberge du Bez on lui a dédié une coupe à base de crème de marrons. C’est justement dans cette ancienne ferme que ce groupe d’Ardéchois venus du nord a passé la nuit. Eux sont partis pour en faire le tour depuis Largentière. Nos chemins se sont croisés juste sous le point culminant, à 1 511 m d’altitude.
« Pas besoin d’aller bien loin pour s’émerveiller »
Le Tanargue, c’est l’évasion au pas de la porte de ces touristes plus que bleu blanc rouge. Quel habitant du “07” n’a pas encore fait pèlerinage là-haut ? « On n’était jamais venus, confient les cinq amis du cru. La crise du Covid nous a rappelé qu’on n’avait pas besoin d’aller bien loin et encore moins sortir du département pour s’émerveiller. »
C’est là, sur le Grand Tanargue que se hisse le plus haut téléski de la dernière station de sports d’hiver de l’Ardèche, créée en 1937 par la société des enfants du Tanargue, reprise après-guerre par le ski club d’Aubenas et désormais tenue à bout de bras par le département. Moins de 200 mètres de dénivelé plus bas, à l’accueil de la station on loue des VTT car le relief se prête fort bien à ce mode de déplacement.
Que l’on soit randonneur ou vététiste la station suggère plusieurs boucles tous niveaux, de 4 à 20 km pour parcourir le massif. Début septembre on y dispute une épreuve de trail, où les plus costauds enchaînent les parcours jusqu’à avaler 118 bornes !
Comment y accéder ?
À partir de la Croix de Bauzon: d’Aubenas, prenez la N102 en direction du Puy. 5 km après, tournez à gauche en direction de Jaujac, La Souche jusqu’au col de la Croix de Bauzon (1308 m). Prenez à gauche la D319 pendant un km jusqu’à la station.
Depuis le col de Meyrand : même itinéraire jusqu’au col de la Croix de Bauzon puis descendre en direction de Saint-Étienne-de-Lugdarès et prendre la première à gauche, la D 24 en direction de Loubaresse
Quelle difficulté ?
5 heures de marche pour une vingtaine de km, au départ de la station jusqu’au col des Langoustines et retour, via le GR de pays balisé en jaune et rouge. Rajouter 2 heures depuis le col de Meyrand. 300 à 500 m de dénivelé selon que l’on effectue ou non les détours, par le Grand Tanargue et le signal de Coucoulude.
En combien de temps ?
Le grand tour en quatre jours : depuis Largentière, via le pont du Gua, Loubaresse, le col de Meyrand, Rocles. Soit 4 étapes de 10 à 22 km pour 200 à 1100 m de dénivelé par jour.
Ça monte, ça descend mais jamais violemment
Les plus entraînés partiront de sa véritable extrémité, occidentale, le col de Meyrand (1 369 m), là où passent les cyclistes candidats à la célèbre épreuve l’Ardéchoise et où les parapentes se jouent des thermiques. La Lozère est à côté et en dessous coule la Borne qui, malgré la sécheresse, s’offre toujours en ce mois d’août aux adeptes du canyoning.
On a quitté la forêt des Chambons, formidable réserve biologique aux sapins implantés il y a plusieurs centaines d’années, en provenance des Pyrénées. Au signal de Coucoulude, à 1 448 m, à l’aplomb de Valgorge, la lande reprend ses droits et la vie pastorale aussi. Les genêts embaument comme une odeur de bombine, le plat du cru, rustique et roboratif, fait de pommes de terre mijotées avec du lard ou de l’agneau. Les vaches placides mâchent une herbe jaune en regardant la barre des Cévennes et le Gard qui se profile. Blasées, les filles.
La Tanargue se traverse en respirant à pleins poumons. Ça monte, ça descend mais jamais violemment. Les familles se contentent du petit sentier pédagogique vers la prairie humide de Rieu Grand, qui résiste à la sécheresse de 2022. Un couple de Suisses a fui les chaleurs d’en bas, et vient cueillir la fraîcheur avec son chien qui tire la langue. Le cuivré des marais, papillon orange, colore le paysage. Dans le ciel, l’aigle royal déploie ses ailes.
Sept départements sont à nos pieds
Trêve de digression, il faut rejoindre le GR4 de pays qui traverse le Tanargue. Le panorama s’étend jusqu’aux Alpes, le Vercors, la Drôme et l’Isère. Côté sud, on aperçoit le galbe de sa majesté le Ventoux, phare du Vaucluse. On compte sur nos doigts… Sept départements sont à nos pieds.
Voilà le sommet de Méjan, dôme herbeux de 1 458 m. Des abris de berges dominent la Beaume mais les troupeaux se font rares. Surplombant vallées profondes et relief découpé, la traversée nous mène au col des Langoustines, drôle de nom juste sous le fameux mont Aigu, qui mérite le détour, avant de s’en retourner à travers les forêts domaniales de la Souche et du Tanargue. Au-delà le massif décline pour tomber sous la barre des 1 000 mètres et le col de la Croix de Millet, plongeant vers Largentière sous-préfecture assoupie.
Du mont Aigu, on domine la Souche et les éboulis nous rappellent qu’on est là aux avant-postes du Massif central. C’est l’autre versant. En bas coule le Lignon qui, il y a 100 000 ans, s’est frayé un chemin dans un paysage sculpté par la coulée de lave du volcan de Jaujac donnant au site son formidable décor d’orgues basaltiques. Le Tanargue, balcon entre ciel divin et terre rugissante, était aux premières loges pour assister au feu d’artifice.
Article issu du Dauphiné Libéré