On est allé faire un tour en haut du Pas de Chavanette, le dangereux « mur suisse »

 

« Et gros, tu fais quoi, là ? »
– J’ai peur, je remonte. On ne voit même pas le bas ! »

 

Ambiance, en cette matinée de brouillard, à l’attaque du célèbre Mur suisse, qui aura même rebuté ces banlieusards qu’on imagine en gros durs dans leurs éléments citadins. Patauds, après avoir trempé la spatule dans le vide, comme on plonge un orteil dans une eau glacée, les jeunes remontent en canard et passent leur tour. Spectacle routinier pour Eric Dubosson, chef des pistes du versant suisse des Portes du Soleil, 34 ans de métier. « Dès qu’on s’avance, on voit tout de suite le problème ». Le souci est aussi une attraction… universelle : la pente qui, d’entrée, affiche 90 % d’inclinaison, 42 degrés. Elle s’adoucit un peu ensuite mais le toboggan ne s’aplanit que 333 mètres plus bas. « Quand la neige est molle on peut s’arrêter en cas de chute, ça dépend des conditions. »

C’est pour permettre à certains de jauger la descente qu’en haut, les pisteurs suisses ont organisé une zone protégée de filets, belvédère pour qui veut en avoir le cœur net, savoir dans quoi il s’embarque ou, simplement, assister au spectacle qui se joue dans ce Mur suisse transformé en champ de bataille de skieurs culs dans la neige.

Une cassure dans la montagne fait office de départ. Photo Le DL /Tom Pham Van Suu
Une cassure dans la montagne fait office de départ. Photo Le DL /Tom Pham Van Suu

Entre la France et la Suisse, côté helvète

Pour aller le chercher, ce pan de rideau blanc, depuis Avoriaz, il faut monter sur l’un des sommets de la station. Au pas de Chavanette, altitude 2 150 m, prière d’avoir ses papiers. On est à la frontière, et en mitoyenneté du poste de secours, la discrète cabane appartient aux douaniers suisses. De temps en temps, ils réalisent des contrôles inopinés « de stups ». Ce passage a un long passé de trafic de cigarettes. À gauche du Mur suisse, une pente ourlée d’une corniche porte le nom de couloir des contrebandiers.

En 1968, c’est là que s’est nouée la connexion du domaine franco-suisse, l’un des plus vastes au monde. Jusque dans les années 90, c’était le passage obligé pour basculer d’Avoriaz aux Crosets et Champéry. Évidemment tout le monde n’a pas la capacité d’y tenir debout sur des skis. Raison pour laquelle le télésiège Chavanette, qui part d’en bas du mur, se prend aussi à la descente. En 1986, il a été emporté par une gigantesque avalanche, deux employés échappant par miracle à la vague de neige de 6 m de haut.

 J’y vais où j’y vais pas Sous le regard d’un public médusé, le dilemme pour le skieur face à la pente. Photo Le DL /Tom Pham Van Suu
J’y vais où j’y vais pas Sous le regard d’un public médusé, le dilemme pour le skieur face à la pente. Photo Le DL /Tom Pham Van Suu

Danger de mort

En 34 ans, Eric Dubosson en a vu de belles. Des as sont descendus en trace directe, 30 secondes chrono pour effectuer le petit kilomètre de l’itinéraire à 37 % de pente moyenne. Et des plus tristes. Car le Mur suisse peut aussi s’avérer mortel. À l’image de ce militaire américain qui, sortant du balisage, s’est retrouvé bloqué à l’aplomb des barres rocheuses et a chuté de 30 mètres, après avoir déchaussé. On compte une trentaine d’accidents par hiver et un décès tous les dix ans.

On comprend pourquoi, depuis quelques années, ce qui était à l’origine une piste noire a muté en itinéraire jaune. Une classification propre à nos voisins suisses. « Elle concerne les pistes que l’on ne peut pas damer. On les sécurise contre les risques de la montagne, les avalanches. Pour le reste le skieur est sous sa propre responsabilité », indique Eric Dubosson.

« Tout le monde n’a pas le niveau, beaucoup passent entre les gouttes »

 Eric Dubosson, chef des pisteurs des Portes du soleil suisses.<br />
 Photo Le DL /Tom Pham Van Suu
Eric Dubosson, chef des pisteurs des Portes du soleil suisses.
Photo Le DL /Tom Pham Van Suu

« Inutile de songer y organiser une compétition »

Didier Défago, le champion du cru (or olympique en descente à Vancouver, 2010), ignorait cette évolution : « Pour moi, c’est un champ de bosses. Sa particularité c’est sa pente très raide sur une portion longue. Inutile de songer y organiser une compétition ». Mais parfois, le skieur du dimanche n’en fait qu’à sa tête. « Tout le monde n’a pas le niveau, beaucoup passent entre les gouttes », regrette Eric Dubosson. À l’instar de cette skieuse miraculée après avoir dévalé le mur et basculé dans les barres sans la moindre égratignure, cet hiver. Fin janvier, un Anglais n’a pas eu la même chance. Ce jour-là, le Mur était vitrifié par la pluie montée très haut suivie du regel. Dur comme du béton. Une patinoire inclinée. « On avait fermé l’accès avec des filets », se souvient Eric Dubosson. Las, sur l’insistance de sa fille il s’y est lancé avec cette dernière et a chuté sous ses yeux. Il ne s’est pas arrêté. Récupéré au pied du mur, polytraumatisé, il n’a pas survécu, son épouse assistant depuis le télésiège au terrifiant spectacle.

En cette mi-mars, slalomant entre des bosses parfois plus grandes que soi, dans une neige bien ramollie par les températures douces, on n’ose imaginer pareil scénario. En face, les dents du Midi, dentelles de roc, profilent le galbe de leurs couloirs, tel celui de la dent jaune, constituant autant de défis pour les skieurs d’un calibre encore supérieur : extrême.

Les Saint-Bernard à la rescousse

Une fois en bas du Mur, au comptoir d’une cabane pavoisée du drapeau rouge à croix blanche, un large sourire invite à fêter la descente d’un verre de fendant, le blanc local. Il a comme un petit air familier… Jean-Noël, le tenancier de la buvette de Chavanette, n’est autre que le frère d’Eric. Voilà que le téléphone de ce dernier sonne. En haut, Luca Jacot Descombes, le chef de poste au pas de Chavanette, reçoit une alerte depuis le Mur. Pour aller ramasser les éclopés, les « Saint-Bernard » suisses utilisent des luges qui, ailleurs que dans cette pente, ne mobilisent qu’un seul pisteur. Vu la raideur du théâtre d’opérations, un deuxième patrouilleur manœuvre l’engin, attaché à une corde pour éviter qu’il ne leur glisse des mains, entraîné par la gravité.

Rien de grave ce coup-ci : une épaule démise. Le chef de poste relativise : « Dans le Mur, les interventions c’est soit en haut, soit en bas ». Entre ceux qui sont paralysés par la pente et ceux qui l’ont dévalée sur le derrière…

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