Bruno Cretin-Maitenaz, moniteur de ski et… sanglier dans le Jura

« Si l’animal du même nom est fort répandu dans nos montagnes, l’homme, sanglier de métier, est beaucoup plus rare… Bruno Cretin-Maitenaz, moniteur à l’ESF des Rousses, est de ceux-là. Maniant la plumette et la cuillère afin de prélever les rubans de « liber » dédiés à la fabrication des Monts d’Or et leur conférant ce goût boisé inimitable, il nous raconte son métier, issu d’un artisanat ancestral du travail du bois.

« Je suis sanglier, oui… Cette appellation vient du métier lui-même qui consiste à lever des sangles, mais aussi de l’animal, un solitaire qui travaille dans les bois, comme nous le faisons également. Cela fait dix ans que je façonne des sangles. Suite à la fermeture de l’usine de fabrication d’objets en bois où je travaillais, j’ai postulé auprès de l’entreprise des Gavottes, fabrique d’emballages bois de Bois d’Amont – dont les fameuses boîtes à Mont d’Or – qui recherchait un sanglier à ce moment-là. »

« J’étais dans les bois, j’étais bien »

« Ayant toujours travaillé le bois, je me suis proposé, sans trop savoir où j’allais. C’était en plein mois d’août, le patron de la fabrique m’a demandé quand je pouvais commencer ; j’ai attaqué le lundi suivant, sans aucune expérience ! Je me suis retrouvé face à un jeune déjà expert en sangles. Il m’a fait une démonstration à la scierie, m’a expliqué le procédé, comment il fallait écorcer les troncs d’arbres et, deux heures plus tard, nous sommes partis en forêt pour lever des sangles. J’ignorais tout de ce métier qui s’apprend sur le tas comme on dit – il n’y a aucune formation spécifique. Au début, je ne gagnais pas grand-chose, mais j’étais dans les bois, j’étais bien !

L’entreprise des Gavottes achète de très beaux bois pour confectionner ses boîtes, des épicéas que je sangle auparavant directement en forêt, cela m’assure du travail pour une bonne partie de la saison. En général, le bûcheron concerné me donne rendez-vous sur le terrain, il abat en priorité quelques épicéas, et j’interviens juste après l’abattage de l’arbre. Le plus souvent avant que le tracteur ne sorte le tronc de la forêt et ne l’abîme, même si cela peut m’arriver d’intervenir en bord de route sur des tas de bois qui ont été tractés. »

Photo collection Bruno Cretin-Maitenaz
Photo collection Bruno Cretin-Maitenaz

Un métier méticuleux

« Le choix des épicéas est primordial, on privilégie les très beaux spécimens avec des branches situées uniquement sur leur partie haute. Avec des troncs lisses, sans nœuds, pour lever des sangles de différentes longueurs correspondant au poids et à la circonférence des fromages. Les longueurs s’échelonnent de 40 cm à 1,20 m, les sangles les plus couramment commandées mesurant 42 cm. Tous les gestes effectués sur l’arbre se font logiquement dans le sens de la longueur. Je commence par écorcer la grume (tronc d’arbre abattu dont on a coupé les branches mais toujours recouvert de son écorce, ndlr) avec une plumette, outil avec un manche en bois et une lame bien affûtée qui permet d’ôter finement l’écorce. Puis, à l’aide d’une réglette et d’un cutter, je trace mes longueurs de sangle avant de les lever avec une cuillère, ustensile qui a la forme d’une cuillère avec une extrémité coupante qui fait exactement 33 mm de large, correspondant à la largeur des sangles inscrite au cahier des charges.

Par ce geste, je ramasse le liber, la partie tendre, blanche et feuilletée de l’arbre située entre l’écorce et le bois dur, dont l’épaisseur varie de 3 à 5 mm et où circule la sève. Je récupère ainsi des lanières molles et humides que je range dans un cabas pour les emporter chez moi. Je les range ensuite par paquets de vingt-cinq sangles que j’attache avec des élastiques à chaque bout pour les tendre et les mettre à sécher. Cette étape est très importante : le séchage s’effectue dans un emplacement où il n’y a pas trop de soleil, côté nord, et bien ventilé. Un degré d’hygrométrie trop élevé augmente le risque de moisissure, et là, les sangles sont fichues. Je les apporte ensuite à la fabrique des Gavottes qui poursuit le séchage si besoin, puis va les livrer, avec les boîtes, dans les fromageries. »

Un métier qui restera manuel

« En dehors de la fabrique des Gavottes, mon principal acheteur et fournisseur de bois, j’ai mon propre réseau, comme la plupart de mes confrères sangliers. En général, je suis prévenu de la coupe de bois par les bûcherons, puis j’appelle la scierie concernée pour avoir son accord avant de prélever des sangles. Ce n’est pas gagné à tous les coups car certaines scieries travaillent uniquement avec leurs propres sangliers, d’autres n’autorisent pas le levage de sangles car elles estiment que les traces de sangles abîment le bois… Je suis assez sceptique sur ce point de vue car il m’arrive de faire des sangles sur de très beaux bois que des menuisiers ou des luthiers achètent ensuite. Il faut savoir que les grumes non travaillées par les sangliers sont transportées en scierie où l’écorçage mécanique ôte simultanément le liber. C’est également pour cette raison que le métier de sanglier est et restera un métier manuel ; aucun outil mécanisé ne pourra séparer l’écorce du liber. De plus, les épicéas sont tous uniques, le tronc est parfois bien plat, ou plus au moins bosselé, l’écorce n’a jamais la même épaisseur, le liber récolté non plus, aucune machine ne saurait travailler aussi finement que la main de l’homme. » 

Levage des sangles d’épicéa. Photo collection Bruno Cretin-Maitenaz
Levage des sangles d’épicéa. Photo collection Bruno Cretin-Maitenaz

Un métier solitaire, mais pas monotone

« C’est un métier solitaire, mais loin d’être monotone ; les cadres et paysages sont différents, les coupes de bois aussi, on n’est jamais avec les mêmes bûcherons. Et on travaille par tous les temps, même sous la pluie. On peut bien gagner sa vie, mais il ne faut pas compter ses heures. Pour démarrer dans le métier, l’investissement est minime : une plumette, une cuillère, une réglette, un cutter, une lime pour affûter les outils si besoin, et un chiffon imbibé d’huile de cuisine pour les nettoyer et ôter la résine – surtout au printemps quand la sève est abondante et qu’elle vous gicle au visage ! L’huile de cuisine est neutre et non toxique, elle ne va pas altérer le goût du Mont d’Or qui, lui, vient du Haut-Doubs, de la région de Pontarlier.

C’est un fromage au lait cru à pâte molle. Après le démoulage, les fromagers enserrent les Mont d’Or avec les sangles qu’ils auront préalablement fait ramollir dans un bain d’eau chaude ou de vapeur pour éviter qu’elles ne cassent, et les font tenir avec un élastique. Les fromages sont alors prêts pour être affinés en cave avant d’être mis en boîte pour connaître une seconde phase d’affinage. La sangle et la boîte font partie intégrante des conditions de production. Hormis le fait de contenir la pâte coulante, la sangle d’épicéa diffuse un arôme boisé, unique et subtil, au cœur de chaque Mont d’Or dont 5000 tonnes sont écoulées à la saison dite froide, de septembre à avril. Cela représente 5 millions de mètres de sangles par an ! »

Une cinquantaine de sangliers dans le Jura

« Nous sommes seulement cinquante à soixante sangliers en France. Nous sommes certes concurrents, mais nous ne parvenons pas à fournir tout le monde. Il y a plusieurs raisons à cela : avant 1999, les sangliers étaient plus nombreux, une centaine probablement, mais suite à la tempête, de nombreux arbres tombés sont restés stockés durant plusieurs années et certains sangliers ont arrêté le métier à ce moment-là, par manque de bois frais. De plus, si le Mont d’Or est une AOP définie par sa zone géographique très localisée, le bois de la sangle d’épicéa ne l’est plus systématiquement. Même si certaines fromageries prônent le 100 % local et défendent le patrimoine comme la cave d’affinage des Rousses, d’autres se fournissent en sangles polonaises, évidemment moins chères… C’est dommage.

Je pense que nous pourrions sûrement être mieux organisés entre confrères sangliers car trop souvent, de très beaux bois sont coupés sans que nous obtenions l’autorisation de prélever le liber. Et les sangles devraient être exclusivement en bois d’épicéa du pays, pour préserver cette pratique artisanale ancestrale datant du XVIe siècle, typique du Jura et du Doubs, auparavant réalisée par les bûcherons, et qui a tendance à disparaître… Depuis quelques semaines, je suis à la retraite, mais je vais continuer d’exercer l’activité tout de même, tant que les doigts seront là, même si cela devient de plus en plus difficile avec les périodes de sécheresse. »

Affinage des Mont d’or, avec leurs sangles d’épicéa. Photo collection Bruno Cretin-Maitenaz
Affinage des Mont d’or, avec leurs sangles d’épicéa. Photo collection Bruno Cretin-Maitenaz
Son autre passion : l'enseignement du ski

« Originaire de Bois d’Amont, j’ai 62 ans, et j’ai toujours fait partie de l’ESF des Rousses, depuis 1983. J’ai obtenu le 1er degré ski nordique en 1984, puis le BEES en 1987. Dans l’enseignement, le contact avec la clientèle me plaît beaucoup, ça me change de mon activité solitaire ! Depuis deux ans, en partenariat avec l’ESF, je propose une sortie raquettes avec découverte du métier de sanglier. J’embarque tous mes outils, et on va se promener en forêt. J’explique tout le processus, et par chance je trouve toujours des troncs d’épicéas pour faire ma démonstration. J’arrive à trouver des arbres encore en bonne condition, abattus en automne, suffisamment frais et avec la partie tendre intacte. Les troncs peuvent être recouverts de neige, ceux-là sont généralement isolés du froid, et j’ai juste à balayer un peu. Par contre, lorsque le tronc est gelé, je prends mon chalumeau pour le dégeler… En soirée, je présente aussi l’activité à des centres de vacances, avec un diaporama à l’appui. Les gens apprécient ! »

Article issu de Traces, le magazine de l'ESF

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