L’été, elle est laissée dans son état sauvage et seuls les alpinistes à l’aise avec des crampons s’y aventurent. Mais l’hiver, l’arête de l’aiguille du Midi est sculptée par une équipe de huit à dix personnes afin de permettre aux bons skieurs, n’ayant pas toujours le pied montagnard, de s’offrir les plaisirs de la vallée Blanche.
Longue d’environ 150 mètres, cette épine de glace et de neige vertigineuse domine, d’un côté, la vallée de Chamonix et près de 1 500 mètres de vide jusqu’au plan de l’aiguille, de l’autre, le glacier et une pente qui ne laisse pas non plus le droit à l’erreur.
Faire profiter de la magie de ce hors-piste XXL au plus grand nombre
Afin donc de faciliter l’équipement de ce passage obligé pour avoir le droit de s’engager sur l’une des plus belles descentes des Alpes, les Chamoniards et l’exploitant du téléphérique de l’aiguille du Midi aménagent et modèlent l’arête, ce qui ne choque même pas les puristes appelant ailleurs à ne pas équiper la montagne. Certains y voient un lobby des guides qui n’ont ainsi aucun mal à commercialiser l’itinéraire, mais d’autres préfèrent y voir une généreuse tradition consistant à faire profiter de la magie de ce hors-piste XXL au plus grand nombre.
Quoi qu’il en soit, derrière les mains courantes et le Z qui adoucit considérablement la pente, se cachent trois à quatre semaines besogneuses mais surtout des forçats d’altitude qui méritent le respect. Ces employés de la Compagnie du Mont-Blanc se relaient à chaque début d’hiver pour dompter les caprices de l’arête. À la pioche ou à la tronçonneuse, ils dessinent le chemin que suivent les 65 000 candidats annuels à la vallée Blanche.
« Le premier jour, l’acclimatation est dure »
À cette altitude, chaque mouvement pèse un peu plus lourd et les éléments ne sont pas portés sur la clémence. « Le premier jour, l’acclimatation est dure », reconnaît l’un de ses travailleurs de l’ombre après avoir avalé un cachet d’aspirine pour combattre le mal de crâne qui s’estompera une fois redescendu grâce au téléphérique.
Chaque jour, ils sont deux ou trois à affronter quelques heures le froid. Pour préserver leur organisme, ils ne restent pas plus de quelques heures à s’agiter à cette altitude de 3 800 mètres et regagnent assez vite les autres postes de ce site touristique.
Certains ont beau être maintenant très expérimentés, la taille de l’arête se révèle à chaque fois complexe. Un défi de taille qui porte bien son nom. « C’est de plus en plus difficile chaque année », avoue Damien Girardier, le directeur des sites touristiques de la Compagnie du Mont-Blanc.
« On a quand même assez peu vu l’arête centrale dans cet état-là »
« Cet hiver, nous avons par exemple dû faire l’acquisition d’un nouveau perforateur pour planter les pieux, que nous n’arrivions pas à enfoncer dans une glace particulièrement dure ». Les précipitations, pas assez fréquentes et le vent, trop soutenu et trop régulier, n’ont pas permis à la neige d’adhérer suffisamment.
Le passage répété des skieurs sur la partie centrale a même un temps creusé d’importantes tranchées. Un élément qui n’aide pas à la fluidité sur cette fine nervure parfois embouteillée les journées de beau temps. « On a quand même assez peu vu l’arête centrale dans cet état-là », reconnaît Damien Girardier convaincu que le réchauffement du climat y est pour quelque chose.
Formée aux manipulations sur cordes, avec un rappel chaque début de saison, l’équipe de l’arête n’hésite pas à se pendre dans la face nord de l’arête pour creuser la glace. Parfois, il leur faut ensuite arroser le sentier qu’ils viennent de façonner pour fixer ce dernier, qui sinon, serait très vite abîmé par le passage des cordées. Un travail titanesque qui leur vaut souvent, de la part des habitués de l’itinéraire, des compliments plus que mérités.
Article issu du Dauphiné Libéré
