On en a tous un. Rangé dans le fond d’un placard de la cuisine ou posé sur une étagère de la cave… Dans tous les cas, il reste souvent à portée de main. Car si on le laisse volontiers tranquille en été, dès les premières baisses de température on retrouve au plus vite sa compagnie. Et l’appareil à raclette redevient vite notre meilleur ami. Quoi de mieux que du fromage fondu, des pommes de terre, de la charcuterie et “quelques” kilos en plus pour affronter le froid ? Un trio gagnant qui, chaque année, nous donne presque hâte d’être en hiver. Une recette toute simple qui existe depuis la nuit des temps ? Pas vraiment… La raclette ne régale les Français que depuis une cinquantaine d’années.
Une histoire qui commence en Suisse
Accompagnée de cornichons, de tomates ou, plus insolite, de crevettes… Dans des burgers ou sur des pizzas… Elle se transforme aujourd’hui au gré des goûts. Alors qu’à la base, c’est uniquement du fromage fondu. Eh oui, ni la charcuterie ni même les pommes de terre ne faisaient partie de la recette ! Quand on cherche l’origine de la raclette, on découvre une histoire toute simple. Celle de Léon, un vigneron qui, après sa journée de labeur, veut se réchauffer et se restaurer.
Si on aurait bien aimé que cette histoire se passe en France, c’est à la frontière, mais côté suisse, dans le Valais, qu’elle se déroule. Nous sommes au XIIe siècle et notre vigneron n’a rien sur lui pour cuisiner… à part un fromage. Léon n’est pas du genre à se prendre la tête alors il l’approche du feu et après quelques minutes, magie, le fromage commence à couler et régale le vigneron. Bon, on vous l’accorde, ça n’a rien de sorcier, mais pour notre Suisse, c’est tout de même exceptionnel. À tel point qu’il va en parler autour de lui et dans le Valais, on a l’air de bien apprécier cette nouvelle méthode de dégustation.
La raclette est-elle née ? Pas encore, seulement “le fromage rôti”. Mais le bouche-à-oreille va très vite. On aime se retrouver en famille ou entre amis, au coin du feu, pour faire fondre une meule. C’est même à la mi-août qu’on préfère la savourer quand les premiers fromages à raclette sont faits. En lisant cela, on sent que les plus gourmands d’entre nous pourront s’en servir comme excuse pour ne pas attendre l’hiver. Ni l’automne d’ailleurs.
La technique est donc simple : on pose une demi-meule sur une pierre que l’on place dans la cheminée. Dès que les premières bulles apparaissent, on verse le fromage sur des pommes de terre. Enfin, avant de le verser, il faut le racler. Et voilà comment, en partant d’un Léon le vigneron affamé et frigorifié, on arrive, au XIXe siècle, à la raclette. Il faudra attendre encore quelques décennies pour que la recette traverse les Alpes.
Une source de réconfort après une longue journée sur les pistes
Mais pas d’inquiétude, notre Léon bleu blanc rouge arrive bientôt. Pour cela, il nous faut quitter le Valais, ses montagnes et ses vignobles, pour nous rendre dans un paysage un peu moins bucolique : l’entreprise Richesmonts. Au début des années 70, un des commerciaux du groupe industriel serait rentré de Suisse, les papilles enchantées par une toute nouvelle saveur. Celle d’un fromage chaud et coulant autour duquel tout le monde se rassemble. Importer la raclette dans le pays du fromage ne pouvait être qu’une bonne idée.
Et sans surprise, c’est un véritable succès. De plus en plus, sur les tables des restaurants français, des demi-meules grillent sous les résistances électriques. Mais pas encore dans les foyers de madame et monsieur tout le monde. Dans les années 70, les sports d’hiver explosent… et deviennent vite le nouvel allié de la raclette. Les skieurs français ne tardent pas à en faire leur source de réconfort après une longue journée sur les pistes. Au fond, on n’est pas si loin de ce que recherchait notre Léon au Moyen-Âge.
Reste la frustration de ne pas pouvoir en manger chez soi… Là encore, l’industrie va venir à la rescousse. Cette fois, c’est Tefal qui, vers 1975, développe le premier appareil à raclette moderne tel qu’on le connaît aujourd’hui. Plus besoin d’être en station ! Pour rendre les choses encore plus simples, le fromage en tranches est commercialisé dans les années 90. Plus aucune excuse pour ne pas en manger.
« On vend énormément de raclettes sur internet »
Une excuse ? Qui a dit qu’il en fallait une. La raclette serait aujourd’hui le plat préféré des Français. Et ce n’est pas Bernard Mure-Ravaud, champion du monde des fromagers et Meilleur ouvrier de France, qui dira le contraire. Dans sa fromagerie Les Alpages à Grenoble, les ventes de raclette ne cessent de grimper d’année en année. « Ça devient un produit festif, pour le jour de l’An on a 80 % des commandes qui sont pour de la raclette, pour Noël c’est 10 %, avant c’était zéro. » Si le fromage rôti est né en Suisse, la raclette est presque devenue un de nos plats régionaux. « Quand les gens viennent à Grenoble et qu’ils veulent manger une spécialité locale, c’est vers la raclette qu’ils se tournent », constate, fier, le fromager.
Ce goût, ce côté “terroir”, il l’exporte au-delà des Alpes. « On vend énormément de raclettes sur internet. On en envoie dans toute la France. En ce moment, c’est surtout en Corse et en Bretagne. Récemment, des Belges nous ont commandé 180 paquets de fromage deux personnes. Ils vont être 360 à faire une raclette ! », explique Jimmy, responsable des commandes en ligne. Toutes les occasions sont bonnes. « Même pour un mariage ! », nous confie un traiteur, client de la fromagerie.
Et plus il y a d’adeptes, plus il y a de versions. Face au large choix de goûts de raclette qui existe aujourd’hui, Léon aurait de quoi être jaloux. « On ne vend pratiquement plus de raclette nature toute seule. On a une douzaine de raclettes aromatisées », détaille le fromager. Fumée, ail des ours, champignons, fleurs, pain d’épices, moutarde, fenugrec… Bref, tout le monde peut trouver fromage à son poêlon !
Article issu du Dauphiné Libéré
