Dans les coulisses du restaurant le plus haut de France, à 3 842 m d’altitude

C’est l’un des rares restaurants français où l’on risque plus le malaise que l’indigestion. Aucun n’est plus haut et l’altitude, redoutable coupe-faim, assène une double peine sur les organismes fragiles. Thierry Pasquet, le chef de salle, recense une tablée sujette au mal des montagnes tous les 15 jours. Mais les estomacs en béton apprécient les plats du maître restaurateur, le chef Cédric Lerin. Dans sa minuscule cuisine (5 m2 ), ce solide gars du Sud-Ouest, 37 ans de métier dont 13 à l’aiguille du Midi, passé par les Relais & Châteaux, a fait de la faiblesse du lieu, le manque d’oxygène par rapport au niveau de la mer, une force. « Ici tout est fait maison, sauf le pain. »

Ici, l’eau boue à 80°C

À près de 4 000 m d’altitude, la température d’ébullition de l’eau descend de 100 à 80°C. Le chef s’en accommode : « Je ne fais ni pâtes ni riz. Juste des légumes frais. » Il privilégie les cuissons à basse température sous vide. Il a surtout développé un sens de l’optimisation d’un espace, réduit au minimum, sur le piton nord de l’aiguille du Midi, coincé sur un rocher, percé par la gare d’arrivée du téléphérique le plus haut du pays. « Impossible de pousser les murs. Alors il faut être organisé et ne sortir la vaisselle qu’au dernier moment ». Rien de surperflu ne traîne. Et quand il fait – 20°C dehors, la température monte à 40°C dans la cuisine où Cédric absorbe deux litres d’eau. Pas de quoi impressionner les convives du Moyen-Orient.

Format de poche, la salle à manger accueille 30 couverts, et offre une vue à couper le souffle sur les Grandes Jorasses, la dent du Géant et la vallée Blanche. Photo Le DL/Gregory Yetchmeniza
Format de poche, la salle à manger accueille 30 couverts, et offre une vue à couper le souffle sur les Grandes Jorasses, la dent du Géant et la vallée Blanche. Photo Le DL/Gregory Yetchmeniza

« Le soir, on ne sort pas en discothèque »

Le personnel a beau être acclimaté, à chaque reprise la tête tourne, et le pic-vert tape au crâne en période de jour blanc. Le Doliprane à portée de main, les hôtes du 3842 vous diront qu’une journée de travail pèse lourd. « Le soir, de retour dans la vallée, on ne sort pas en discothèque ». Si le restaurant propose un service limité au midi, la journée du chef commence dès 5h30, 2 700 m plus bas. Il faut réceptionner les marchandises acheminées par camions à Chamonix. Et leur faire prendre la première benne de 6 heures. Il y a surtout l’incertitude de la météo qui dicte les ouvertures, bouleverse les emplois du temps et la gestion des stocks. En juillet, le téléphérique fut souvent arrêté par le vent. À l’hiver 2014-2015, le 3842 a composé avec 30 jours de fermeture.

« Margaux », une tartiflette revisitée

Bien qu’il ne soit pas étoilé au Michelin, l’établissement vaut le détour. Ne serait-ce que pour la douceur de Margaux, tartiflette revisitée du chef, à base de crème de reblochon et de chips de jambon. Malgré le superlatif éclatant de son nom (le 3842 est en fait situé à 3 790 m d’altitude, 50 mètres plus bas que la plateforme sommitale du piton sud), la notoriété de l’adresse est inversement proportionnelle à son élévation. C’est qu’il faut la trouver, cette bonne table, cachée derrière la cafétéria ! Un anonymat qui ne pénalise guère une activité limitée à 30 couverts. Et plutôt haut de gamme (48 euros entrée, plat et dessert).

Ouvert à l’année sauf en novembre le 3842 capte une clientèle internationale (le menu est traduit en 45 langues) qui ne vient pas par hasard depuis 1986 et sa création. « Au début, deux baies vitrées plongeaient dans la vallée de Chamonix », explique Christophe Puydenus, le directeur du restaurant, où il a commencé il y a 35 ans, en cuisine. La modernisation du téléphérique, 5 ans plus tard, a bouché cette vue à 180°. Mais aujourd’hui, le client jouit toujours d’un panorama époustouflant sur les Grandes Jorasses et la dent du Géant.

Le chef en train de concocter sa spécialité, le délice de Margaux. Photo Le DL/Gregory Yetchmeniza
Le chef en train de concocter sa spécialité, le délice de Margaux. Photo Le DL/Gregory Yetchmeniza

Scène d’amour dans la salle à manger

Depuis 2021 et la sortie du Covid, le 3842 a retrouvé un peu de lumière. Peintures et luminaires – jugés vieillots – ont été refaits pour le tournage du film La Montagne. Passionné d’alpinisme le réalisateur Thomas Salvador donnait corps à un scénario qui le hantait depuis 20 ans. L’histoire d’un homme, ingénieur parisien, happé par l’appel des sommets, qui décide de ne plus redescendre. Un projet suspendu en 2004 à la mort du grimpeur Patrick Bérhault, avec lequel Salvador tenait à faire son long métrage. Et qui s’est concrétisé en sortie de crise, avec pour rares décors intérieurs ce restaurant unique où la gracile Louise Bourgoin enfile la tenue du chef… Cédric.

Et il s’en passe de belles dans le 3842 ! Même une scène d’amour. Ce film, distingué par la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, fut la révélation de 2022. L’intrigue vire au fantastique quand le personnage est confronté à d’étranges formes lumineuses, forces telluriques, fantômes du passé, spectres revanchards du climat…

Le 3842 est assez peu signalé, discret, estompé par la cafétéria, passage obligé des touristes pour prendre la benne et redescendre vers Chamonix. Photo Le DL/Antoine Chandellier
Le 3842 est assez peu signalé, discret, estompé par la cafétéria, passage obligé des touristes pour prendre la benne et redescendre vers Chamonix. Photo Le DL/Antoine Chandellier

La prochaine mutation du 3842 sera invisible pour le touriste. La société SERAC, qui gère les restaurants d’altitude de Chamonix, est reprise par la Compagnie du Mont-Blanc, l’exploitant des remontées mécaniques qui va en confier la gestion à la Maison des Drus, co-actionnaire. L’occasion d’une autre métamorphose? Voilà des années que sommeille dans les cartons le projet d’un plus vaste resto dans des locaux de TDF : 250 m2 situés dans le piton sud, de l’autre côté de la passerelle qui enjambe le vide, empruntée par 500 000 visiteurs chaque année pour admirer le mont Blanc, skier la vallée Blanche ou partir à l’assaut des cimes.

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