Sur LeBonCoin, une poignée de planches “historiques” à des prix répulsifs cherchent preneurs. Mais le “swell” de la seconde main, le Skwal ne connaît pas. La grande popularité non plus. Pour nombre d’usagers des domaines skiables, il s’agirait presque d’une légende entretenue au coin du zinc, de la fermeture des pistes aux petites heures du matin. On voit la scène d’ici : dans le bruit de verres à bière qui s’entrechoquent, un “pull rouge” raconterait qu’il connaît l’homme qui connaît l’homme qui a vu le Skwal.
Pourtant si cette planche à glisser ne s’est jamais extirpée d’une certaine confidentialité, elle n’en demeure pas moins la plus belle machine à trancher la neige que l’homme ait inventée. Patrick, dit Thias, Balmain et Manuel Jammes en portent la paternité.
« Il faut monter dessus pour comprendre ce qu’est le Skwal »
Le premier spécimen du genre goûte la neige en 1992. Un seul ski large, deux fixations de type surf alpin placées l’une derrière l’autre, un skieur sans bâtons qui fait face à la piste. Et c’est tout. Dans un mouvement fluide de balancier, il taille des courbes d’une précision chirurgicale en creusant un profond sillon. On l’imagine guidé par un rail. Les skwaleurs les plus engagés dévalent les pistes bleues – clairement le terrain d’expression le plus approprié avec une neige pas trop dure -, voire rouge, en s’allongeant quasiment sur la neige. Le geste est magnifique. Sur les télésièges c’est l‘épidémie de torticolis à chaque passage.
Oui mais voilà, le Skwal d’alors a comme principale qualité, son pire défaut : son exigence technique et physique. « Faut reconnaître que c‘était une bête de course, on était dans l’extrême carving, fallait être à fond dedans », concède “Thias” Balmain. Fallait surtout de la vitesse et des cuisses d’acier pour guider des “couteaux” nommés Guépard, Carving 183°F ou Freecarve 180. Pour les plus extrêmes, le rayon de courbe est de 15 mètres. Impossible de serrer plus. Oubliez la petite godille, levez le nez et anticipez la trajectoire, conseils d’ami. Ce fameux virage coupé que les skis paraboliques popularisent au début des années 1990, le Skwal l’a tout simplement poussé à son paroxysme.
Après des premières planches sorties des ateliers du fabricant de skis Lacroix, le Skwal selon Balmain s’imagine sous la marque Thias. Une petite dizaine de sociétés ou “shapers” se lance dans l’aventure et vient aussi nourrir les envies des premiers adeptes. Ceux-ci tracent pas mal du côté de la Maurienne. Val Fréjus, Saint-Sorlin d’Arves sont de vrais nids. Des fans poussent comme des champignons un peu partout dans le monde, aux US et au Japon. Sur le web, le site Skwal Zone donne une voix à la communauté et la discipline se dote d’une instance avec l’Association européenne de Skwal (AES). Un championnat d’Europe voit même le jour.
Le Free Skwal, un successeur plus joueur et plus accessible
Au début des années 2000, l’engin a tout pour conquérir les pistes. Sauf que le temps du carving est déjà en train de faner. Le snowboard se fait avec des boots et l’esprit du freeski montre le bout de sa spatule. Le skieur n’aspire qu’à une seule chose : sortir des pistes pour tracer des « virolets » dans la “peuf”. Chose que les premiers Skwal, peu polyvalents, ne permettent pas. Ou pas bien. La déferlante n’arrivera ainsi jamais. “Depuis le début j’ai dû vendre 10 000 à 12 000 planches, ce n’est pas beaucoup. Alors oui, on peut dire que le Skwal est confidentiel en nombre de pratiquants, mais c’est un engin qui marche. On peut faire toute la publicité du monde, il faut monter dessus pour comprendre ce que c’est et les sensations qu’il procure” défend Balmain.
Il y croit toujours dur comme fer, Patrick. Au point de revenir à la charge en cette saison 2023-2024 avec une nouvelle série de planches. Tout l’hiver, la Skwal Riders Association porte la bonne parole dans les stations des Alpes en organisant tests gratuits et autres démonstrations. Les premiers retours sont élogieux. Plus courts, plus larges, « plus faciles et moins extrêmes », les Skwal d’aujourd’hui sont tout simplement plus joueurs, plus accessibles. « Durant la période Covid, je me suis mis sur la planche à dessin, le résultat était bien, alors on est reparti. On a refait une société l’an dernier avec quelques investisseurs skwaleurs. On est en phase de développement. J’ai pas mal travaillé sur l’accessibilité. Le Skwal a pris 3 cm de largeur au patin, on est à 14,7 quand on était à 12 avant, c’est énorme ! Du coup, cette nouvelle version est plus polyvalente, on l’utilise des bâtons pour plus d’aisance et on peut faire du freeride ». Et forcément moins de carving pur. Mais plus de terrains à explorer et de skieurs à séduire.
Non le Skwal n’est pas mort ! Voici venu le temps du Free Skwal.
Article issu du Dauphiné Libéré
La Skwal Riders association organise cet hiver des journées d’essais gratuits, des nouvelles planches de Patrick « Thias » Balmain : prochain rendez-vous dans la station des Gets (Haute-Savoie) les 9 et 10 mars. Le premier rassemblement Free Skwal Fest aura lieu du 5 au 7 avril à La Plagne.