« Coloquinte, cyanure, anthropopithèque ! … » Vous avez la scène ; celle où le capitaine Haddock hurle dans les neiges tibétaines, déclenchant une avalanche qui l’ensevelit ? Le sherpa Tharkey l’avait pourtant averti : « Toi pas crier, Sahib… Avalanches ! … » Eh oui, dans l’album Tintin au Tibet (1960), Hergé s’est offert un raccourci radical sur le déclenchement des avalanches. Qu’en est-il hors d’une case de BD ?
Le très sérieux Institut suisse pour l’étude de la neige et des avalanches (WSL) s’est penché sur la question. Il est arrivé à la conclusion que oui, un son très fort peut déclencher une avalanche. Le son est une onde. Et comme toute onde, dirigée vers une surface, elle exerce une pression sur celle-ci et la déforme. Imaginez un manteau neigeux, ou regardez-le par la fenêtre de votre villégiature alpine. C’est beau, c’est blanc et ça paraît si fragile… Focalisez-vous sur ce secteur particulièrement instable, là, qui a reçu la veille de la neige transportée par le vent. Ce secteur avec une pente dépassant les 30°; l’archétype de la zone instable où la plaque à vent est susceptible de se détacher à la moindre sollicitation.
Même la Castafiore…
Imaginez maintenant notre onde sonore arrivant sur zone en comprimant l’air devant elle. Au contact, elle va déformer la structure de la neige et possiblement provoquer le déséquilibre fatal à la tenue de la plaque sur la pente.
Un son peut donc déranger un manteau neigeux
D’ailleurs, pour en revenir à Tintin, le professeur Tournesol n’expérimente-t-il pas cette propriété dans l’album de 1956 L’affaire Tournesol ? Hergé s’est inspiré pour cela des expériences sur l’infrason menées par les nazis – notamment le projet Luftkanone, destructeur de bâtiments (et d’organes humains…) – pour décrire l’invention du professeur. Seule différence, Tryphon Tournesol explore l’ultrason plutôt que l’infrason.
Mais revenons à Haddock, à son cri et au WSL. Il résulte de l’étude suisse que pour qu’un son puisse déstabiliser une pente enneigée, il doit passer la barre des 200 Pascals (unité de pression). Or, quels que soient votre bonheur hurlé en montagne et la capacité de votre organe vocal – fussiez-vous La Castafiore -, vous n’aurez guère de chance de dépasser les 2 Pascals. Pensez, même le bruit d’hélicoptère ne produit que 20 Pascals…
Egosillez-vous si ça vous chante
Alors égosillez-vous si ça vous chante, mais à part effrayer la faune environnante et casser les oreilles de ceux qui viennent à la montagne pour son silence, vous ne déclencherez que le courroux des voisins qui eux, rêveront de vous voir muselé par une petite-coulée-pas-bien-méchante, « bande de bachi-bouzouks ! »
Article issu du Dauphiné Libéré
