Farçon ou farcement : le véritable plat national savoyard !

Le célèbre Norbert Tarayre, vedette de l’émission “Top Chef” sur M6, et qui a fait ses gammes du côté de Megève, a tenté de lui rendre hommage à sa façon, au farçon. Ou plutôt au farcement. Gare à ne pas confondre car le procès en hérésie n’est jamais loin, aux yeux des puristes, selon le fief où l’on se trouve, du nord au sud des pays de Savoie.

Toujours est-il que lors de son tour de France des plats typiques pour la chaîne de télé 6ter, “La Grande vadrouille de Norbert”, l’ambassadeur a tenté de revisiter le plat à base de pommes de terre et de fruits secs à 2 300 m d’altitude dans la station de Val Thorens. Mais c’est peu dire que les experts sollicités, les sages gastronomes de la confrérie du farcement du pays du Mont-Blanc, n’ont pas goûté sa variante expéditive.

Norbert Tarayre. Photo Le DL
Norbert Tarayre. Photo Le DL

« C’était sympathique », relève avec diplomatie Monique Burnier, figure de la confrérie. « Mais le résultat n’était pas le même. Il avait creusé les pommes de terre au lieu de les rapper. » Surtout, trop pressé, le chef cathodique nous avait cuit le tout sans moule en 60 minutes chrono au lieu des quatre heures traditionnelles.

N’empêche, le bon Norbert avait jeté là un petit rond de lumière sur ce que Marie-Thérèse Hermann, grande prêtresse de la cuisine savoyarde, a consacré véritable plat national du pays d’en haut (Dictionnaire de la cuisine de Savoie, traditions et recettes, Éditions Bonneton). Des chefs étoilés du cru lui font aussi les yeux doux.

Julien Machet : « C’est le plat du dimanche ou des jours de fêtes du pauvre »

À la Tania, près de Courchevel, Julien Machet, un macaron au Michelin, lui fait honneur puisque son établissement s’appelle… Le farçon. S’il s’est improvisé colporteur des cuisines de Savoie, le chef n’en sert pas régulièrement à sa table. Mais il a un souvenir ému de celui de sa mamie. « J’aime bien ce qu’il représente. C’est le plat du dimanche ou des jours de fêtes du pauvre. On y trouve des produits de cave et de grenier, ce qu’arrivaient à stocker les gens autrefois. Moi je mets du safran, des raisins secs, de la crème, des pommes de terre Bintje et du lard, lentement cuit au four. Mais il y a autant de recettes que de clochers. »

Julien Machet. Photo Le DL/Thierry Guillot
Julien Machet. Photo Le DL/Thierry Guillot

Alors farcement, farçon, voire farci, que recouvrent au juste tous ces termes ? Bien plus que trois recettes différentes, variant selon la grande diversité de matières pouvant entrer dans leur composition. Marie-Thérèse Hermann nous aide à y voir plus clair, relevant deux particularités communes : le fait de mêler le sucré et le salé et la pomme de terre comme matière première. Quoiqu’avant l’arrivée de la patate par chez nous, au XVIIIe siècle, les plus anciens farçons (terme générique) étaient réalisés à base de rave ou de choux.

À la confrérie du farcement, Monique Burnier note une différence de taille dans la façon de préparer ce qui s’apparente à des gâteaux de pommes de terre riches en lipides, recouverts de tranches de lard.

Au bain-marie et dans un moule particulier, la rabolire, ressemblant à celui du kouglof – sans strie sur les côtés et aux airs de lessiveuse – pour le farcement qui, autrefois, se préparait dans des panses de vaches, façon haggis. Quand les farçons, eux, sont cuits au four – à pain jadis -, en cocotte ou après avoir fait bouillir les patates. Mais là encore, la durée de cuisson est une constante. Trois à cinq heures à feu doux.

« Historiquement, c’était le plat dominical ou du soir de Noël que l’on préparait avant d’aller à la messe, le temps de la cuisson. Il était prêt au retour pour se mettre à table. Il était également servi les jours où les paysans faisaient les foins. Plus généralement, c’était le plat de toutes les bonnes occasions. »

Si la tradition du farcement est répandue du Chablais au Faucigny (Haute-Savoie), la vallée de l’Arve et le pays du Mont-Blanc en sont devenus la plaque tournante. Notamment avec la culture de prunes et pruneaux des coteaux de Passy. Mais à peine 20 km en amont, dans la vallée de Chamonix, certains gastronomes préfèrent y mettre des myrtilles et en face à Combloux, des cerises. Voire le cuire à la poêle ou au cerfeuil, comme en Tarentaise. Alors si chacun fait bien comme il veut, pourquoi irait-on jeter la pierre à l’illustre Norbert qui, sans façons ni contrefaçons, a fait la promotion du farçon ? Enfin du farcement, évidemment.

La recette de la confrérie du farcement

Basée à Sallanches, au cœur du pays du Mont-Blanc, au pied des massifs des Aravis ou des Fiz, la confrérie du farcement est un aréopage de passionnés de patrimoine. Ces fins gourmets conservent la tradition de la recette ancestrale de ce gâteau de pommes de terre râpées, agrémenté de raisins, pruneaux, lard, lardons, cuit dans le fameux moule, la rabolire. « Elle s’était perdue. Même des gens du pays ne la connaissent pas », commente la consœur Monique Burnier. Une bonne raison pour ces compagnons de la patate lardée d’en revendiquer les origines dans ce secteur de la vallée de l’Arve. Leur apostolat a longtemps reposé sur un concours annuel organisé dans la station de Combloux, auquel Mercotte, la célèbre critique culinaire, était venue donner son verdict. Ils ont même entretenu l’ambition d’accorder un label aux restaurateurs proposant la vraie recette. Monique Burnier nous en livre les secrets.

Pour un farcement de 8-10 personnes, rassembler les ingrédients suivants :
•3 kilos de pommes de terre,
•500 g de pruneaux,
•200 g de raisins secs,
•200 g de lardons,
•20 tranches de lard,
•du sel et du poivre,
•de la muscade,
•une cuillère à soupe de crème fraîche,
•deux œufs et une cuillère à soupe de farine si les patates sont humides.

Attention, pas trop fines les tranches de lard. « Pour que le farcement soit bien aggloméré et forme un gros gâteau. Et c’est décoratif »

Rapper les pommes de terre crues à la main, avant d’y incorporer tous les ingrédients. Attention la râpe doit être grossière pour éviter les fils. « Il est primordial de bien graisser le moule (avec du beurre ou de la graisse de canard) que l’on garnit avec les tranches de lard en longueur, debout ». On y ajoute le mélange et on laisse cuire au bain-marie pendant 4 heures.

Le démoulage est l’opération la plus délicate. Pour la dégustation, c’est aussi excellent, réchauffé, le lendemain. Le diot, véritable saucisse made in Savoie, constitue le complément idéal. Ou alors une viande en sauce. Estomacs sensibles s’abstenir.

Article issu du Dauphiné Libéré

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