Il était une fois les sports d’hiver : la neige de culture, entre miracle et mirage

Pour l’économie du ski, c’est toujours la martingale. Ceux qui soulignent la fin du modèle, dénoncent sa consommation d’eau ou l’impact visuel des retenues de stockage. Comme le Viagra, cette invention, cocktail d’eau et d’air, « shaké » par le courant électrique, est un produit dérivé de son premier usage. Après-guerre, des ingénieurs aéronautiques sont intrigués par la formation de givre sur les ailes d’avion, fruit de l’association entre air, humidité et baisse de températures. En Californie, des agriculteurs ayant installé un système de ventilation pour protéger les vergers du gel observent la formation de cristaux. C’est dans l’État de New York, dans les années 50, que les premières installations à des fins de loisirs voient le jour.

La neige de culture fait son apparition en France en 1963

En France, la station vosgienne du Champ du Feu commencera à enneiger de la sorte sur de courts dénivelés en 1963. Mais à partir de 1973, c’est à Flaine (Haute-Savoie), site pourtant naturellement bien enneigé, que le promoteur Eric Boissonnas eut l’idée d’y recourir à grande échelle sur les 600 m de la piste Mephisto. L’ambition était ensuite d’étaler les saisons et d’accumuler suffisamment d’épaisseur pour pouvoir skier jusqu’à l’été dans cette station sans glacier culminant à 2500 m d’altitude. Décidément le plan Neige fut propice aux idées les plus folles.

L’usine à neige primitive de Flaine ne pouvait produire par température supérieure à -5°, selon un processus énergivore, ne fonctionnant que la nuit. Ce fut néanmoins un laboratoire qui allait inspirer, doucement, d’autres stations dans les années 80. Homme de toutes les expériences, l’ex champion James Couttet, sur son petit domaine chamoniard des Bossons suivra. En 1978, Méribel sera une des premières à embrayer.

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Si les hivers 1963/64 et 89-90 restent dans les annales en matière de déficit d’or blanc, ils n’ont pas réduit à néant l’activité ski alpin. Mieux, ils ont soudé la filière dans l’adversité, l’obligeant à mutualiser ses efforts et forger sa capacité d’adaptation. Les stations de ski ont dû faire face aux hivers secs.

Fin 1989, on compte 130 stations équipées dans le monde. Parmi elles, l’Alpe d’Huez (Isère), s’est dotée de plus de 200 canons au moment des trois hivers successifs sans neige, au tournant des années 1990 anticipant l’avenir. À l’époque le patron des pistes Christian Reverbel, aujourd’hui boss de Vars (Hautes-Alpes) justifiait son choix : « Les vacances de Noël 87 furent un tel échec qu’il a fallu se décider rapidement. Outre les pertes financières énormes, l’Alpe perdait son image de marque de station d’altitude garantissant le ski au client. » Dans les cinq ans le nombre de domaines équipés va doubler en France.

Photo Le DL/Stéphane Pillaud
Photo Le DL/Stéphane Pillaud

Avoir une épaisseur du manteau minimum de 20 cm à Noël et février

40 ans après les professionnels justifient ce choix, associé à l’arme du damage, de l’engazonnement estival des pistes, voire du « snowfarming » qui consiste à protéger d’un hiver sur l’autre des stocks de neige sous bâche : « Aujourd’hui, sur une piste bien aménagée et broutée, on peut ouvrir une station avec à peine 10 cm de neige de culture et 10 et 15 cm de neige naturelle ».

Mais au XXIe siècle, la douceur récurrente va contrarier les enneigeurs. La saison 2006-2007, avec des remontées de pluie inédites sera édifiante.

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Depuis quelques années, certaines stations françaises se sont mises au snowfarming. Un nom qui n'évoque pas grand-chose au commun des skieurs, mais qui permet d'anticiper l'ouverture de certains domaines sans produire de neige. Le snowfarming, ou comment conserver la neige durant l’été.

Certes la technologie a changé. On produit même à température positive. Fabricants et start-up se font fort de développer des systèmes d’appoint moins énergivores, plus rapides. « En 20 ans, les coûts ont été divisés par dix », estime-t-on chez Technoalpin, un des leaders.

Les stations calibrent leurs canons pour mieux épargner l’eau, sollicitant les services de Météo France et de l’Institut national de recherche pour l‘agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). On parle de gestion prédictive de cette ressource.

À l’automne 2018, fort sec, certaines communes ont dû refréner leurs ardeurs pour ne pas priver leur population d’eau potable. Pour mieux gérer leur stock de neige, les « jardiniers de l’or blanc » s’appuient non pas sur l’Almanach du Vieux savoyard mais les modèles météo. Et ajustent leur production en cohérence avec de nouveaux indices de viabilités des stations : une épaisseur du manteau minimum de 20 cm à Noël et février.

Une logique qui devrait préserver la skiabilité des plus hautes jusqu’en 2050, mais aussi rehausser les consommations d’eau. Mais ne dispensera les massifs d’engager ou poursuivre le virage de la diversification. Voire tourner la page du ski.

Samuel Morin. Photo Le DL/Benoît Lagneux
Samuel Morin. Photo Le DL/Benoît Lagneux
Stop ou encore : Climsnow

Les perspectives climatiques remettent en cause la durabilité du ski. Les études menées par Météo France et l’Inrae sont formelles. Sans réduction d’émissions, à peine une vingtaine de stations pourront fonctionner en 2100, malgré la neige de culture. Cette dernière permettra à la plupart de tourner jusqu’en 2050, mais au prix d’un investissement et une consommation d’eau qui méritent une sage réflexion.

L’heure des choix est là. Après un prototype établi pour les 23 stations du département de l’Isère, les deux institutions ont mis au point avec le bureau d’études Dianeige, Climsnow (prospective enneigement station), un instrument pour guider les stations dans leur investissement et adapter leur stratégie touristique sur la base des projections futures de l’état du manteau neigeux en fonction des scénarios climatiques de réchauffement. Samuel Morin directeur du Centre National de Recherches Météorologiques (Météo France et CNRS) parle « d’une méthode opérationnelle en réponse à des besoins de territoires ».

À chaque commune d’évaluer la pertinence de l’investissement au vu de son altitude, ses ressources, de l’impact écologique et de la place du ski dans son économie. Sur la base du rapport Climsnow, la station de Métabief (Jura) envisage une sortie du ski en 2040 et lève le pied sur les équipements de son domaine. La Région Sud ou le département de la Drôme aussi ont sollicité l’expertise.

Article issu du Dauphiné Libéré

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