Ne lui parlez pas de montagne meurtrière. Sylvie Samycia Umbauer est une cabossée de la vie, pas une gueule cassée de l’alpe. Au contraire, son univers de prédilection l’a aidée à se relever de ses traumatismes. Le premier remonte à son enfance alsacienne. « Le directeur de l’école, où j’apprenais la clarinette, s’est occupé précocement de mon éducation sexuelle. J’ai subi un viol. » La victime n’exercera jamais le métier de professeure de musique. À 17 ans, elle a la révélation lors de vacances à Chamonix. Et décide de s’y installer deux ans plus tard.
Exit l’enseignement de la clarinette, la jeune femme tape à la porte de l’UCPA, passe le monitorat de ski en Suisse et entame la formation de guide. C’est dans l’encadrement en altitude qu’elle fait sa vie. Jusqu’au jour où elle faillit s’arrêter net.
« Je sors de mon corps et rencontre la mort »
Au pied du rocher des Gaillands, la célèbre école d’escalade, elle ne passe pas inaperçue. Sylvie Umbauer n’a qu’un bras pour se hisser, ne sent pas le sol sous ses pieds et des plaques en métal soutiennent sa colonne vertébrale. La prothèse qui lui tient lieu de membre supérieur droit lui donne des airs de femme bionique. Super Sylvie a un mental de fer. « Une volonté incroyable », glisse Fanny Devillaz, monitrice d’escalade qui l’a accompagnée dans sa reconquête. « Vu mon handicap, ma mutuelle me donnait droit à des séances de sport. C’est comme ça qu’on s’est encordées », explique la grimpeuse, invalide à 80 %.
La montagne comme une thérapie, à rembourser par la sécurité sociale ? L’exemple de Sylvie pourrait nous en convaincre : « C’est le fil conducteur de ma vie. Grâce à elle, je suis encore là. Il a fallu se battre pour continuer à y aller. » Car le second uppercut que lui adresse l’existence survint, ça ne s’invente pas, un vendredi 13. En ce jour de mars 2015, une tempête de ciel bleu souffle sur les Alpes, il y a foule aux départs des stations. Trop pour aller au ski. Les routes sont sèches, l’air est doux, un air de printemps avant l’heure. Alors, Sylvie et Éric, son mari, décident de ressortir les motos du garage.
La balade, agréable, s’achève par la route sinueuse qui descend des Carroz d’Arâches, lorsque le drame survient. « On se retrouve derrière un convoi exceptionnel avec une centaine de voitures à doubler. À trois virages de la fin, en dépassant un camion, j’ai bloqué les freins sans savoir pourquoi. » Sylvie perd le contrôle de la moto qui s’encastre contre la glissière. Elle est éjectée entre la roue et la carlingue du 44 tonnes.
Le restant de sa vie en fauteuil
« Et là je sors de mon corps, je rencontre la mort. Cette grande lumière blanche, magique. Une expérience incroyable, dans un calme absolu. Je vois mon corps inerte et moi au-dessus, habillée comme sur ma photo de classe de 5e. » Des rives de l’au-delà, Sylvie raconte s’être arrachée en pensant à sa fille Camille. « Elle avait 11 ans, l’âge où on a besoin de sa maman. » Évacuée avec deux poumons perforés, douze côtes cassées, le genou plié à angle droit, le sang qui coule de la bouche, elle se réveillera après cinq jours de coma. Un bras en moins. « En réanimation, le médecin m’apprend que mon pronostic vital est engagé. J’ai trois vertèbres arrachées et la moelle épinière touchée. ». Le praticien lui assène le pire des diagnostics. « Vous passerez le restant de vos jours en fauteuil, vous ne pourrez plus marcher. »
Incrédule, l’accidentée dit à ses proches : « Cause toujours j’irai au mont Blanc ». La suite ? Un long combat fait de souffrances qu’elle a raconté dans un ouvrage ( Impatiente, Paulsen, éditions Guérin). « Mais je ne perdais jamais le moral. » Il lui fallut d’abord bouger ses doigts de pieds, réapprendre à se tenir assise, debout et… remarcher. Trois ans et quatre mois plus tard, la revoilà sur le toit des Alpes, avec son fils Robin, son mari Éric, et Doumé, guide investi dans l’encadrement des handicapés.
Une première randonnée, un an après l’accident
Sa formule magique ? « 80 % se jouent dans la tête. Je me souviens de ce vendredi où j’ai dit à ma kiné que dans une semaine, je ferai mes premiers pas. Sept jours plus tard, entre les barres de la salle, j’effectuais trois pas désarticulés, un demi-tour, m’appuyant sur deux personnes, avant de m’affaler. Un effort de folie, plus fatiguée qu’au mont Blanc. »
Et sa première randonnée, un an après l’accident. « Au refuge de Loriaz au-dessus de chez moi, à Vallorcine. Il m’a fallu trois heures, là où je montais en 45 minutes. Heureuse mais triste. Car il y a la frustration de ne plus retrouver les sensations d’avant. » Cette joie amère, on la devine en la voyant sur la paroi des Gaillands, dans une voie de débutant. « Qui me semble aussi dure que du sixième degré, mon niveau avant l’accident. »
450 km et 25 jours de marche
Pour son retour à la montagne, la résiliente au grand sourire s’est constitué un arsenal. « Une prothèse pour l’emboîture à la base du bras, à laquelle je fixe des outils bricolés par des amis ». Un caoutchouc de béquille percé d’une lame de piolet recouvert de gomme pour adhérer sur les dalles en escalade ; un clip pour le vélo ou le ski et un piolet intégré pour la cascade de glace.
Et huit ans après, la ressuscitée a relevé un nouveau défi. « J’en rêvais avant mon accident. » La traversée des Alpes, des Contamines Montjoie à Menton. 450 km, 25 000 m de dénivelé et 25 jours de marche, avec sa fille Camille pour porter ses affaires et lui donner la main dans les pas difficiles. « On a même dépassé du monde », sourit celle qui rêve de revenir sur les pas de sa jeunesse à l’aiguille Verte ou au Cervin. L’espérance est le nouveau moteur de sa vie.
Article issu du Dauphiné Libéré