L’histoire de Sophie Lavaud, qui a gravi les 14 plus hauts sommets du monde

Au poignet, quatorze bracelets, comme autant de sommets dépassant la cote symbolique de 8000 mètres sur Terre. « Je suis fière de les porter au nom de la France », clame Sophie Lavaud, devant le petit comité réuni à la résidence du Consul général de France à Genève. Elle vient de recevoir, ce 15 mai, jour de ses 56 ans, les insignes de chevalier de l’ordre du mérite, sur proposition d’Amélie Oudéa-Castéra. Son mérite ? Avoir brisé la malédiction qui frappait ses compatriotes dans cette quête himalayenne, à une altitude où l’humain ne peut survivre plus de quelques heures. Tous sont morts…

À peine une cinquantaine de personnes dans le monde, une poignée de femmes, l’avaient précédée avant ce 26 juin 2023 qui la vit atteindre , par -18° de température et des vents à 50 km/h, l’ultime marche, le faîte de la montagne tueuse, le Nanga Parbat (8 126 m), au Pakistan. Après le K2 le plus difficile des “Quatorze”. Apothéose de sa deuxième existence.

Remise des insignes de chevalier de l'ordre du mérite à la résidence. Sophie Lauvaud entourée de Clément Leclerc, consul général de France à Genève et de Blaise Agresti, ancien patron du secours en montagne de la gendarmerie.   Photo Le DL /Antoine Chandellier
Remise des insignes de chevalier de l'ordre du mérite à la résidence. Sophie Lauvaud entourée de Clément Leclerc, consul général de France à Genève et de Blaise Agresti, ancien patron du secours en montagne de la gendarmerie. Photo Le DL /Antoine Chandellier

Des débuts en alpinisme tardifs

Le premier jour du reste de sa vie a commencé à 36 berges, deux décennies plus tôt. Elle a arrêté de fumer, ses rêves de devenir danseuse à l’Opéra se sont envolés, c’est la révélation en étrennant des crampons sur un pari, au mont Blanc. « Il s’est passé quelque chose, la sensation de dominer le paysage et l’effort intense pour y parvenir ». Le lendemain, elle demande à son ami d’enfance, Jean-Marc, de lui apprendre l’alpinisme. Dans l’Himalaya, il n’a jamais pu la suivre, victime d’un accident de ski. Alors de chacun des 14 pics, elle lui ramènera un caillou qu’il glissera dans son aquarium.

Sophie Lavaud reste un mystère qui bouscule le milieu des alpinistes revendiquant un certain purisme et pourfendant le grand cirque qu’est devenu l’Himalaya. La réussite de cette “suiveuse”, seconde de cordée qui utilise de l’oxygène en bouteille et ne sort pas des voies classiques, déstabilise. Elle, peu loquace, semble se libérer au moment de cueillir ces honneurs tombés du ciel. « Sophie refuse de rentrer dans les codes des aventuriers à la communication boursoufflée » explique le réalisateur et guide de haute montagne François Damilano qui l’a rencontrée en 2012 au pied du Shishapangma, sa première expédition à 8000, l’a suivie à l’Everest, en 2014, et filmée au Nanga Parbat, son “Dernier sommet” », titre du documentaire qu’il lui consacre sur Canal +.

1 500 nuits sous la tente

Le dernier sommet, documentaire de François Damilano qui a suivi pas à pas la dernière marche de son grand chelem des quatorze plus hauts sommets de la Terre.   Photo Le DL /Canal Plus
Le dernier sommet, documentaire de François Damilano qui a suivi pas à pas la dernière marche de son grand chelem des quatorze plus hauts sommets de la Terre. Photo Le DL /Canal Plus

Une femme pleine de contrastes

On voit l’ex cadre commerciale dans l’hôtellerie et les cosmétiques, à l’état brut. Aux antipodes du personnage lisse qu’on soupçonnait. Dans le dur et ce mur Kinshofer, principale difficulté du Nanga Parbat, une pente de neige de 1 000 m qui s’effiloche dans une paroi rocheuse, elle bataille pour se hisser sur les cordes fixées par les sherpas. « Barre-toi, tu me déconcentres » lance-t-elle à la caméra qui pénètre son intimité. Et redit son mantra : « Seule, je ne serais allée nulle part en Himalaya ». Sur place il y avait Sangay, ange gardien qui l’a guidée sur la moitié de son challenge. En France, Yann Giezendanner, le routeur météo qui lui a dicté le ciel.

Étonnant contraste entre le salon du consul, à Coligny, la chic commune genevoise, qui domine le lac Léman, où voisinent les villas de milliardaires, et les 1 500 nuits passées sous la tente en onze ans d’aventure pour 24 expéditions. L’humilité : premier trait de caractère que retient chez elle le colonel Blaise Agresti, ancien patron du secours en montagne de la gendarmerie, en lui remettant sa distinction. L’élévation des femmes, il connaît. En 1966, sa mère devint la plus haute femme du monde : 7 400 m, au Noshaq (Afghanistan). À l’automne il publiera un ouvrage sur l’histoire de l’alpinisme au féminin (Glénat). Sophie Lavaud y figure en bonne place. Tout en restant… à sa place. Et de louer sa rigueur et son organisation digne d’une mécanique horlogère honorant sa part suisse (native de Lausanne, de parents français, elle a la double nationalité). Et surtout cette patience pour saisir ce que les Grecs appelaient le Kairos, cette fenêtre d’opportunité. « Le faire une fois, à 8 000 ça n’arrive parfois qu’une fois dans une vie mais quatorze, c’est exceptionnel. » Et de laisser cette question en suspens : pourquoi elle, la fille ordinaire, y est arrivée, là où les plus talentueux français y ont laissé leur vie ?

« Mon amoureux, c’est l’Himalaya »

Avec Sangay, son ange gardien, à l’assaut du Lhotse (8516 m), quatrième plus haut sommet de la Terre et voisin de l’Everest au au Népal. Photo Le DL /Antoine Chandellier
Avec Sangay, son ange gardien, à l’assaut du Lhotse (8516 m), quatrième plus haut sommet de la Terre et voisin de l’Everest au au Népal. Photo Le DL /Antoine Chandellier

« Malgré les drames, les échecs, jamais elle n’abandonne, toujours y retourne »

L’humilité se double de ténacité. À l’instar de cette phrase qu’on l’entend prononcer dans le film. « Je doute souvent de mes capacités, je dois mettre beaucoup d’énergie pour y arriver ». Sophie Lavaud refait le chemin, depuis Argentière, l’appartement de vacances de la vallée de Chamonix. Son père Jean, ancien chasseur alpin, et sa mère Marie-France, hôtesse de l’air, parmi les premières clientes des treks Allibert qui lui ont donné le goût de l’ailleurs. La mort du premier, la maladie d’Alzheimer de la seconde sont comme des électrochocs qui la poussent à vivre plus haut.

L’année de son Everest, elle dit non à sa deuxième demande en mariage. C’est le basculement : « Mon amoureux, c’est l’Himalaya ». Elle plaque tout pour se consacrer à la course aux 8 000 mètres. « Malgré les drames, les échecs, jamais elle n’abandonne, toujours y retourne » observe Damilano, admiratif. La passion transcende, les rencontres inspirent. Et la suite ? « La politique comme Herzog, conquérant de l’Annapurna, ou Mazeaud, premier Français à l’Everest ? », demande le consul, Clément Leclerc.

Et c’est pas fini !

Suivant le proverbe tibétain, en haut de la montagne, Sophie continue de grimper. Elle était ce printemps sur le Cholatsé, sommet himalayen plus technique. Elle repart en juin au Denali (Alaska), point culminant d’Amérique du Nord pour boucler les 7 summits des 7 continents. Avec désormais ce fol espoir que sa réussite soit une source d’inspiration pour les femmes et les générations futures.

À voir, Le dernier sommet , François Damilano, sur Canal + Docs à partir du 23 mai, 21 heures.

Article issu du Dauphiné Libéré

 

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