« Vous avez de la chance de me trouver, je suis sur le départ. » Reconverti dans la viticulture depuis 32 ans, tour à tour maire de Ménerbes au pied du Luberon, député sous Chirac, créateur du premier musée dédié aux tire-bouchons, d’une maison de la truffe et du vin et d’un merveilleux jardin botanique perché sur les hauteurs, Yves Rousset-Rouard (83 ans) a décidé de refermer sa parenthèse provençale pour rejoindre Paris.
Dans le salon cossu du magnifique domaine viticole de La Citadelle, qui n’est déjà plus le sien, celui qui fut l’un des plus célèbres producteurs français dans une autre vie, est à la recherche d’une bouteille qui lui tient à cœur, ultime hommage aux Bronzés font du ski. « Il y a deux ans, j’ai eu l’idée de fêter le 40e anniversaire du film à Val d’Isère avec les comédiens. J’avais fait cette cuvée spéciale avec un QR code sur l’étiquette pour écouter la célèbre chanson du film avec un smartphone. »
“Just because of you”, l’inénarrable générique composé par Pierre Bachelet, remplit la pièce et les souvenirs remontent à la surface comme par enchantement.
« Dès que j’ai vu les premiers rushes à Paris, pendant le tournage des Bronzés , j’ai su qu’on ne s’arrêterait pas là »
Issu d’une famille de savonniers marseillais, Yves Rousset-Rouard est un jeune producteur qui compte au milieu des années 70, lui qui a eu l’audace – pour son premier projet – de miser sur l’adaptation cinématographique d’un roman érotique sulfureux, Emmanuelle , avec un succès incroyable à la clé. Mais le meilleur est à venir, avec cette fois-ci l’adaptation d’une pièce de café-théâtre, Amours, coquillages et crustacés , qui lance au cinéma une troupe de comédiens inconnus, “Le Splendid”, dont son neveu… un certain Christian Clavier.
Sorti en 1978, Les Bronzés attire 2,3 millions de fans dans les salles obscures. De quoi donner des idées au producteur qui imagine déjà une suite à ce marivaudage post-soixante-huitard à l’humour féroce. « En réalité, dès que j’ai vu les premiers rushes à Paris, pendant le tournage des Bronzés , j’ai su qu’on ne s’arrêterait pas là. »
Les stations de ski en plein essor, sont pour lui le terrain de jeu idéal pour retrouver Jean-Claude Dusse, Popeye, Gigi et leurs amis. « Moi, je voulais tourner à Megève. C’était l’idée que je me faisais d’une station de sport d’hiver avec ses jolis chalets en bois. Mais mon neveu, Stéphane, le frère de Christian, moniteur de ski à ses heures perdues, me persuade d’aller à Val d’Isère alors que sincèrement à l’époque, c’était horrible avec ces grandes barres d’immeuble. »
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« Ils ne voulaient pas ressembler aux Charlots »
Reste à convaincre les comédiens de replonger dans cette aventure collective qui avait si bien fonctionné en Côte d’Ivoire pour le premier opus. « Ce n’était pas gagné » sourit encore aujourd’hui, Yves Rousset-Rouard. « Cette notion de suite les agaçait. Ils ne voulaient pas ressembler aux Charlots qui cartonnaient avec leurs films. »
La première mouture est loin de convaincre le producteur. « Ils me racontent l’histoire d’un avion qui s’est écrasé dans les Alpes. Jugnot avait même imaginé comme sous-titre, “On a mangé l’hôtesse de l’air”, en référence à cette tragédie dans les Andes où les survivants d’un crash aérien avaient mangé les morts pour survivre. » La petite troupe du Splendid est priée de revoir sa copie, mais sans Michel Blanc qui prend ses distances avec l’écriture collective. « Michel n’a pas participé au scénario », confirme notre hôte. « Il n’aimait pas son personnage alors que tout le monde l’adorait. Jouer le rôle d’un has been, ce n’est pas évident pour un jeune comédien qui construit sa carrière. Mais l’idée, c’était d’avoir ses caractères bien différents sinon il n’y aurait pas eu d’histoire. »
L’alchimie n’est plus tout à fait au rendez-vous. Des tensions apparaissent, sans que ça ne chagrine outre mesure le patron. « Certains avaient tendance à se plaindre comme Dominique Lavanant parce qu’elle estimait qu’elle n’était pas aussi bien considérée que les autres. Sincèrement, les bisbilles durant un tournage, ça a toujours existé. Tant que ça ne se voit pas à l’écran, ça n’a aucune importance. »
Le succès en salle sera relatif : 1,5 million d’entrées
En musclant leur intéressement sur les recettes Yves Rousset-Rouard fait en sorte que les comédiens s’y retrouvent financièrement. « Ils ont préféré être payés en droits d’auteur plutôt qu’en salaire, mais ça, ils en parlent moins », sourit-il, en évoquant des cachets logiquement revus à la hausse. Le succès en salle sera relatif. 1,5 million d’entrées. C’est bien moins que le premier chapitre, même si le producteur avance une explication. « Les Bronzés font du ski est sorti juste avant Noël (ndlr, 1979). C’est le moment où il y a le plus d’encombrements dans les salles avec les blockbusters américains. »
Cela ne l’empêchera pas d’imaginer de nouveaux épisodes. « Je rêvais d’une suite avec les Indiens. Je les envoie tous les trois aux États-Unis (Ndlr, Jugnot, Clavier, Lhermitte). À leur retour, j’ai eu droit à une page blanche. » Plus tard, il envisage même un épisode au camping, bien avant Patrick Chirac. « Jugnot m’avait proposé comme sous-titre, “Rallume, il y a un moustique”, rigole encore aujourd’hui notre hôte. « À ce moment-là, ils commençaient à être sollicités individuellement, ils avaient envie d’être seuls sur l’affiche. Ils n’ont pas voulu repartir dans cette aventure. »
« Je n’ai jamais retrouvé une addition de personnalités aussi fortes »
Yves Rousset-Rouard se consolera avec Le Père Noël est une ordure, qui finira d’asseoir l’humour noir du Splendid en 1982. Il faudra attendre 2006 – et un autre producteur, Christian Fechner – pour relancer la machine avec Les Bronzés 3, amis pour la vie , qui va certes attirer plus de dix millions de spectateurs au cinéma, mais qui va décevoir jusqu’aux fans les plus inconditionnels.
Quant à l’homme de l’ombre, sans qui rien ne se serait passé, il porte encore aujourd’hui un regard attendri sur cette bande de gamins qu’il a eu la chance – et l’intuition – de lancer dans le grand bain. « Je n’ai jamais retrouvé une addition de personnalités aussi fortes, capables d’écrire, de jouer et de mettre en en scène. C’est unique. »
Article issu du Dauphiné Libéré