Mallory et Irvine ont-ils atteint le sommet de l’Everest dès 1924 ?

Sa disparition et celle de son compagnon de cordée ont engendré le plus grand mystère de l’alpinisme. Le 8 juin 1924, George Mallory et Andrew Irvine sont aperçus au loin sur la crête nord-est de l’Everest par un de leurs camarades d’expédition, avant de se volatiliser dans les nuages. Ont-ils réussi à passer la difficulté clef de l’ascension pour devenir les deux premiers hommes à fouler le toit du monde ? Un siècle plus tard, l’énigme passionne toujours autant.

Même la découverte du corps de Mallory, à 8 100 m d’altitude, n’a rien changé. Le corps momifié du pionnier britannique retrouvé en 1999 par l’alpiniste américain Conrad Anker, n’a pas permis de dire avec certitude, si lui ou Irvine, ont pu atteindre le sommet.

En 100 ans, d’innombrables biographies, livres-enquêtes et reconstitutions ont vainement tenté d’expliquer ce qui avait pu leur arriver. Leur mystérieuse évaporation a même donné naissance à des avatars littéraires ou cinématographiques avec, pour meilleur exemple, le roman de Baku Yumemakura “Le Sommet des dieux”, adapté en manga puis en film d’animation.

Cette photo de la première expédition britannique de reconnaissance de l’Everest menée en 1921 a été restaurée par le studio belge Salto Ulbeek pour la Royal Geographical Society britannique. Au cours de celle-ci, Mallory a atteint pour la première fois le col Nord (7 020 m) avant d’être victime d’un mal aigu des montagnes. Photo Royal Geographical Society/Salto Ulbeek
Cette photo de la première expédition britannique de reconnaissance de l’Everest menée en 1921 a été restaurée par le studio belge Salto Ulbeek pour la Royal Geographical Society britannique. Au cours de celle-ci, Mallory a atteint pour la première fois le col Nord (7 020 m) avant d’être victime d’un mal aigu des montagnes. Photo Royal Geographical Society/Salto Ulbeek

Au sommet de l’Everest, 29 ans avant Edmund Hillary ?

Des travaux et des œuvres où se multiplient conjectures et hypothèses, mais qui peinent à retranscrire l’émotion animant les alpinistes qui auraient peut-être pu triompher de l’Everest, 29 ans plus tôt qu’Edmund Hillary et le sherpa Tensing Norgay.

Pourtant, George Mallory a raconté avec précision les expéditions qui l’ont conduit à se rapprocher au fur et à mesure du “troisième pôle”, le point le plus inaccessible de la Terre. Pas toujours traduits et souvent désordonnés, ses écrits n’avaient, jusqu’à il y a quelques mois, encore jamais eu les faveurs d’un éditeur, au point de les compiler dans un même recueil et de les réagencer chronologiquement.

C’est néanmoins ce que vient de faire Charlie Buffet. Avec “Vers l’Everest”, le directeur littéraire de la collection Guérin aux éditions Paulsen, propose de relire la prose de celui qui incarnait le mieux la fascination des Britanniques pour les plus hauts sommets du monde, afin de voyager avec lui jusqu’aux camps d’altitude où il rédigea ses dernières lettres.

Un texte que le Chamoniard a d’ailleurs redécouvert et traduit avec le plus grand plaisir. « J’ai été surpris par la qualité de la narration. Il y a chez Mallory, une magnifique intensité dans l’écriture qui se manifeste par une volonté constante d’explorer ses sensations et ses sentiments », estime celui qui, en plus des récits d’expédition, a ajouté quelques lettres adressées par Mallory à son épouse Ruth.

Une façon de découvrir plus intimement celui, qu’à Chamonix, tout le monde connaît pour avoir donné son nom à un itinéraire d’ascension dans la face nord de l’aiguille du Midi. Une ligne voisine des câbles du téléphérique, devenue une classique du ski de pente raide, que le montagnard se décide à gravir pour « éviter la répétition d’un labeur connu ». Autrement dit, plutôt que de s’infliger la longue remontée de la Mer de Glace pour se rendre au mont Blanc, Mallory juge préférable d’emprunter une route plus directe et bien plus verticale.

« Une prodigieuse dent blanche plantée sur la mâchoire du monde »

Sportif animé sans doute d’un esprit de compétition à la hauteur de son humilité, ce fils d’un pasteur anglican du Cheshire est toujours en tête à l’Everest. « Jusqu’à 8 300 mètres d’altitude, on sait que c’est toujours lui qui fait la trace », insiste Charlie Buffet.

Le meilleur alpiniste de sa génération découvre ainsi en premier les hautes vallées voisines de l’Everest lors des expéditions auxquelles il prend part en 1921, 1922 puis en 1924. Les photos prises lors de la première d’entre elles, et qui furent restaurées il y a quelques années par un studio belge, permettent de se faire une idée de ces explorations jusqu’à « une prodigieuse dent blanche plantée sur la mâchoire du monde ». Tels furent les mots de Mallory après avoir aperçu pour la première fois la plus haute montagne du monde.

En cheminant avec lui, le lecteur fait la connaissance d’un homme courageux dans l’effort et dans l’inconfort, qui comprend parfaitement les mécanismes de l’acclimatation. Victime d’un mal aigu des montagnes en atteignant le col Nord en 1921, ce vétéran de la Grande guerre reste persuadé qu’il est possible d’atteindre les 8848 mètres d’altitude sans oxygène, à condition que l’on s’y prenne correctement.

Pourquoi gravir l’Everest ? « Parce qu’il est là »

Habité d’une mission, tel un personnage romantique, le Britannique apparaît dans le film du capitaine John Noël, bien peigné, en chemise et cravate, comme si une horde de journalistes allait à nouveau lui demander pourquoi gravir l’Everest. Une question à laquelle il répondait simplement : « Parce qu’il est là ».

Mais aussi captivant soit-il, le sommet de l’Everest ne mérite pas qu’on y laisse sa peau, selon le raisonnable Mallory. Seules ses dernières lettres laissent apparaître une gravité soudaine. Comme s’il savait que cette dernière tentative de 1924 scellera à jamais son destin.

À l’occasion du 100e anniversaire de sa mort, le Magdalene College, établissement rattaché à l’Université de Cambridge qu’il fréquenta un temps, vient de numériser des lettres, méconnues du grand public. Les ultimes lignes adressées à sa femme résument les difficultés qui l’attendent, lui et ses camarades d’expédition : « C’est à 50 contre 1 contre nous, mais nous allons encore nous battre et nous rendre fiers. Beaucoup d’amour pour toi. Toujours ton amour, George ».

Qu’est-il advenu ensuite ? Seul peut-être l’appareil photo Kodak Vest Pocket de Mallory abrite, quelque part, la réponse. Celui-ci pourrait contenir des clichés du sommet qui pourraient avoir survécu au gel et aux UV afin d’être développés, ce que Charlie Buffet avoue ne pas souhaiter. « Trouver la réponse à cette énigme, c’est y mettre un terme. Or, ce qu’il y a de beau dans cette histoire, c’est que des gens vont continuer à s’interroger. C’est une magnifique porte ouverte à l’imagination, un récit inachevé dont chacun peut encore imaginer la fin. »

Article issu du Dauphiné Libéré

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