Il figure sur la médaille des gardes du parc, dessinée par Samivel et domine le village de Pralognan, sculpté dans le bronze par Fernand Terrier. Cet as du rocher, aux sabots dignes des meilleurs chaussons d’escalade, coussinets élastiques et ergots antidérapants, n’est pas un animal d’altitude, à l’origine. Cousin de la chèvre, le bouquetin vivait dans les Calanques il y a 20 000 ans, les peintures de la grotte Cosquer en attestent. Sous la pression des nemrods convoitant le trophée de ses majestueuses cornes, il s’est réfugié dans les massifs, adepte des escarpements.
De chasseurs ont milité pour sa conservation
« Paradoxalement ce sont des chasseurs, les monarques d’Italie qui ont joué un rôle fondamental dans la sauvegarde de ce grand mammifère au XIXe siècle » rappelle Jean-Pierre Martinot, docteur en écologie appliquée. Constatant l’effarant déclin de son gibier favori, braconné et cartonné par la plèbe, Victor Emmanuel II créera ses réserves royales du Grand Paradis qui, en 1922, vont muter pour devenir le premier parc national européen, entre Val d’Aoste et Piémont.
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On est là à un vol d’aigle de la Vanoise, où avant-guerre, un autre chasseur, le docteur Marcel Couturier, alpiniste naturaliste, projette un parc dédié au bouquetin des Alpes. « L’ambivalence de ce chirurgien, chasseur obsessionnel qui a abattu et disséqué, entre 1924 et 1973 pas moins de 1 000 chamois l’écarte à jamais des instances du premier parc national français », relate Martinot.
Protéger la nature et… les montagnards
Car voilà, le 6 juillet 1963, quand est créé en Vanoise, le premier espace protégé du genre en France depuis la loi de 1960, l’enjeu va au-delà du devenir de l’ongulé. Il y a les alpinistes inquiets aussi de la disparition du chamois, Gilbert André, le maire de Bonneval-sur-Arc, soucieux de retenir les hommes au pays, sauvegarder la culture montagnarde, et plus généralement une sensibilité environnementale qui émane de milieux urbains, un siècle après les Anglo-Saxons.
Mais le géographe Lionel Laslaz, spécialiste des espaces protégés, souligne aussi le souci d’équilibre de l’État au moment où il lance sa stratégie d’équipement des sports d’hiver. « Ce n’est pas un hasard si c’est le massif au cœur du Plan neige qui est choisi alors que des dizaines d’autres projets de parcs sont présentés en France ». Le bouquetin est l’image d’Epinal idéale, à la convergence d’une double motivation : protéger la nature mais aussi l’activité des montagnards.
Des effectifs tombés au plus bas
Le compromis tient au début, sous l’autorité morale de grands politiques du cru, tel Joseph Fontanet, futur ministre et premier président du parc. Pour le bouquetin il y a urgence. « Les effectifs étaient tombés à une soixantaine d’individus, dans le secteur de l’Orgère, sous l’aiguille Doran, en Maurienne » indique Jérôme Cavailhes, chargé de mission faune au parc. L’interdiction de sa chasse, sous la vigilance des policiers de l’Environnement, le suivi scientifique de l’espèce, protégée au niveau européen en 1981 par la convention de Berne, vont faire de la Vanoise, le plus grand vivier en France. « Avec la plus forte variabilité génétique, gage de résilience, et les plus fortes densités ».
Un véritable laboratoire aussi. Grâce aux opérations de capture marquage, 120 à 150 individus sont suivis , identifiés par des boucles d’oreilles de couleur ou des colliers GPS. La Vanoise a permis des réintroductions dans les Écrins, le Mercantour, le Vercors ou la Chartreuse, dans le cadre d’une stratégie nationale. Et de reconnecter une espèce qui avait quasiment disparu de l’arc alpin, hors le Grand Paradis et le Pleureur (Suisse). « On réalise ainsi des ponts entre populations existantes pour favoriser la diversité génétique ».
L’affaire et la crise
Mais la belle histoire du bouquetin ne suffit pas à masquer les mises à l’épreuve du premier parc français, et la difficulté à concilier des objectifs parfois contradictoires. Les premières crises apparaissent avec le développement des stations de ski. En 1969 éclate l’affaire de la Vanoise, suscitée par le projet d’extension de Val Thorens sur le glacier de Chavière en plein parc. Pompidou tranche en faveur de la sanctuarisation pour clore l’un des tout premiers combats d’écologie politique.
La question des activités humaines et des rapports entre les 29 communes du parc, animées d’un sentiment de dépossession de leur territoire, avec l’établissement public sont au cœur d’une nouvelle crise, celle de la cinquantaine. En 2015, le projet de charte est rejeté, fait unique dans les 11 parcs français. Pis le président est séquestré par les éleveurs excédés par le loup. « Dix ans après, les relations sont apaisées, assure l’actuelle présidente Rozen Hars. Cette crise a eu le mérite de rassembler les acteurs et de revoir les relations avec l’administration du parc ».
Construire avec les territoires
Trop rigide ? Plus accueillant, l’espace entend montrer qu’il est celui des possibles avant d’être un temple des interdits. L’accueil a été valorisé, et l’étau s’est desserré avec, notamment, l’autorisation, réglementée, du bivouac près des refuges. « Avec notre feuille de route Envie de Vanoise, il ne s’agit pas de protéger “contre” mais de construire “avec” les territoires », assure le directeur, Xavier Eudes.
Et pour les 60 ans, le climat et le cœur sont plus à la fête. Notamment autour de son animal sacré. Samedi dernier, le public était invité à se mettre dans la peau des gardes. Et à partir sur les traces des 150 spécimens marqués, dont Jacky, mascotte d’une espèce qui compte aujourd’hui près de 2000 individus dans le périmètre de la Vanoise (2000 km2 dont 530 de cœur de parc), n’hésitant pas à traverser la frontière pour se mélanger aux cousins italiens du Grand Paradis.