Chez les Nicoletta, sur les pentes de Beuil-Valberg, dans les Alpes-Maritimes, l’enseignement du ski est une institution. Alain et Julien, directeurs successifs de l’ESF locale, nous ont conté leur saga familiale, cousue de fil rouge.
Alain Nicoletta : « Mes grands-parents paternels, d’origine valdôtaine, sont arrivés en France par le col du Petit Saint-Bernard. Mon grand-père, maçon de pierre, a travaillé à Chamonix sur la construction du premier téléphérique des Glaciers, puis à Albertville et Grenoble. Mon père, formé par mon grand-père, est devenu à son tour entrepreneur en maçonnerie à Grenoble avant de rejoindre Nice. De là, il a pris des chantiers sur Valberg, avant de décider de s’y installer et d’y monter son entreprise. Voilà comment la famille Nicoletta s’est établie entre Beuil et Valberg, au tout début des années 60 ! Je n’avais pas encore dix ans. Ma grand-mère est une Navillod native d’Italie, nous sommes ainsi cousins avec les Navillod de Tignes, famille de skieurs également ! »
Une fratrie de « pulls rouges »
« Mes parents, Sylvain et Yvette, n’étaient pas de grands skieurs, mais ils aimaient bien monter à la Croix de Chamrousse pour redescendre avec leurs skis en bois. Avec mon frère Michel, nous sommes les aînés de la fratrie. Nous avons débuté le ski en Isère au Col de Porte, mais c’est à Valberg que nous avons réellement appris à skier. Nous sommes six frères et une sœur, nous avons tous fait partie du ski-club, comme tous les gamins du coin. Quand on a eu 17-18 ans, Jean Pazzi, le directeur de l’école de ski de l’époque (jusqu’en 1971), a dit à notre père : “Tes grands, je les prends sous ma tutelle, il faut qu’ils deviennent moniteurs de ski !”
C’est lui qui nous a mis le pied à l’étrier pour entrer dans le cursus de formation qui commençait par le Capacitaire. Nous étions apprentis moniteurs, Jean nous a véritablement pris sous son aile, nous l’aidions, nous faisions passer les Étoiles avec lui… Puis nous avons passé l’Auxiliaire et le National. Nos frères ont suivi, trois sont devenus moniteurs, seul Guy (le plus jeune) n’est pas allé au bout de la formation, et notre sœur Nadine a passé le diplôme de monitrice d’enfants. Gilles, le quatrième, a été membre de l’équipe de France de ski, dans le groupe B – il courait d’ailleurs avec les fils de Jean Pazzi, Alain et Bernard. Tous trois ont intégré le ski-études de Villard-de-Lans. En fait, le ski est vite devenu une passion commune dans la famille et nous avons tous eu aussi ce désir fort d’enseigner, qui s’est transmis par les jeunes moniteurs ESF de l’époque que nous fréquentions. Nous voulions faire comme eux et devenir moniteurs de ski à notre tour ! »
Ils ont tenu une boite de nuit et plusieurs restaurants
« Pendant ce temps, nos parents s’investissaient dans la station. Notre mère travaillait l’hiver pour l’office de tourisme, notre père a été un temps ambulancier pour conduire les blessés sur piste au cabinet médical. Il avait même relancé le saut à ski à Beuil en réhabilitant le tremplin olympique des Launes, inauguré en 1937 – en 1968, aidés par les militaires de la caserne de Beuil, nous avions monté des parpaings pour refaire le nez du tremplin ! Avec mon frère Michel, nous avons donc aussi pratiqué le saut à ski. La famille avait également la fibre commerçante, nos parents avaient monté un restaurant d’altitude aux Launes sur les pistes de Beuil, qu’ils ont tenu en saison d’hiver durant une dizaine d’années. Et nous, la génération suivante, avons créé, tout en étant moniteurs, une boîte de nuit, Le Wapiti, ouverte en 1973, et plusieurs restaurants où nos épouses travaillaient.
L’été, nous tenions aussi une plage à Cavalaire. La famille Pazzi en avait une au Lavandou, beaucoup de skieurs savoyards passaient nous voir ! Nos enfants sont montés sur les skis tout petits, puis ont fait partie du ski-club. Je suis devenu directeur de l’ESF de Valberg en 1986 à la suite de Jean-Pierre Drouin, et en 1988 nous avons créé, avec la municipalité de l’époque, un très beau jardin d’enfants, toujours un produit phare de la station. Mes enfants sont beaucoup venus avec moi installer ce jardin des neiges, et plus tard, la cabane de chronométrage. Ils ont baigné dans ce milieu ! La transmission s’est faite naturellement… Aujourd’hui, même si on nous parle beaucoup du réchauffement climatique, il faut rester optimiste. Les stations de montagne, été comme hiver, ont encore beaucoup d’avenir, il faut y croire ! »
« Nous étions immergés dans cette ambiance »
Julien Nicoletta, directeur de l’ESF de Valberg-Beuil depuis 2019 : « Effectivement, nous sommes tombés dans le ski tout petits ! Nous avons tous eu la progression des enfants des stations, le ski-club, la compétition, et nous avons aimé ça. Et puis il y avait ce lien, très fort, avec nos parents et nos oncles, à l’ESF. Nous avons débuté dans leurs cours, ils encadraient également le ski scolaire dont je garde de super souvenirs. C’étaient des moments extras, ludiques, conviviaux, où nous étions très fiers de skier avec notre père, notre tante ou l’un de nos oncles. Nous étions immergés dans cette ambiance, nous les suivions dans les festivités, les descentes aux flambeaux… Au jardin d’enfants, nous les observions “apprendre à skier”.
C’est également la qualité de vie en montagne que nous appréciions tous, une vie privilégiée. Évidemment, c’est lorsque nous sommes partis en ville pour faire nos études que nous nous en sommes rendu compte ! En ce qui me concerne, quand je suis allé à la fac de sport après mon bac, je n’ai pas tenu plus d’un an. Je ne suis pas adapté pour le milieu urbain, je suis fait pour vivre en montagne ! Pour la génération suivante, je pense que le lien sera encore plus fort, car nos enfants ont tous suivi la progression initiale à l’ESF, et ont également tous intégré le Club ESF, durant trois ou quatre ans, qui initie en douceur à la compétition en amont du ski-club. Je suis d’ailleurs très fier de l’évolution de ce Team ESF devenu Club ESF, qui compte près de cent vingt enfants aujourd’hui !
Une famille attachée à sa station
Nous sommes très attachés à notre station. Mon père, conseiller municipal et adjoint au maire depuis 1989, a toujours été très vigilant quant à l’environnement et à l’écologie – Valberg vient d’ailleurs d’obtenir le Flocon vert (cf. p. 10, ndlr). Avec l’ESF, nous souhaitons vivement reprendre à notre actif le ramassage des déchets de fin de saison sur le domaine skiable, c’est une bonne manière de sensibiliser les générations futures au respect et à la protection de l’environnement. Tout le travail mené avec l’association Mountain Riders porte ses fruits, on observe de moins en moins de détritus sur les pistes, sous les télésièges… Et depuis quelques années, l’ESF finance, en collaboration avec les remontées mécaniques et la mairie, des cendriers de poche distribués gratuitement, l’impact est également très positif. Tout cela s’est amorcé durant la période ou mon père était directeur de l’ESF. J’ai été son directeur technique pendant les dix dernières années et nous avons toujours été très complémentaires. Il fait partie des directeurs qui ont été à l’écoute des jeunes générations et il a su avancer en prenant des décisions collégiales et dans une bonne entente. Le bien-être des personnes, du moniteur comme du client, a toujours été une priorité, c’est une base essentielle pour améliorer le système. »
Alain, moniteur national depuis 1976, directeur de l’ESF de Valberg durant 32 ans
Toujours prêt à donner un coup de main à l’ESF, Alain a fait partie du dernier groupe à avoir passé l’Auxiliaire à l’ancienne ENSA à Chamonix, et revoit avec plaisir ses copains de promo, Christian Reverbel de L’Alpe d’Huez, Jean-Claude Trioulier, directeur de l’ESF de Val Louron, et d’autres, au congrès des ESF ! Très impliqué dans la station, conseiller municipal et adjoint au maire depuis 1989 (auprès de Charles Ginésy, puis de son fils Charles-Ange, actuel président du conseil départemental des Alpes Maritimes et de l’ANMSM), il estime « très important qu’un directeur ESF ou des moniteurs s’impliquent dans leur station. Cela permet de suivre les projets, d’être dans le mouvement et en harmonie avec les décideurs. »
Michel, moniteur national depuis 1977
Le monoskieur de la famille, très inspiré au début des années 80 ! Après avoir exercé plusieurs saisons à temps plein, il a allié sa passion du ski à celle de la déco. Doté de mains en or, il s’est consacré ensuite à ses activités d’artisan et de restaurateur sur Valberg, Isola 2000, puis Nice où il réside. Il n’enseigne plus aujourd’hui
Gérard, moniteur national depuis 1979
Le moniteur par excellence : il ne se passe pas un jour à l’ESF sans que soit demandé un cours avec Gérard ! Avec une fibre pédagogique et un feeling exceptionnels avec les enfants qui l’adorent, il a un temps entraîné les plus jeunes du ski-club. Il accompagne également beaucoup les personnes handicapées en fauteuil ski, qui l’apprécient énormément.
Gilles, moniteur national depuis 1983
Compétiteur dans l’âme (slalomeur et géantiste), il a fait partie de l’équipe de France de ski alpin de 1972 à 1975, et a couru en Master FFS et FIS jusqu’en 2015. De la génération de Jean-Pierre Grange et Michel Canac, il adore retrouver ses potes au Challenge des moniteurs. Toujours passionné par la compète, il aime bien encadrer les Étoiles de bronze et d’or, ainsi que les groupes compétition.
Nadine, monitrice d’enfants depuis 1976
Très appréciée, très pédagogue et perfectionniste, elle a été responsable du jardin d’enfants durant sept ans (2007-2014). Elle avait à cœur de proposer un Club Piou Piou toujours ludique et magnifique, qu’il y ait trois élèves ou cent cinquante !
Yves, moniteur depuis 1987
Entraîneur du ski-club durant plusieurs années, il s’est mis au snowboard avec Gérard au tout début de la discipline. Il enseigne toujours et encadre aussi le handiski. Grâce à lui, l’appellation « Wapiti » (nom de la première boîte de nuit ouverte par les Nicoletta à Valberg) perdure et se décline, puisqu’il a tenu le « Wapiti plage » à Cavalaire jusqu’en 2016, avant d’ouvrir le « Wapiti Lake », restaurant d’altitude au bord du lac du Sénateur à Valberg.
Alain (Corso), BE en 1996, beau-fils d’Alain
L’hiver, il enseigne à temps plein, dans l’équipe qui coache le Club ESF depuis plusieurs années. Également BE de tennis, il exerce le métier de plombier.
Thomas, BE en 2002, fils d’Alain
Restaurateur à Valberg, il a mis l’enseignement entre parenthèses. Excellent snowboardeur également, il peut dépanner l’ESF si besoin.
Julien, BE en 2002, fils d’Alain
Directeur technique de 2008 à 2018, il a succédé à son père Alain à la direction de l’ESF de Valberg le printemps 2019. Son plus grand rêve étant de vivre en montagne… à Valberg ! Son père prenant sa retraite, il s’est naturellement présenté à sa succession, avec le souhait de continuer à œuvrer pour l’école de ski.
Romain, BE en 2007, fils de Michel
Le freestyleur de la tribu, aussi très bon snowboardeur. Il est à l’origine, avec Julien et d’autres moniteurs de l’ESF, du club des Goomie Riders, mis en place afin de favoriser l’apprentissage du snowboard chez les 5-9 ans dans un espace dédié.
Nicolas (Bonnet), BE en 2003, fils de Nadine
Excellent skieur et snowboardeur, il a été responsable du jardin d’enfants, avant de prendre le poste de directeur technique. Il est par ailleurs artisan dans le bâtiment.
Carlotta, BE en 2011, et Romane, DE en 2017, filles de Gérard
Toutes deux excellentes skieuses, elles ont tutoyé le haut niveau. Carlotta a remporté le Coq d’or en 1999 chez les poussines, puis fait partie de l’équipe du comité et participé à des FIS et coupes d’Europe tout comme Romane. À l’ESF, Carlotta s’occupe du groupe DE, Romane entraîne le ski-club.
Alizée, DE en 2015, fille de Yves
La seule « expatriée » de la famille… qui a suivi son fiancé Gaëtan Apertet à l’ESF de Saint-Gervais !
Joris (Corso), DE en 2013, petit-fils d’Alain
Fan du Challenge des moniteurs auquel il participe en slalom et en skiercross.
Camille, DE en 2023, fille de Thomas
Elle a obtenu récemment son diplôme d'Etat et fait partie de la promotion Olga Chappaz.
La quatrième génération arrive
Jeanne, Manon, Jules, Raphaël, Giorgio, Elise, Matéa, Emma, Andrea, Maélis et Lucas ont déjà intégré le ski-club, et d’autres cousins-cousines arrivent ! Elise est même déjà en formation et stagiaire à l'ESF avec le reste de la famille, alors que Maélis, qui a obtenu son test technique, pourrait bientôt l'imiter.
Article issu du magazine Traces, édité par le SNMSF