Dix-sept heures. Quand les derniers retardataires quittent le Belvédère après la fermeture du domaine de ski nordique, c’est le moment où Clément Repellin se prépare à entrer en piste avec sa machine de six tonnes. À 34 ans, le dameur des Coulmes en est à sa douzième saison d’hiver, lors de laquelle il œuvre six jours sur sept, de mi-novembre à mi-avril. C’est sa « soupape de liberté », décrit-il ; le reste de l’année, il travaille pour une entreprise de maintenance industrielle.
L’enfant du pays a appris « sur le tas »
Comme beaucoup de celles et ceux qui font tourner cette petite station du Royans-Vercors, il est un enfant du pays, baigne dans ce coin de montagne depuis tout petit. C’est même dès 2007 qu’il a commencé à « dépanner » sur le domaine alpin. Il a appris « sur le tas, avec les “anciens” », sourit-il, fort, aussi, de l’expérience de son frère aîné, dameur à Villard-de-Lans. Dont on aperçoit d’ailleurs les flancs, baignés d’une lumière rosée à mesure que s’éloigne le soleil.
Au cœur de la nature
Ce soir-là, Clément Repellin va s’employer, six heures durant, à tasser, niveler et stabiliser la neige, recréant derrière lui les deux traces parallèles propres au ski de fond. Un total de 60 kilomètres à travers les arbres, à une vitesse de 9 à 13 km/h, éclairé par les puissants phares de la dameuse et le clair d’une lune presque pleine, avec son thermos pour seule compagnie. Et les animaux qu’il aperçoit parfois dans la nuit : chouettes, cerfs, chevreuils, buses, écureuils… sans compter les traces du loup, régulièrement. Une ambiance féerique qu’il apprécie. « Je suis quelqu’un de sociable, mais j’aime bien me retrouver seul, gérer mon affaire. La nuit au milieu de nulle part, je me sens un peu isolé, mais pas en danger. »
Une liberté qui vaut largement la paie Clément Repellin
S’il est parfois amené à sortir sa machine le matin, dès 4 h 30, les conditions de ces derniers jours, aux températures clémentes, le conduisent à damer les pistes le soir, « pour que le manteau neigeux durcisse comme il faut ». La nuit est douce, en effet, le thermomètre affichait 5°C au Belvédère, une dizaine de moins qu’en plaine. « Ça perce déjà », constate d’ailleurs le professionnel, dépité, en voyant la végétation, voire la terre, trouer la blancheur de la neige.
« J’aime mon taff »
La dameuse toute neuve, louée par l’intercommunalité Saint-Marcellin Vercors Isère qui gère le domaine, se pilote avec une manette ; les boutons sont innombrables. Si la tâche lui est aisée, « il y a plein de paramètres à maîtriser pour faire quelque chose le plus joli possible », assure Clément, qui doit jongler avec les subtilités d’une neige dont la qualité varie d’une piste, d’un virage, d’une exposition, d’un trou à l’autre. Sa seule crainte, c’est de racler de la terre et donc de “salir” la piste, « je n’ai pas le droit à l’erreur, sinon je la traîne jusqu’à la fin de la saison ». Alors qu’il observe, la faute au réchauffement climatique, des variations de températures plus brusques qu’avant, « mon pire ennemi, ce n’est pas la pluie, mais le vent chaud », assure le dameur qui, en « couteau suisse », assure lui-même l’entretien et la mécanique de sa machine.
Sa rémunération n’est pas mirobolante, concède-t-il, mais « j’aime mon taf, j’ai une liberté qui vaut largement la paie ». Il a beau être démarché « tous les ans » par d’autres stations, Clément ne se voit pas, pour l’instant, quitter son petit coin de paradis. Celui qui l’a vu grandir et qu’il s’emploie chaque jour ou presque à bichonner.
Tous les deux ans, le constructeur Kässbohrer organise, en France, les championnats Pistenbully de damage. Pour sa première participation en 2017 à Villard-de-Lans, Clément Repellin a fini 4e dans la catégorie nordique ; en 2019, c’est son frère Ismaël qui l’a emporté aux Rousses, dans le Haut-Jura.
En 2023, à la reprise de la compétition après la pandémie, Clément a pris sa revanche et a fini sur le haut du podium, toujours dans cette catégorie à laquelle on partcipe en individuel, un point seulement devant la deuxième (une des rares femmes dans ce métier) ; son frangin se classant, lui, 3e. Une « petite fierté », concède le Rencurellois, « d’autant que je ne connaissais pas leur machine ».
Le challenge consiste en de nombreuses épreuves de dextérité à bord de la dameuse (jeux avec la lame, faire tenir un ballon en équilibre, passer entre des plots…) et une de ski de fond. Mieux vaut, en effet, connaître la discipline pour affiner au mieux sa technique de damage : « Il y a plein de subtilités, c’est primordial pour mieux travailler », assure Clément.
Article issu du Dauphiné Libéré