Quel cirque ! À l’arrivée par le col des Évettes ou par les gorges de la Reculaz, c’est la même extase. Le paysage est majestueux, grandiose. La récompense de l’heure et demie de marche depuis le parking de l’Écot à Bonneval-sur-Arc (Savoie). Le cirque glaciaire des Évettes, classé, offre un concentré de milieu montagnard haut perché : lacs d’altitude, paysage minéral, eaux laiteuses descendant des glaciers en souffrance, cascade vertigineuse, flore, marmottes et bouquetins… et même un pont romain, cadre idéal des photos de tous les randonneurs qui pointent leurs chaussures à 2590 m d’altitude, sur fond d’une kyrielle de sommets à plus de 3000 m. « Le tableau est assez magique », convient Eric, Mauriennais expatrié, qui n’était pas remonté là-haut depuis son adolescence.
Au cœur des Alpes Grées-Charbonnel, les Évettes sont synonymes de bonheur assuré pour les randonneurs et alpinistes en tous genres. Guide de haute montagne, fils de guide, Yannick Anselmet a commencé à arpenter les lieux avec son père, à l’âge de 7 ans, à la fin des années 1980. « Le coin est bien pour les plus aguerris (Albaron, Petite Ciamarella) comme pour les courses d’initiation et les familles, assez facile et rapide d’accès. Il offre encore la vue sur les glaciers ou ce qu’il en reste, ou permet de monter au lac du Grand Méan, randonnée très courue. C’est un peu dingue comme les gens se suivent. Quand j’étais gamin, il y avait très peu de cairns, alors qu’aujourd’hui… ».
Ce cadre unique (mais très fréquenté) est devenu, depuis trois ans, le lieu de travail de Vinciane et Aurélien Monperrus, les gardiens du refuge des Évettes, propriété du Club alpin français. Eux aussi sont tombés sous le charme. « Après presque 13 ans d’expérience en refuge (dans le Valais et au Lac du Lou aux Belleville), on cherchait un bâtiment plus typé montagne et moins axé sur la restauration pure », avoue le cuisinier de formation.
« Il faut voir le regard des gamins qui font leur première rando »
Ils n’ont pas été déçus, même si l’activité estivale est très dense (2000 à 2500 nuitées) et nécessite le renfort de trois aides-gardiens de mi-juin à mi-septembre. « Au printemps, avec le ski de randonnée (1000 à 1500 nuitées en deux mois), on arrive à faire face à deux, mais l’été, la clientèle ce sont des familles, des alpinistes, des guides, des grimpeurs… Il ne manque plus que les vététistes ! » Encore que certains se risquent à monter le vélo sur le dos !
Aurélien aime ce mélange de population qui fréquente les 48 couchages du refuge. « Il faut voir le regard des gamins qui font leur première rando, leur première expérience en refuge et qui mangent à la même table que des guides et des alpinistes (NDLR : sur fond de cartes IGN qui tapissent le mur). Ils ont des étoiles dans les yeux. Des vocations sont nées ici ».
L’eau pompée dans le lac, les toilettes sèches et les panneaux solaires (les premiers en France posés en refuge à l’époque) pour l’électricité, les réfrigérateurs et congélateurs… ont aussi fait écarquiller plus d’une paire d’yeux. « Les installations fonctionnent… si on les bichonne », rigole le gardien, à propos d’un bâtiment reconstruit en 1970, aux allures de préfabriqué, d’une cantine scolaire des années 1970. « Au printemps, c’est quand même rude, physique : il faut faire un trou dans la glace pour avoir de l’eau ! On y laisse quelques plumes à chaque fois ». Mais il tient aussi à cette dimension écologique.
« Les glaciers ne dureront pas éternellement, il faut emmener les enfants »
Depuis la crise sanitaire, la montagne attire une nouvelle clientèle qui n’a pas forcément l’habitude, avec un fort développement du bivouac autorisé dans le secteur. « Parfois on passe des journées à répondre au téléphone. Il y a du bon et du moins bon, comme quand il fait mauvais. Il y a de l’ignorance, les nouveaux pratiquants ont besoin de conseils, de savoir les choses. Beaucoup se rendent compte que les glaciers ne dureront pas éternellement, qu’il faut emmener les enfants », avoue le gardien des Évettes, réactif sur les réseaux sociaux, prompt à alerter sur la débâcle du lac du Grand Méan, comme à avertir les randonneurs peu aguerris aux risques des gorges de la Reculaz.
Les questions sont redondantes : la carte bancaire, c’est non. Le wifi, aussi. Quant aux poubelles, en montagne, on les redescend. Le cuisinier de formation prend à cœur son rôle de conseil, d’échanges et la convivialité. « On ne fait que vingt couverts à midi, mais j’y trouve mon compte. Du fait de l’effort, du lieu, les gens apprécient plus. Le principe d’un refuge, c’est de rester accessible à tout le monde (NDLR : en disponibilité comme en tarif). Il y a plus de contacts directs qu’en bas, enfermé dans une cuisine ! », avoue-t-il, tenant à faire des extras hors saison « pour continuer à voir autre chose ».
Autour d’une tarte aux myrtilles, d’un jus de myrtilles sauvages ou d’un thé glacé à l’eau de là-haut, comme sur le livre d’or, les avis des petits et des grands sont unanimes. « De la bombe », « une parenthèse hors du temps »… Une journée, ou plus, aux Évettes ne donne qu’une envie, y remonter. Le gardien lui-même en atteste : « Si on n’aimait pas ce coin, ce serait triste ! La descente, le retour à la vie en bas, est toujours dure. Il faut quelques jours d’adaptation après la saison ». Comme un retour sur terre, loin du paradis.
Article issu du Dauphiné Libéré