« C’est magique ». Devant la table d’orientation sommitale, une touriste sensible au vertige accroche fermement ses mains à la rambarde et son regard à l’horizon. Des cimes du Massif central jusqu’au mont Blanc, en passant par Belledonne, la Chartreuse, les Écrins ou les Grandes Rousses, près de 300 kilomètres à vol d’oiseau peuvent s’offrir à la vue de celles et ceux qui gagnent les 1 901 mètres du Moucherotte, à l’extrême nord-est du massif du Vercors.
Au pied de cette carte postale facilement accessible depuis la station de Lans-en-Vercors, l’agglomération grenobloise dessine entre Drac et Isère ses courbes contraintes par les montagnes. Ce « pic de l’aigle » ainsi nommé jusqu’au milieu du XIXe siècle a longtemps assisté, imperturbable, à l’activité des hommes, à leur guerre mondiale dont le territoire a terriblement souffert non sans avoir héroïquement résisté, parfois à leurs caprices.
À Saint-Nizier-du-Moucherotte, le tremplin olympique traîne ainsi toujours sa misère depuis son abandon définitif il y a trois décennies tandis que subsiste des années 60 le souvenir anachronique de l’hôtel Ermitage (rasé en 2001), lui qui se dressait au sommet du Moucherotte et s’enorgueillissait d’avoir accueilli Brigitte Bardot, François Truffaut ou Dalida.
Un espace naturel sensible tout nouveau
Longtemps, le Moucherotte a donc raconté en creux les siècles précédents, particulièrement le XXe , jusqu’à être rattrapé par le temps présent. Car, plus que jamais, cet environnement souffre d’un prédateur majeur, responsable aussi du changement climatique qui marque cet été : l’homme. Les pelouses sommitales du plateau des Ramées ne digèrent pas la sécheresse et les plantes qui accompagnent l’ascension ont jauni de longue date.
« Cette herbe dans le Vercors nord ressemble en effet cet été à ce qu’on peut voir habituellement plus au sud dans le Vercors drômois », témoigne Alan Fraschini, écogarde du parc naturel régional. Mais c’est d’abord la fréquentation hors sentiers qui menace l’équilibre fragile de la faune et la flore à cette altitude. « On ne peut pas dire en soi qu’il y a trop de monde au Moucherotte, avance le maire de Lans-en-Vercors, Michaël Kraemer. Mais il y a clairement trop de monde partout. Je comprends que les gens aient envie d’aller sur les crêtes pour admirer le panorama mais tout n’est pas accessible sans incidence ».
Une fréquentation pas toujours respectueuse
Depuis une vingtaine d’années, l’explosion des sports outdoor impacte ce « terrain de jeu » à moins d’une heure de route pour les 400 000 habitants de la vallée. Randonnée, trail, VTT, escalade, le tout conjugué avec le pastoralisme, les forestiers, les agriculteurs et les chasseurs, peuvent laisser une empreinte durable dont ces passagers éphémères n’ont pas toujours conscience.
« Des gens ont installé des bivouacs sauvages pour prendre en photo les tétras-lyres (une espèce menacée) », raconte ainsi Jean-Charles Tabita, président de l’association de chasse locale. « Or, en posant leur tente sur les zones de parade, ils ont empêché les femelles de s’approcher des mâles et il y a un risque pour la reproduction. Et plus ça va, plus les photos sont sur les réseaux sociaux… »
Revers de la médaille de l’attractivité de ces paysages somptueux, la fréquentation des lieux par certains randonneurs qui n’ont pas plus les codes de la nature que le respect qui lui est dû, a donc incité les élus de la commune à créer un espace naturel sensible (ENS). « Je ne suis pas pour la verbalisation, poursuit le maire, mais il faut faire comprendre qu’il y a des enjeux forts. Cet ENS va nous permettre de prendre des arrêtés spécifiques pour encadrer les activités. C’est bien qu’il y ait du monde en montagne, mais une minorité n’emprunte pas les chemins et pose problème. »
Des citadins viennent couper leurs sapins de Noël…
Malgré une multitude de sentiers balisés et de variantes possibles, les sentes zèbrent les pelouses, ou ce qu’il en reste cet été, et la faune doit s’adapter. « Ça perturbe des zones de quiétude, rebondit Jean-Charles Tabita. On retrouve par exemple des chamois sur d’autres versants et ce n’est pas leur biotope de prédilection ».
Il soupire : « On a installé des panneaux partout pour informer et sensibiliser, mais ils ne sont pas lus, en tout cas pas respectés. Nous devons mener une réflexion sur le plateau pour disposer d’une signalétique à l’entrée du territoire, mais aussi dans les écoles de la vallée. J’ai le sentiment qu’on est désormais arrivé à une fréquentation constante mais les dérives, elles, sont en augmentation ». Et de se rappeler ces citadins qui, l’hiver venu, « viennent couper les sapins en forêt pour mettre dans leur salon ! »
Baskets aux pieds ou gros sac sur le dos, la cohorte de randonneurs ne désemplit pas de la journée. Dans le ciel, quelques rapaces profitent des thermiques qui lèchent les falaises pour planer sans effort. Sur le plancher des vaches, un petit panneau rappelle l’interdiction des feux sur l’espace naturel du haut Moucherotte. Dix mètres plus loin, un foyer fraîchement noirci adresse un énième doigt d’honneur à la réglementation en vigueur. Là-haut, l’homme n’est que de passage. Pas ses traces.
➤ Depuis Lans-en-Vercors. Monter au stade de neige (station de ski) et se garer au grand parking de la Sierre. Les sentiers sont alors indiqués. 530 m de dénivelé,
➤ Depuis Saint-Nizier-du-Moucherotte. Se garer au village ou plus haut pour rejoindre le parking supérieur du tremplin de saut à ski. Emprunter le GR 91 qui consiste à d‘abord rejoindre le croisement de la Combe de l’Ours avant de monter au lieu-dit “Roc de Bataillon” où le GR retrouve le GRP Tour des 4 Montagnes. Accessible en voiture ou en car Transisère. Dénivelé 650 mètres.
➤ Depuis Grenoble. Les plus sportifs peuvent partir à pied de Grenoble et grimper par la face est (soit 1 700 m de dénivelé), réservée aux randonneurs aguerris (topo disponible à la maison de la montagne de Grenoble).