Au carrefour du Guil, à l’amont des gorges, vous êtes prévenus : « Ceillac, son village typique, ses églises classées. Huit kilomètres. » On se croit bientôt arrivé, donc, mais c’est mal connaître le Queyras.
Alors on tourne à droite, on s’engage, confiant, le long de l’impétueux Cristillan. Dès les premiers mètres, le ton, à fleur de roches, est donné. La route sinueuse flirte avec la falaise, se fraie un chemin là où on pense qu’il n’y en a pas, et trouve finalement son passage entre deux murs de pierres. La verticalité vous rend tout petit dans l’habitacle de votre tacot. Puis, à l’Ubac de l’aval, l’ambiance s’adoucit un peu. Les arbres reprennent peu à peu l’avantage sur le minéral, la route s’élargit. Bientôt, les premiers panneaux indiquent le retour de la civilisation. Et là, soudain, après la croix, vous êtes ailleurs. Un immense plateau, aéré, apaisant, blanc l’hiver et en nuances de verts l’été, survient sans prévenir. Après la route étriquée, la respiration est immense. Expirez un coup, vous êtes à Ceillac, une paisible bourgade nichée à 1640 mètres d’altitude. Et comme dirait une habitante installée ici, au gré d’un changement de vie : « Vous avez vu la route ? On ne vient pas ici par hasard ! Quand on vient à Ceillac, on sait qu’on veut y venir ». Ce qui est bien vrai.
A Ceillac, la montagne est reine. Et sur la montagne, le pin cembro est roi. Un arbre au bois tendre, dont les pignes font le bonheur du Cassenoix moucheté, un petit passereau au duvet que l’on croirait recouvert de petites larmes blanches.
En plein cœur du village, le pin cembro fait aussi le bonheur de deux drôles d’oiseaux, Ceillaquins depuis toujours : les frères Grossan, Pierre et Claude. Ils sont sculpteurs sur bois, leur outil premier est l’Opinel, et aucun séjour à Ceillac n’est valable si l’on n’a pas rendu visite à cet atelier emblématique de la commune. Au demeurant, les visiteurs sont bienvenus. En observant le travail du couteau, précis, minutieux, qui écorche d’abord le bois pour mieux le dessiner, il faut convenir de l’originalité de la démarche des frères Grossan. Leur art, un savoir-faire désormais connu bien au-delà du Guil, s’exprime dans la fabrication de meubles et d’une multitude d’objets sculptés. Et notamment les fameuses rosaces ceillaquines. « On a appris en regardant les anciens, en observant nos parents. On n'est jamais allé à l'école », rigole d’ailleurs Claude.
Sainte-Cécile et Saint-Sébastien
Sur place, on découvre un village éclaté en plusieurs petits hameaux – ce qui est fréquent en montagne – et dont la spiritualité se matérialise par deux églises. Située au cœur des habitations, l’église Saint-Sébastien (XVIe siècle) au clocher étrangement ouvert, se reconnaît facilement par ses six cloches. Elle abrite des fresques remarquables, évoquant des scènes de la vie du saint qui lui a donné son nom. Plus étrange, et postée sur une position dominante à l’écart du village, comme si elle commandait l’accès au plateau, l’église Sainte-Cécile (XIIe siècle) se démarque par son clocher imposant par rapport aux dimensions de l’édifice. Sainte-Cécile est également coiffée d’une flèche en tuf.
La balade dans le village confirme ce que l’on soupçonne déjà : l’habitat traditionnel, en bois, disparaît peu à peu au profit de constructions plus modernes (même si le bois reste toujours présent en façades ou sous les toits). Les chalets ceillaquins, pour accueillants qu’ils soient, ne doivent pas faire oublier que l’on est ici dans l’une des huit stations-villages du Queyras. A la croisée des vallées du Cristillan et du Mélezet, Ceillac est en effet aux premières loges d’une nature grandiose qui s’exprime ici aux superlatifs : les plus hauts sommets du Queyras (les pics de la Font Sancte culminent à 3385 m), la plus haute cascade du Queyras (la cascade de la pisse dévale 250 m), les plus beaux lacs du Queyras (le lac miroir et le lac Saint-Anne), même si d’autres lacs revendiquent bien entendu cette dernière affirmation.
