Le lac se donne généreusement au plus grand nombre mais cache aussi des secrets. Des mystères que l’on pénètre par les eaux, réputées pour être les plus pures d’Europe, et uniquement par elles. Paddle, kayak, bateau à moteur ou barques vous y conduiront. De ces pépites, nous vous livrons des sensations qui en émanent. Venez avec nous au port de Sevrier sur une embarcation dont le propriétaire préfère garder l’anonymat.
Le Roc de Chère
Son bateau est à moteur thermique. À l’heure du tout électrique, il préfère rester discret. Mais efficace. Il sait où aller pour se gorger de nature, de calme, de soleil grappillé avant son coucher et surtout d’eaux limpides. Pour Jean-Marc, pas de tergiversation possible pour rejoindre le top des spots. Il fonce en diagonale vers la rive est, en direction du Roc de Chère, lové entre les villages de Talloires et de Menthon-Saint-Bernard. Un grand massif sublime à la réputation sulfureuse. Une paroi de pierre quasi verticale se dresse au-dessus du bateau. L’angle est droit, entre la façade haute de 70 mètres qui tombe à pic dans l’eau, radicalement horizontale et foncée. Dans cette réserve naturelle particulièrement fréquentée, le cabotage est interdit pour les bateaux à moteur, sur une distance de 300 mètres.
À cet endroit, dit-on, le lac abriterait des marmites qui aspirent les nageurs malchanceux. C’est une légende. Une plaque commémorative rappelle toutefois qu’un fils n’est jamais remonté d’une plongée. Ce coin fait frémir mais séduit car il est sauvage, donc délicat. Feux, musique, bivouac sont interdits. Les familles nombreuses l’évitent. Jesim pagaie. Il est venu ici en kayak, avec sa sœur Farah. Deux jeunes adultes qui savent, qu’ici, grands fonds et courants composent un cocktail dangereux. Ils resteront sur leur embarcation.
L’annécienne Romy se promène en paddle avec une amie colombienne qui vit au Québec. Elles sont venues ici, aussi, pour lire une page de géologie. Observer la falaise c’est interroger le passé du lac. Les roches portent l’empreinte des eaux de pluies et de sources qui les ont creusées. Certains y voient les marques d’un glacier qui s’élevait ici il y a 16 000 ans avant JC. Pour le glacier, c’est vrai. Pour les stigmates c’est faux.
La baie de Talloires
Cent coups de pagaie plus loin, les deux amies vont de l’autre côté de la falaise, passant ainsi d’un sanctuaire indompté, à la plus fréquentée et riche des baies, celle de Talloires. Impossible de rater cette vue sur les montagnes, Dents de Lanfon, Tournette, Roc des Bœufs… Sept kayakistes, venus de la région parisienne, flottent en chœur. Ambiance cadres “quinqua”, au taquet, mâtinée d’un esprit colonie de vacances. Eux aussi, ont exploré le Roc de Chère et sa « zénitude », avant de profiter du confort d’un des plus beaux hôtels de Talloires. Le lac d’Annecy propose aussi une jonction quasi immédiate entre le luxe et une nature échevelée qui se mérite et surtout se protège.
Angon
La balade continue. Un coup de gaz et nous voilà à Angon, précisément à cet endroit du lac où l’on profite, et c’est connu, des derniers rayons du soleil. Même si, théoriquement, on peut venir ici en voiture, le bateau est encore à privilégier car il est impossible de se garer tant la route est étroite.
La réserve naturelle du Bout-du-Lac
Mais déjà l’appel d’un cosmos isolé nous reprend. Direction la réserve naturelle du Bout-du-Lac, à Doussard. Là encore, le respect s’impose. C’est ici, dans des roselières gorgées d’animaux que se jettent les sources, l’Eau Morte et l’Ire, qui alimentent le lac. Une zone marécageuse qui grouille d’espèces, rares ou sensibles. Castors et crapauds l’habitent. De votre embarcation, vous ne pouvez que les imaginer profiter des eaux. Par mimétisme fantasmé, vous plongez. Si vous faites la planche, vous verrez une mosaïque de parapentes tournoyer au-dessus de votre nez.
Le col de la Forclaz et le château de Duingt
Le col de la Forclaz est un des sites les plus réputés au monde pour voler. Ici, l’air, l’eau, l’animal et le végétal conversent. Une petite méditation idoine sur le pont du bateau après le bain et nous voilà repartis. Le temps de passer devant le château de Duingt que votre position de marin vous permettra de voir sous un angle inenvisageable depuis la route. Au pied de l’édifice, vous découvrirez une maison avec un petit balcon surplombant le lac. Un cabinet de musique, dit pavillon de l’embarcadère, bâti au XVIIIe siècle. Giflé par une vague de romantisme, vous filez vers d’autres songes.
Bienvenue à « Tahiti Plage »
Dix minutes plus tard, bienvenue à “Tahiti Plage” ou, comme disent les habitués, les “Fonds blancs”, après la plage de Saint-Jorioz. Ici l’eau est translucide, bleue, avec du sable et d’improbables coquillages. Des corbicules mortes, une espèce non comestible et invasive, venue ici dans les années 80 par les coques des bateaux. Les nageurs aiment les ramasser. Ils ont facilement pied. Janine, dans un fauteuil pliant déployé dans sa barque, discute avec son petit-fils Tilio. Le grand-père nage en solitaire sans que personne ne s’inquiète. Le pique-nique est dans la glacière.
Les oiseaux savent qu’ici c’est table ouverte. Trois goélands leucophées quémandent. La quiétude respire. Rien ne dit qu’ici vous vous trouvez dans les “Marais de l’Enfer”. Et pourtant le nom vous en assure. Nous voulons bien le croire puisqu’ici se termine notre tour des meilleurs spots du lac. L’enfer c’est effectivement de les quitter.
Article issu du Dauphiné Libéré