Hervé Chauvet, il connaît le village comme sa poche. « On peut dire ça », concède-t-il d’ailleurs, affable et plus occupé que jamais depuis qu’il est retraité. Au Barroux, quand on a une vie d’agriculteur, il y a toujours quelque chose à faire. Une récolte, les vendanges, aider un collègue dans le besoin… « Presque un tiers de la surface de la commune est cultivée, soit plus de 500 hectares sur 1700 ! », poursuit Hervé, avant de se lancer dans l’inventaire des cultures : l’abricot, « même si par manque d’eau, ça recule », la vigne, l’olivier.
Population : 638 habitants
Gentilé : Barrouxier, Barrouxière
Altitude : 218 m – 670 m
Autrement dit, du boulot. « Heureusement, on a récupéré une épicerie-café. Les deux dernières avaient fermé, alors la mairie a poussé ce projet. C’est bien, comme ça on a un lieu de vie pour se retrouver autour du café le matin, ou l’apéritif de fin de journée ».
Pour notre retraité, né dans le village en 1953, il n’y a rien d’extraordinaire – du moins pas plus qu’ailleurs – à vivre dans ce village médiéval perché, préservé, doté d’un paysage extraordinaire, entre Ventoux et Dentelles, au cœur du Comtat Venaissin. « On sait que c’est beau, mais j’ai toujours vécu ici. Alors pour moi c’est naturel, c’est juste normal. Remarquez, je peux vous faire la visite si vous voulez. On a des chapelles, un lavoir, un moulin, un aqueduc de 1842, et même un élevage de lamas ». Et, bien sûr, un château imposant, de style renaissance, ancienne forteresse militaire plusieurs fois pillée et rénovée.
Des lamas au pied du Ventoux ? Si l’image pourrait paraître incongrue, elle ne l’est pas au Barroux, où tout le monde connaît le petit cheptel d’une quinzaine de têtes élevé par Marie Scherrer, la tisserande qui poursuit le rêve de Pierre-André Scherrer, son défunt marin. C’est lui qui a introduit en 1984 ces animaux des Andes, au caractère bien trempé, en Vaucluse.
L’hiver venu, fuseau et rouet à la main, Marie Scherrer file la laine de ses bêtes qu’elle tond tous les deux à trois ans pour récolter un kilo de laine très aérienne qui possède 17 nuances naturelles. C’est aussi là, dans l’une des ailes de sa ferme en pierre, qu’elle se rend pour tisser.
L’atelier comprend six métiers à tisser, l’un d’entre eux a même été conçu par Pierre-André, tisserand de formation et très renommé à l’époque dans la région. Au cours des journées d’hiver, elle tisse des tapis, des écharpes, des étoles…
Du whisky au château
Ce château – dans la famille de son mari depuis 1929 – Fanny Vayson, œnologue de formation, y habite depuis 2020. Le couple, parent de trois enfants, en a repris le bail, avec un projet et de grandes ambitions. « On lance en effet le whisky du château du Barroux avec l’idée de valoriser le terroir, la céréale petit épeautre, et de s’ancrer dans local. On veut un château qui crée du lien avec le village, avec le territoire, qui renoue avec son histoire ».
« L’aventure débute avec l’acquisition d’un alambic en 2019 juste 90 ans après l’achat du château par les ancêtres de son mari en 1929 », explique Fanny Vayson. Pour ce qui est la matière première, il s’agit du petit épeautre IGP de Haute Provence (indication géographique protégée), une céréale à l’épi au sommet de l’élégance à ne pas confondre avec l’épi ébouriffé du seigle.
Pour Fanny, c’est le choix de cette matière première qui fait sens au projet symbole de l’élégance française tout comme le fait d’élaborer le whisky dans l’enceinte du château. La malterie accueille l’épeautre en grains décortiqués pour y subir les trois opérations du maltage : le trempage, la germination et le touraillage.
Des grains parfumés stockés dans des fûts iront rejoindre la distillerie juste en dessous, pour être concassés, de l’eau y sera ajoutée, un chauffage à bonne température fournira un jus sucré auquel l’ajout de levures permettra la fermentation. Il en sort un produit alcoolisé à une dizaine de degrés un peu comme de la bière avant la dernière étape : la distillation.
Trois ans de maturation seront alors nécessaires pour assister à la naissance de la première cuvée du Whisky du château du Barroux.
Fanny poursuit : « Ce château a été acheté par l’arrière-grand-père de mon mari pendant l’entre-deux-guerres, il a été complètement rénové jusqu’à 1939. Il faut bien comprendre qu’il avait été complètement pillé, servant même de carrière de pierres pour les maisons du village ! Les Allemands l’ont ensuite incendié. Il a fallu le mécénat du docteur Mouliérac, pendant trente ans, pour redonner vie au lieu. Cette médecin militaire a notamment fait restaurer une partie des planchers ».
Depuis quelques mois, Fanny et sa famille expérimentent donc la vie au château, pas toujours facile, n’en déplaisent aux clichés, entre les investissements immenses, le chauffage compliqué et les contraintes de l’ouverture au public. « Mais, conclut l’œnologue, quand on est là-haut, avec le paysage extraordinaire que l’on a, avec le potentiel touristique, le terroir… je me dis quand même qu’on a tout ce qu’il faut pour être un des phares du Vaucluse ».
