Conséquences des deux accidents, de la baisse des températures, des départs en vacances ?
Les bords du lac de Paladru étaient un peu moins bondés qu’à l’accoutumée ce dimanche. Mais il y avait du monde dans l’eau. Y compris dans les zones où la baignade est signalée comme strictement interdite.
À la base nautique du Yacht club, par exemple, où une Voironnaise de 79 ans a été sortie de l’eau en arrêt cardio-respiratoire samedi 3 août. Fabrice et ses enfants se rafraîchissent à quelques mètres de l’endroit où ils ont pourtant vu les secours intervenir.
« Je pensais qu’il y avait eu un accident avec un catamaran. » Dans cette zone, où circulent des bateaux, des paddles, des canoës, c’est en effet le risque de collision qui a motivé la maire de Charavines à prendre un arrêté d’interdiction de baignade.
« Je ne me sens pas en danger »
« Ici, ce n’est pas une plage, c’est une mise à l’eau. C’est ce que j’explique aux usagers. Ça ne vous viendrait pas à l’idée de mettre une serviette sur la route ? », lance Jacques Perez, le président du club, désemparé.
« On a mis des panneaux plus gros, on insiste sur la réglementation » mais difficile de la faire respecter. « On ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque personne. Et même aux gendarmes, des gens disent ‘On fait ce qu’on veut’ », il en a été témoin.
« En restant près du bord, je ne me sens pas en danger. Il n’y a pas de courants, pas de baïnes », observe Fabrice, adhérent du club et habitué des lieux. « On ne peut pas vous obliger, mais il faudrait au moins porter des gilets », conseille Jacques Perez, le président du club, encore marqué par l’accident. La victime était elle aussi une habituée, ancienne adhérente.
Un débat tumultueux
« Oui, on peut faire un malaise dans n’importe quelles circonstances mais on n’a pas à se baigner là où c’est interdit », tranche Gilles, les mains encore tremblantes. Accompagnant de personnes handicapées et bénévoles au club, c’est lui qui a trouvé le corps de la septuagénaire quand son mari s’est inquiété de ne pas la voir revenir.
« Elle aurait pu prendre un malaise dans sa cuisine », est l’un des arguments de Thierry et son fils Alexis, croisés de l’autre côté du lac, au Bois d’Amour. Tout près de l’endroit où un jeune homme de 22 ans s’est noyé vendredi soir. « Dangereux, ce n’est pas le mot qui me vient à l’esprit quand on parle du lac », avance Alexis. « L’endroit où on meurt le plus, c’est son lit », pose Thierry.
La famille, qui habite Voiron, vient souvent se baigner là. « Il y a de l’ombre, une vue sympa. » Et, ils en sont certains, pas plus de risques de noyade que dans les lieux surveillés. « On se surveille les uns, les autres. Et en général ceux qui ne savent pas bien nager ne s’aventurent pas loin. »
La combinaison de plusieurs facteurs de dangerosité
Sauf qu’au Bois d’Amour, « on atteint très vite des profondeurs importantes. Il y a des rochers, des arbres. Tous ces objets peuvent être dangereux », rappelle Jean-Yves Penet, le maire de Bilieu.
D’où les arrêtés d’interdiction de baignade et les nombreux panneaux posés dans la zone. Le jeune homme s’est probablement fait surprendre. Lui et ses amis ne savaient pas nager d’après les témoignages de ces derniers.
« C’est vrai que ça descend vite, il faut faire attention », remarque Antoine. Avec son frère et un copain, ils sont dans l’eau. « On vient ici depuis qu’on est petits. On nous a déjà dit de ne pas sauter des arbres mais jamais de ne pas se baigner », assure-t-il. « Vendredi, les gendarmes nous ont contrôlés pour stupéfiants mais ils n’ont rien dit sur la baignade », insiste-t-il.
Les panneaux, il les a vus.
Et les plages surveillées ?
Impossible de les louper, admet Isabelle, venue de Voiron se balader et nager. « Je pensais que c’était interdit parce qu’il y a des propriétés privées sur le lac », explique-t-elle. En apprenant que le Bois d’Amour présente un danger particulier, elle se ravise. Mais elle n’ira pas sur l’une des plages surveillées. « On est vite aux bouées. »
Les autres reproches : elles sont payantes et/ou bondées. Pleine de familles qui recherchent plus de sécurité.
Un décalage entre le principe d’interdiction et la réalité
Au lac de Paladru, il est interdit de se baigner ailleurs qu’au niveau des plages surveillées, aux heures de surveillance. Mais ce principe général, fixé par arrêté préfectoral, la communauté d’agglomération du Pays voironnais et les communes situées sur le rivage du lac n’ont pas les moyens de le tenir.
Surveiller des centaines, voire des milliers de personnes, sur 15 kilomètres, « c’est impossible, même pour les services de l’État », rappelle Bruno Guillaud-Bataille, le maire de Charavines.
Des solutions pansements
Alors cette année, il a pris des arrêtés définissant des zones de baignade aux risques et péril des usagers, malgré l’opposition d’une partie des propriétaires privés du lac.
« Ce sont des zones qui, a priori, ne présentent pas de danger particulier mais où les personnes savent qu’elles doivent prendre toutes les précautions nécessaires parce qu’il n’y a pas de surveillance », explique Jean-Yves Penet, le maire de Bilieu, qui a fait de même.
Elles ont été déterminées après une étude bathymétrique menée par le Pays voironnais en 2022 pour repérer les endroits potentiellement fragiles et dangereux du lac.
Pour Bruno Guillaud-Bataille, « c’est la seule solution pour resserrer la surveillance sur les zones dangereuses », qui restent formellement interdites à la baignade. Une surveillance assurée par des médiateurs du Pays voironnais, les gendarmes et les gardes employés par les propriétaires privés du lac.
Des campagnes de sensibilisation sont également envisagées. « Il faut que chacun prenne conscience que la baignade présente toujours un risque. »
Un bilan statistique effrayant
D’abord, quelques chiffres édifiants : chaque année, près de 1 000 personnes meurent d’une noyade accidentelle en France, dont plus de 350 pendant la période estivale. Ainsi, entre le 1er juin et le 30 septembre 2023, 361 décès par noyade ont été répertoriés sur le territoire national, selon un rapport de Santé publique France (SPF).
Des données qui, pour être appréhendées à leur dimension réelle, peuvent être comparées par exemple avec le nombre de victimes des sports de montagne qui, selon les chiffres du Système national d’observation de la sécurité en montagne (SNOSM), s’établit à environ 200 décès par an…
Devant la mortalité routière
En France, la noyade est tout simplement la première cause de mortalité par “accident de la vie courante” chez les moins de 25 ans, la mortalité routière (662 personnes tuées sur la route en France en 2023 étaient âgées de moins de 25 ans selon un bilan de l’observatoire interministériel de la sécurité routière) n’étant pas intégrée à cette accidentologie “de la vie courante”.
Si la quasi-majorité des noyades [SPF définit par ce mot l’ensemble des accidents mortels ou non mortels provoqués par une asphyxie par inondation des voies respiratoires, tandis que le Robert définit la noyade par la mort accidentelle par immersion dans l’eau, NDLR] se produit en mer (47 % des cas), 26 % ont lieu en piscine et 23 % dans des cours d’eau ou des plans d’eau, et 4 % ailleurs (bassines, baignoires, etc.).
Les zones interdites à la baignade sur-représentées
Santé publique France a révélé dans un rapport très complet datant de juin 2022 que la proportion de décès est plus élevée dans le cas de noyades s’étant produites en plan d’eau : en effet, près d’un accidenté sur deux (49 %) en étang ou en lac trouve la mort, contre 41 % en cours d’eau, 25 % en mer et 15 % en piscine (de tous types). Les noyades en plan d’eau représentent 20 % des décès [par noyade accidentelle] et elles concernent plus particulièrement les jeunes de 20 à 24 ans.
En plan d’eau, la proportion de noyades survenues dans une zone de baignade surveillée est de 38 % contre 62 % dans une zone de baignade non surveillée (mais pas toujours dans une zone interdite). 24 % des noyades en plan d’eau ont lieu dans une zone de baignade interdite.
Fait particulièrement troublant, 69 % des noyades [toujours selon la définition de SPF] survenues dans des zones de baignade interdite ont été sanctionnées par le décès de l’accidenté, contre 42 % de décès pour les noyades dans des zones de baignade non interdites.
Un élément statistique particulièrement évocateur, et qui devrait plus souvent être mis en avant en termes de prévention pour dissuader les baigneurs de faire un plongeon dans une zone interdite à la baignade, l’interdiction ayant toujours des raisons objectives, en termes de sécurité, d’être prononcée.