« Denali » ou « mont McKinley » ?
La question que se pose actuellement l’Amérique semble anodine, mais elle en dit long sur le rapport qu’entretient l’Homme avec les sommets. On pourrait croire que les montagnes, avec leur silence imposant et leurs parois glacées, sont au-dessus des querelles humaines.
Mais prenez l’actualité : le Denali, ce géant de 6 190 mètres en Alaska, est le point culminant des États-Unis et d’Amérique du nord. Or, depuis des décennies, il ne fait pas seulement l’objet de convoitises alpinistiques : son nom est devenu un sujet de discorde nationale.
Le Denali : l’exemple le plus actuel
En effet, le nouveau président américain a déclenché une vive polémique ce lundi 22 janvier 2025, en signant un décret rétablissant le nom de « mont McKinley » pour désigner le sommet connu officiellement comme Denali depuis 2015. Pour Donald Trump, ce changement est un acte symbolique visant à honorer la mémoire de William McKinley, 25ᵉ président des États-Unis.
Mais pour certains, ce geste sonne comme une négation des racines autochtones et du lien spirituel des Koyukon Athabascans avec cette montagne qu’ils appellent depuis des siècles « Denali », signifiant « le grand » dans leur langue.
Ce n’est pas la première fois que ce sommet se retrouve au centre de tensions. En 2015, sous l’administration Obama, le nom d’origine avait été rétabli après plus d’un siècle d’appels ignorés par les communautés locales. À l’époque, cette décision avait été largement saluée en Alaska, mais elle n’avait pas manqué de susciter l’ire d’une frange de la population américaine, pour qui « mont McKinley » restait un symbole de l’histoire nationale.
Mais ce phénomène n’est pas typiquement américain, il est mondial. En Europe, le Mont Blanc joue aussi les montagnes à polémique.
Le Mont Blanc : plus qu’une frontière, un symbole
Français ou italien ? Tout dépend de la carte qu’on regarde. Le tracé actuel, gravé par notre Institut géographique national (IGN), nous est favorable, englobant la totalité de la cime du mont Blanc. Il diffère pourtant de celui de son homologue transalpin, l’ « Istituto geographico » de Florence pour qui le toit des Alpes serait franco-italien.
Mais cette querelle qui dure depuis 1860 et le rattachement de la Savoie à la France, dépasse le simple enjeu des frontières : le Mont Blanc, avec ses 4 810 mètres, n’est pas seulement une montagne, c’est un monument naturel. Un symbole d’altitude, de grandeur, et un attrait pour les touristes du monde entier. Vous l’aurez compris : ici aussi, un sommet devient un outil de soft power.
La montagne, une fascination universelle qui dépasse l’altitude
Alors, pourquoi les montagnes suscitent-elles autant de passions ? Peut-être parce qu’elles sont à la fois des défis pour l’homme et des trophées pour les nations. Pour un individu, atteindre un sommet, c’est conquérir un morceau du ciel, en témoigne l’intérêt autour de l’ascension de l’Everest qui résulte parfois sur des files d’attente sur la route du sommet.
Et pour les pays, posséder le toit d’un continent ou d’une région est un symbole de prestige. Le Kilimandjaro en Tanzanie ou l’Everest au Népal… Ces sommets ne sont pas que des destinations : ce sont des cartes de visite qui renforcent l’identité d’un pays. Et pour les populations locales, elles incarnent souvent des récits bien plus anciens, empreints de spiritualité et de tradition.
L’un des exemples les plus marquants se trouve dans les Andes, où l’Aconcagua (6 961 m), le plus haut sommet des Amériques, est vu comme un gardien des cultures locales. Il porte des légendes anciennes et reste un symbole de résistance pour les peuples autochtones face à l’histoire coloniale.
L’égo au-dessus du bon sens ?
L’actualité autour du Denali en Alaska rappelle combien les montagnes sont des symboles, si puissants qu’on en oublie presque ce qu’elles sont à la base : de la roche. Mais à l’heure où la planète change, ces querelles parfois déconnectées des réalités ont-elles encore un avenir ?
L’exemple du glacier du Théodule, entre la Suisse et l’Italie, montre qu’un autre chemin est possible. En 2024, les deux pays ont accepté d’ajuster leur frontière face à la fonte du glacier, un choix guidé par le pragmatisme. Une régularisation discrète, loin des grands discours, qui rappelle que les montagnes évoluent indépendamment des rivalités humaines.
Et pourtant, d’autres sommets continuent de cristalliser des tensions. Lors d’un épisode de regain de tensions en 2015 autour du Mont Blanc, Éric Fournier, maire de Chamonix, avait déclaré : « Le sujet semblait davantage émouvoir les États que les communautés locales. Nous, on considère que cet espace appartient aux montagnards. »
Alors au fond, qu’on les nomme Denali ou McKinley, qu’on se les dispute entre nations ou qu’on les laisse aux alpinistes, les montagnes rappellent une chose essentielle : elles sont là depuis bien plus longtemps que nous, et elles le resteront encore bien après, nos symboles n’étant que de passage.