Le dernier mont Blanc de Patrick Gabarrou : « Une merveille absolue »

Ce jour d’août, Patrick Gabarrou sut que c’était la dernière fois qu’il se rendait au sommet du mont Blanc. Auteur d’une dernière ouverture sur le toit des Alpes, après une ascension parfaite, l’alpiniste de 73 ans était alors animé d’un sentiment de plénitude. Une dernière voie pour exprimer sa foi et son adoration envers cette montagne, « cathédrale de lumière », où il écrivit plus d’une vingtaine de fois son nom.

Une dernière première dans la face ouest

Comme toujours chez lui, les aventures en montagne sont une histoire « de partage, d’hommage aux amis disparus et de paysage du cœur ». Des valeurs chrétiennes qui le guident depuis l’enfance et qui ont encore motivé cette dernière première dans la face ouest du mont Blanc. Gabarrou avait prévu de s’y essayer, deux ans plus tôt, avec les guides Nicolas Magnin et Laurent Grichting. Mais l’un s’est blessé et l’autre a trouvé la mort en octobre 2022, à l’hôpital, après une chute en crevasse. Ce qui a mis provisoirement un terme à ce projet.

Jusqu’au jour où la filleule de confirmation de cet apôtre des cimes lui présente deux forts grimpeurs. Deux Clément : Clément Parisse, le skieur de fond mégevan médaillé aux derniers Jeux olympiques d’hiver, et Clément Dumont, un discret et humble habitant des Contamines-Montjoie. L’alchimie entre l’icône et ces deux jeunes venant de réussir l’examen probatoire de la formation de guide est alors immédiate. Le trio ne grimpe qu’une seule fois ensemble sur un site d’école, avant de se décider à partir pour le versant le plus sauvage du toit des Alpes.

Patrick Gabarrou (au centre) accompagné de Clément Parisse et de Clément Dumont. Photo Collection Patrick Gabarrou
Patrick Gabarrou (au centre) accompagné de Clément Parisse et de Clément Dumont. Photo Collection Patrick Gabarrou

Une aventure de trois jours

Une aventure de trois jours les attend. La longue remontée glaciaire est ponctuée par la découverte d’un jardin floral qui fait ressortir la joie juvénile ayant toujours accompagné le guide basé à Saint-Sigismond, en Haute-Savoie. Après une première nuit au refuge de Quintino Sella, la cordée s’attaque à une longue remontée d’arête, non loin de la pointe Louis Amédée. Les compagnons partagent le même enthousiasme et apprécient le calme de cette zone isolée du massif. Au soir du deuxième jour, un splendide coucher de soleil et la fondue partagée dans cette ambiance unique de haute montagne compensent l’inconfort du bivouac qui les attend.

Au troisième jour, l’inoxydable Gabarrou ressent comme rarement son âge. L’altitude l’épuise. Ses deux amis de 42 et 47 ans de moins l’encouragent et finissent par porter le sac de celui qu’ils admirent. « Sans eux, je n’y serais probablement pas arrivé », concède le montagnard dont le nom occupe pratiquement une page sur deux des topos alpins. Dans la redescente vers l’aiguille du Goûter, la reconnaissance et la gratitude qu’éprouve le septuagénaire ne s’adressent pas uniquement à ses deux nouveaux amis, bien conscients de la dimension spirituelle de l’alpinisme façon Gabarrou. Avec leur accord, ce dernier avait baptisé ce nouvel itinéraire “Marie, porte du ciel”, avant même de l’avoir gravi.

« Je suis allé au sommet au moins 200 fois »

« Après cette ascension parfaite, j’ai senti que mon histoire avec le mont Blanc se terminait, comme elle s’est terminée au Cervin avec la voie Padre Pio échelle vers le ciel ». L’ultime épisode d’une romance commencée en 1972, quand l’étudiant en philo à la Sorbonne atteignait pour la première fois le point culminant de l’Europe occidentale, par le col de la Brenva. Dix ans plus tard, à une époque où il ne pouvait se permettre de payer trop souvent le tunnel du Mont-Blanc, Gabarrou choisit malgré tout de se rendre côté italien, pour ouvrir l’hypercouloir du Brouillard.

Le début d’une longue série, tout autour du mont Blanc. suivent ensuite “Divine Providence” et “Frêneysie pascale”, deux voies ouvertes en 1984 avec François Marsigny, pourtant plutôt imperméable au discours angélique de Gabarrou. Du rocher, de la glace, du mixte, le mont Blanc est un de ses terrains de jeu favoris, y compris comme guide. « En 52 ans de carrière, je suis allé au sommet au moins 200 fois. Avec ses piliers et son dôme, le mont Blanc m’a toujours fait penser à une cathédrale gothique qui, au lieu de faire rentrer la lumière, la réfléchit. C’est une merveille absolue », s’extasie béatement celui qui aura désormais plaisir à le contempler d’un peu plus bas.

« Je n’ai pas l’intention d’arrêter mon métier de guide. Ma décision de ne plus m’y rendre ne se justifie pas non plus par mon âge ou par une envie de prendre moins de risques, mais bien parce que chaque montagne est un chemin, et que celui-ci s’est terminé de la plus belle des façons », confie avec sérénité ce pèlerin des hauteurs, pas encore complètement rassasié.

L’éternel premier de cordée, ou presque, ne se voit pas tout de suite ranger ses crampons. « Je suis habité d’une lumière que je me dois encore de témoigner à travers mon métier, qui m’offre le bonheur de rester dans l’émerveillement, au service des autres », ajoute celui pour qui le mont Blanc fut un évangile.

Article issu du Dauphiné Libéré

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