Le tic-tac de l’horloge se noie dans le bourdonnement de la cafetière. Les aiguilles rouges indiquent 4 h 58. Manu, agent des routes, entre dans la salle de pause du centre technique départemental de Pont-du-Fossé et salue d’un hochement de tête Raphaël, le chef d’équipe. Une tasse de café, noir, sans sucre, et c’est parti.
La routine matinale
Ou plutôt, c’est reparti. « On est passé recharger la machine », indique Manu. Car Emmanuel Brochier et son binôme, Laurent Treffel, sont sur la route depuis 4 h du matin. « J’ai dû les appeler plus tôt ce matin, après avoir fait un tour vers deux heures et demi, explique Raphaël Charles. Il a plu et ça fait du verglas. » Dehors, la tractopelle couine en déversant une montagne de sel à l’arrière d’un chasse-neige.
« Hé, là ça brille ! » pointent Manu et Laurent en stéréo. Là, c’est quelques kilomètres plus haut, sur la route d’Orcières. Dans la cabine de leur saleuse, une machine bien huilée s’enclenche. Laurent, les yeux rivés sur la route humide, garde la main gauche sur le volant.
La droite pianote un instant sur un gros boitier gris et rectangulaire, bardé de diodes, de compteurs et de boutons. D’une pression du pouce, le volume de sel déposé sur la chaussée augmente. « Là on met uniquement du sel car le sol ne dépasse pas -7/-8°, souligne Manu avec un fort accent champsaurin. Quand il fait plus froid on doit mettre de la saumure à la place pour que ça fasse effet. »
Un véhicule automatisé
Orcières dans le rétroviseur, direction Merlette. L’engin serpente sur les pentes où on peut enfin apercevoir de la neige. Sur son siège passager, Manu manie la lame sur le flanc droit du véhicule à l’aide d’un joystick pour évacuer la neige restée sur le côté de la route. « Elle peut se gérer toute seule, mais parfois il y a des obstacles, comme des trottoirs. »
Et à part durant la montée vers la station, le mécanisme n’a pas vraiment servi. Sur le reste de leur patrouille, les deux agents sont passés par Ancelle, Chabottes ou encore le col de Manse, frontière entre leur zone et celle du centre technique de Saint-Bonnet-en-Champsaur.
« C’est quelque chose qu’on fait parce qu’on aime se sentir utile »
« Généralement, une patrouille c’est de 5 à 8 heures du matin, détaille Laurent. Là on est parti plus tôt, à cause de la météo. » Mais on ne compte pas ses heures quand on est agent des routes.
D’autant qu’ils peuvent être d’astreinte le week-end, en soirée. Ils alternent aussi entre le matin et l’après-midi. Pas l’idéal pour un cycle de sommeil sain ou pour une vie sociale tranquille. « C’est quelque chose qu’on fait parce qu’on aime se sentir utile, c’est le service public. »
Apprendre « sur le tas »
Un métier qu’ils ne pratiquent pas depuis la même durée, malgré un âge identique, 52 ans. Laurent est agent depuis une année. Manu depuis 24. « Je suis d’Ancelle », pointe ce dernier. La montagne, ça le connait. Son compère vient de Lyon, mais il est arrivé dans le Champsaur il y a déjà plus de dix ans. Il avait déjà la formation adéquate pour être agent des routes : le permis poids lourd.
« Le reste on l’apprend sur le tas », s’amuse Laurent. Il y a bien quelques formations, comme celle pour le chargement du sel ou l’utilisation d’une nacelle mais c’est tout. Laurent a aussi eu un binôme expérimenté pour se lancer.
« En duo, c’est sûr que c’est plus sympa le matin », sourit Manu. Côté ambiance, c’est plutôt calme dans la cabine. Le passager est en charge de la radio : pour lui c’est pop-rock et RTL2, du dernier tube de Linkin Park aux classiques de Toto ou Adèle. « Mais si on est en duo, c’est avant tout pour la sécurité. »
Des risques
Car tout ne passe pas toujours comme prévu. « On s’est déjà retrouvé au milieu d’une coulée, à Champoléon, rembobine Laurent. La route était bouchée, on était dans le noir total et des blocs nous dégringolaient droit dessus. » Ils prennent rapidement la tangente, plus de peur que de mal. « Et y a deux jours, on a pris feu, lâche Manu, imperturbable. Une durite a pété et a aspergé le turbo. »
Un passage sur le dépanneur porte-char plus tard et le chasse-neige est de retour sur les routes. Mais il s’agit évidemment d’exceptions. Un problème beaucoup plus commun pointe régulièrement le bout de son pare-chocs. « Le trafic, soufflent en chœur les deux agents. Surtout durant les vacances, ça arrive fréquemment qu’on soit bloqué. »
Après chaque chute de neige, le ballet se répète : les agents chargés du déneigement pour les différentes collectivités territoriales chargent les camions-bennes et vident leurs cargaisons dans les cours d’eau.
Est-ce légal ? Il n’y a pas de texte réglementaire spécifique pour le dire et il n’est pas nécessaire, non plus, de déclarer ces déversements en préfecture car ils ne rentreraient pas dans le champ d’application de la loi sur l’eau. La neige, même chargée en sel, ne serait pas suffisamment polluée pour que les collectivités soient obligées de prévenir les autorités. Cependant, une règle essentielle inscrite dans le Code de l’environnement doit être respectée : ne pas faire obstacle à l’écoulement des eaux. Et sur ce point, la Police de l’eau veille.
Article issu du Dauphiné Libéré