Les genoux dans la neige depuis trois heures, il attend. En silence. Comme un guetteur tapi dans le froid, Jean-Paul Grimaldi scrute la pente blanche, prêt à dégainer dès qu’un skieur fendra l’air à toute vitesse.
Ce matin-là, il a décidé de photographier le Coq d’Or, une compétition où s’affrontent chaque année les meilleurs espoirs du ski français. Appareil vissé à l’œil, objectif comme une longue-vue braquée sur l’avenir du ski, Jean-Paul immortalise chaque passage, chaque éclat de mouvement.
Stratégiquement posté sur une butte à mi-parcours, à deux mètres d’une porte, il ne perd pas une miette du spectacle : « Ce que je préfère capturer, c’est le moment où le skieur change de carre en plein virage : on a l’impression qu’il vole. »
Mais à quoi bon toutes ces photos d’inconnus ?
« C’est avant tout une passion »
Si Jean-Paul n’a pas fait de la photographie son métier, il en a tout de même fait un revenu. « Je le fais avant tout par passion » tempère-t-il, « contrairement à beaucoup, qui ont industrialisé le processus et qui réussissent à vendre leurs photos autour des 20 euros pièce. »
Les compétiteurs de la journée auront, eux, 12 euros à débourser auprès de Jean-Paul s’ils veulent garder un souvenir en haute résolution. L’homme explique ce tarif pour décrire son modèle économique :
« Honnêtement, les compétitions comme aujourd’hui ne me rapportent pas grand-chose, en comparaison des shootings particuliers que je peux faire tout l’hiver. »
Trois cents euros en moyenne, une vingtaine de fois dans la saison : si son principal revenu ne suffit peut-être pas à constituer un salaire décent, les shootings permettent néanmoins à Jean-Paul de financer son hobby coûteux.
La photo, ça coûte si cher que ça ?
Il y a son matériel d’abord, qu’il estime valoir autour de la dizaine de milliers d’euros :
« L’objectif pèse lourd, bien sûr. Mais ce n’est pas tout : le capteur, par exemple, je dois le changer tous les trois ans. Et comme j’utilise mon appareil dans des conditions extrêmes – entre neige, humidité et reflets solaires – il s’use vite. »
À cela s’ajoutent les frais annexes : site internet pour vendre ses clichés, impôts, Urssaf… Depuis qu’il s’est lancé en auto-entreprise, Jean-Paul estime avoir déboursé près de 20 000 euros. Un chiffre qui peut faire tourner la tête. Et pourtant, il n’est pas seul à se lancer : dans les stations, les photographes semblent pulluler.
Un métier qui a bien changé
Fini l’époque où les clichés s’affichaient en vitrine à côté des tire-fesses, en attendant que les vacanciers passent les récupérer. Aujourd’hui, le numérique a tout bouleversé : les offres pour des postes de « photostoppeur » – entendez par là des photographes postés sur les pistes pour capturer à la volée le sourire des skieurs – se multiplient, notamment dans les grandes stations.
Sur les nombreuses annoncent qui inondent les jobboard, les recruteurs sont à la recherche de profils polyvalents : à l’aise avec un appareil photo mais aussi avec les gens, sportifs, autonomes, et souvent auto-entrepreneurs, avec leur propre matos sous le bras. Un travail qui peut s’avérer usant physiquement à la longue.
Dans l’extrême majorité des cas, les contrats sont saisonniers et les revenus très variables selon les ventes. Sur Indeed, on peut lire que l’agence « Le Photostoppeur » propose en moyenne un salaire moyen dépassant les 2 600 € brut mensuel.
Sauf que ce chiffre aussi est à prendre avec des pincettes. Selon France Bleu, la plupart des emplois en station restent précaires, avec une médiane à 2 000 € brut, et que 84% d’entre eux doivent jongler avec un deuxième travail. Sans trop noircir le tableau il faut enfin rappeler que le coût de la vie en station de ski peut atteindre des sommets.