Le petit monde de la cascade de glace aime se retrouver chaque année depuis 35 ans à l’Argentière-la-Bessée dans les Hautes-Alpes. « On peut caractériser cet événement pas quatre piliers, explique Cathy Jolibert, organisatrice qui tire sa révérence après dix années à la tête de l’ICE.
Le premier pilier de l’ICE c’est qu’il s’agit d’un rassemblement pour les participants passionnés de montagne pendant quatre jours avec des ateliers de cascade de glace, de ski de randonnée, de raquettes… Le deuxième pilier c’est la compétition internationale organisée le samedi avec la FFCAM (Fédération française des clubs alpins et de montagne). Le troisième pilier, c’est le salon avec les partenaires et le quatrième pilier sont les animations et les soirées. Le fil rouge, c’est que c’est un rassemblement qui permet aux passionnés de montagne, les experts qui écrivent les grandes lignes de l’alpinisme et les débutants, de se rencontrer. »
Avec près de 60 ateliers vendus de 45 à 85 € selon l’activité, les participants bénéficient de l’accompagnement d’un professionnel à un tarif attractif pour ne pas dire imbattable. Une formule qui séduit puisqu’ils sont 400 par jour à participer aux ateliers. « L’ICE, c’est aussi la transmission entre les guides de haute montagne et les participants, complète Cathy Jolibert. Les guides transmettent des techniques de progression mais aussi du savoir-être sur les comportements à adopter en haute montagne. Ils transmettent des valeurs qui a mon sens sont fondamentales pour notre société. »
Une saison courte mais intense
Nous sommes en plein cœur de la saison de la cascade de glace, qui court généralement de mi-décembre à fin février. Si l’ICE Climbing Ecrins a tout de suite trouvé sa place à l’Argentière-la-Bessée sous l’impulsion de Gérard Pailleret il y a 35 ans, c’est que ce coin des Hautes-Alpes regorge d’itinéraires de cascade de glace (300 environ), dans les vallées de Freissinières et du Fournel, entre autres.
« Ces deux vallées sont caractérisées par du froid et beaucoup d’eau. C’est un univers assez féérique, qui ressemble un peu au monde de Narnia », compare Cathy Jolibert. Par définition, les sites ne voient pas beaucoup la lumière du soleil mais dans l’ombre bleutée de ces “hotspots”, c’est de la glace que vient la lumière. « Visuellement, tu en prends plein les yeux. Il y a des formes incroyables, la glace gonfle, se démultiplie avec le froid. C’est une pratique éphémère qui de fait nous oblige à être créatif », conclue la future ex organisatrice.
Une histoire de délicatesse
Notre premier contact avec la cascade de glace se déroule sur le site artificiel de Freissinières où deux tours accueillent des cordées de débutants et d’experts qui cohabitent joyeusement sur la glace. C’est le guide de haute montagne Nil Bertrand qui nous chaperonne pour cette première. Chaussures d’alpinisme hivernal et crampons aux pieds, piolets en mains, casque sur la tête, nous écoutons son briefing avec attention. « Il faut taper les piolets au-dessus de notre tête, à largeur d’épaule. Nos pieds, on va les monter en faisant des petits pas mais en veillant, avant de déplacer ses mains, à bien les écarter pour être bien stable. Une fois stabilisé avec sur pieds, on va remonter nos bras et ainsi de suite. C’est vraiment une alternance entre le haut du corps et le bas du corps. »
Stressante, la première longueur débute tout en raideur et contraction du corps et des muscles, puis on se détend assez vite pour finalement essayer de faire corps avec ce support que l’on considère fragile mais qui tient bien sous les assauts des “pioches” (piolets) et des “crabes” (crampons).
Au début un peu brutal, le guide nous enseigne vite que ce n’est pas la force qui fait avancer. « Comme en escalade lorsqu’on choisit les prises les plus adaptées, la cascade a des formes : on va essayer d’éviter les zones sortantes (bosses) qui vont être cassantes, pour viser des zones où la glace sera plus tendre pour ancrer nos piolets et nos crampons. »
Lorsqu’on frappe la glace avec les piolets, le geste se passe au niveau du poignet, c’est ce qu’on appelle le “swing”. « Après, plus on évolue dans les degrés de difficultés et notre aisance en cascade, plus on se rapproche de la gestuelle d’un grimpeur de rocher. Mais on passe tous par ce mouvement de base qui ressemble à une forme pyramidale de notre corps. »
Briser les idées reçues
Sur les installations de Freissinières, nous évoluons en moulinette, c’est-à-dire que la corde à laquelle nous sommes assurés part vers le haut avant de redescendre vers le compagnon de cordée. Les pratiquants les plus aguerris manient les broches à glace pour créer les points de fixation (on dit alors qu’ils grimpent en tête). Mais ça, c’est une autre histoire…
Notre initiation se déroule à merveille et les sourires ne quittent pas les visages des membres de notre groupe composé de profils bien différents avec de solides grimpeurs sur rocher (ou en salle), des grimpeurs occasionnels et des débutants (c’est notre cas).
Ce premier contact est surprenant d’accessibilité et bouscule l’image que l’on se faisait de la cascade de glace. « Même si on n’a pas de culture montagne ou d’expérience avec la verticalité, la neige ou le froid, on peut découvrir cette activité, confirme notre guide. C’est sûr, souvent on a froid mais on s’équipe en conséquence. Et c’est une activité qui tient chaud, qui est assez physique et complète où l’on fait travailler toutes les parties de notre corps, les bras, les jambes et notre tête aussi ! Encore une fois, les images que l’on a de la pratique sont brutales, on s’imagine taper comme avec un marteau mais ce n’est pas ça la cascade de glace. »
Pour débuter, il faut se rapprocher d’un club, d’un bureau des guides ou d’un événement comme l’ICE Climbing Ecrins. La nature pour le moins changeante du support nécessite obligatoirement d’être encadré par un professionnel au début.
Sur site naturel, la magie opère dès l’approche
Pour notre deuxième journée d’initiation, nous prenons la direction de la vallée des Fonts de Cervières. Coup de cœur immédiat pour ce lieu magnifique en bordure du Queyras. Après 45 minutes d’approche, nous arrivons au pied du site où quelques cascades de glace s’offrent aux regards. Discrètes dans le paysage en cet hiver un peu sec, il y a quand même de quoi faire avec des voies parfaites pour l’initiation et d’autres que nous nous contenterons d’observer de loin. Sur les sites de cascade de glace comme sur les sites artificiels, le casque est obligatoire pour se protéger des éclats de glace de plus ou moins grandes tailles. Il est vivement conseillé de surveiller ce qu’il se passe en hauteur !
« Évoluer dans un environnement féérique jamais vu »
Les longueurs s’enchainent sur des cascades assez courtes d’abord, puis plus hautes. Contrairement à la tour de Freissinières où la glace est ravivée chaque nuit grâce à un circuit d’eau, il faut veiller au support. Gare à celui ou celle qui tape trop fort : il se fera vite rabrouer par les habitués des lieux ! Sur ce site naturel, on s’applique à chercher les points d’ancrage pour ne pas saccager le support et faire durer le plaisir pour les suivants.
Tout en largeur, le site des Fonts de Cervières en impose avec en son centre un trou dans la roche par lequel on passe pour passer d’un secteur à l’autre. Le froid est mordant mais la grimpe réchauffe vite les corps et les esprits engourdis. L’émerveillement est permanent. « Pour les trois quarts des débutants que j’ai pu encadrer en cascade de glace, le plus marquant et d’évoluer dans un environnement féérique, qu’ils n’ont jamais vu, sur une matière qu’ils n’ont jamais pratiquée, explique Nil Bertrand. Ça apporte un dépaysement total en fait. »
« Connaître et comprendre la nature de la glace »
La cascade de glace navigue entre science et poésie. Par nature éphémère, la glace impose une approche que peu de pratique peuvent offrir. « C’est quelque chose qui se forme, qui évolue, qui disparait et qui est tout le temps différent. Une structure qui est là en période hivernale, peut changer de forme en une semaine. En fait, on peut faire le même itinéraire plusieurs fois dans la saison, il présentera des gestuelles ou des difficultés différentes justement parce que le support aura évolué. » Blanche, bleue, translucide, la glace peut aussi être colorée en se chargeant de minéraux ou de terre. « C’est tout le temps différent. La glace reste de l’eau mais elle a une structure différente selon l’endroit et le moment où l’on se trouve. »
Pour François Kern, directeur communication et marketing chez Petzl, partenaire de l’ICE Climbing depuis la nuit des temps, progresser en cascade de glace n’est pas forcément lié à la technique ou au physique. « Ce qui est vraiment compliqué c’est de connaître et comprendre la nature de la glace, d’interagir avec. Il faut passer du temps sur la glace, la toucher, la grimper, la regarder, l’analyser. C’est pour ça que c’est important de prendre des “buts” en fait (lorsqu’on est obligé de renoncer, ndlr), aller voir une cascade et se rendre compte par soi-même de ce qui est grimpable et de ce qui ne l’est pas. L’apprentissage de la connaissance de la glace est vraiment long, déjà parce que les saisons sont courtes, et ensuite parce qu’on peut être le meilleur grimpeur sur une tour de glace, ce n’est finalement qu’un dixième de la connaissance. »
Si tenter l’aventure de la cascade de glace vous prend, rapprochez-vous d’un bureau des guides ou d’un événement dédié (il y en a pas mal en France). Pour participer aux ateliers de l’ICE Climbing Ecrins 2026, il vous faudra faire vite car les inscriptions sont bouclées en deux petites heures… presque moins de temps qu’il n’en faut pour transformer la glace en eau !
Le matériel, c’est la première chose qui nous vient à l’esprit lorsqu’on évoque la cascade de glace. Les crampons, les piolets… Mais là encore, il y a des nuances que François Kern, directeur communication et marketing chez Petzl, nous explique.
Équipement de base
« Déjà, il y a tout l’équipement classique de l’alpiniste : le casque, le harnais, la corde, le descendeur, les dégaines… qui peuvent être exactement les mêmes que l’on utilise en alpinisme. Tout est pareil ! »
Les crampons
« C’est là où ça devient spécifique à la cascade de glace. Un crampon de glace n’a rien à voir avec un crampon d’alpinisme : sur l’avant, ils ont des pointes droites (vers l’avant), et non plates car on ne vient pas chercher de la portance (à l’horizontal), on vient chercher à planter le crampon pour pouvoir tenir dans la glace. Après, il y a tout un système de pointes spécifiques en-dessous du crampon pour avoir une bonne stabilité sur la glace. »
Les piolets
« C’est l’objet très visuel. Les piolets sont souvent mis en priorité dans l’équipement alors qu’il faut savoir se servir de ses pieds et avoir de bons crampons avant… La première caractéristique d’un piolet de glace va être son galbe, puis la position de la poignée. Mais ce qui est vraiment important, c’est le type de lame qu’on utilise. Sur tous les piolets aujourd’hui les lames sont interchangeables, soit pour les réparer, soit selon les activités que l’on va pratiquer : du dry tooling (escalade de rocher avec crampons et piolets) avec des lames plus épaisses et des pointes différentes, très solides mais pas du tout performantes en glace. Il y a des lames polyvalentes et puis des modèles spécifiques pour la glace, plus fines avec une courbure travaillée différemment et qui est vraiment faite pour bien entrer dans la glace et bien mordre. La lame, c’est le point clé. Certains vont même jusqu’à les affûter ! »