Autrefois accessible via le téléphérique des Grands Montets, la piste du point de vue traverse une parenthèse sauvage, depuis 2018 et l’incendie ayant ravagé la remontée mécanique.
Jusqu’à la mise en service du nouveau téléphérique en décembre 2026, seuls les skieurs de randonnée peuvent atteindre le col des Grands Montets (3 230 m), point de départ de cette piste noire unique. Longue et soutenue, elle serpente dans le sanctuaire septentrional du bassin glaciaire d’Argentière sur 1 300 m de dénivelé.
Faute de balisage depuis la catastrophe, mieux vaut bien s’entourer si l’on souhaite en ce moment suivre son tracé. Ce jour-là, c’est avec l’enthousiasme qui fut le sien pendant les 42 années de sa vie passées aux Grands Montets que l’ancien directeur du service des pistes Pascal Croz s’élance dans la pente. Et quelle pente !
Un terrain glaciaire
En guise de rampe de lancement, le skieur doit dompter la rimaye du glacier des Rognons. Pour passer cette première et peut-être principale difficulté de la descente, mieux vaut parfois oser la sauter dans une cascade façon James Bond. Après tout, l’agent secret au service de sa Majesté s’est justement rendu dans le secteur avec Sophie Marceau, quand le monde ne lui suffisait pas.
Certaines années, il fallait continuellement reboucher la lèvre et combler la rupture de pente avec de la neige ou de la paille pour lisser ce départ de piste », se souvient le professionnel pour qui ce fastidieux travail, longtemps effectué à la main et sans équivalent dans les autres stations de ski, risque d’être tout aussi complexe au moment de la réouverture du top des Grands, dans deux ans.
Ici, des pisteurs de haute montagne ont longtemps œuvré et s’emploieront à nouveau à sécuriser une piste dont les 500 premiers mètres de dénivelé se font sur un terrain glaciaire.
Une piste très technique
Une particularité qui valait au point de vue de n’être damé que sur 30 % de sa longueur environ, et cela seulement à partir de 2015, lorsque des travaux de terrassement permirent à une dameuse de venir adoucir certaines portions.Pour le reste, il valait mieux être sûr de son niveau. Car même l’inclinaison douce du premier tiers et la traversée en direction du col des Rachasses peuvent se révéler techniques selon la qualité de la neige. Par moments « béton », croûté ou poudreux, l’or blanc s’y montre parfois capricieux, parfois généreux
Vient ensuite l’impressionnant premier mur qui vous brutalise les cuisses. « Tu fais deux secours avec la barquette de 40 kg dans ces pentes et tu vas te coucher de fatigue », assure l’ancien patron des pistes rappelant que, quand elle est balisée et ouverte, cette piste ayant grandement contribué à la notoriété de ce domaine chamoniard confère aux pisteurs d’autres prérogatives. Les titulaires du deuxième degré reçoivent une formation au secours en crevasse afin d’extirper les skieurs piégés par le glacier.
La marque du réchauffement climatique
En bas du premier mur, il faut naviguer dans la goulotte, une sorte de déversoir à poudreuse devenant bosselé à mesure que les skieurs le parcourent. Dans la petite traversée sur la gauche qui suit, Pascal Croz ne peut s’empêcher de constater l’évolution des pentes et l’apparition de nouveaux rochers, preuves de la fonte du géant glacé.
Dans la petite traversée sur la gauche qui suit, Pascal Croz ne peut s’empêcher de constater l’évolution des pentes et l’apparition de nouveaux rochers, preuves de la fonte du géant glacé. « L’itinéraire sera probablement légèrement modifié », songe celui qui est viscéralement attaché à ce versant au point d’avoir créé une course de ski de randonnée pour lui redonner vie après l’incendie.
Plus qu’un paysage, un décor alpin
Bien qu’il soit moins difficile, le deuxième mur oblige même le bon skieur à s’arrêter quelques minutes. Tant mieux ! Vous voilà arrivé au fameux point de vue sur les séracs du glacier d’Argentière. Des sommets majestueux dominent ce qui, à deux pas de la vallée Chamonix, semble être une vallée glaciaire coupée du monde. Le majestueux Chardonnet, la muraille granitique et gelée reliant le Dolent au Triolet, les vertigineuses faces nord des Droites ou des Courtes, sans oublier les 4 122 m de l’aiguille Verte derrière soi… pour le skieur habitué à la montagne à vaches, le dépaysement est total.
Dans la combe longeant l’arête des Rachasses, l’attentif peut imaginer les pisteurs s’aventurer sur les vires surplombantes pour déclencher préventivement les avalanches, en coupant le manteau neigeux avec leurs carres. Des moments de solitude et un travail « engagé » qu’aimait particulièrement Pascal Croz. « Pendant plus de 40 ans j’ai eu le privilège de tout salir en premier après chaque chute de neige. Et faire les premières traces ici, ça vous comble de bonheur ».
Le mordu de glisse arrive alors en bout de piste et deux choix s’offrent à lui : prolonger la descente par la difficile variante de l’hôtel puis la Pierre à Ric pour rejoindre le bas du domaine après une dégringolade de 2 000 m de dénivellation inégalée dans les Alpes, ou dévaler un facile chemin damé jusqu’à Lognan, d’où il pourra bientôt à nouveau embarquer pour un second « run ». Espérons pour lui qu’il soit aussi bon que le premier.
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Article issu du Dauphiné Libéré