Comment se sent-on après pareille expérience ?
« Je suis rentré dès dimanche soir à la maison. J’ai eu quelques jours de repos et je récupère bien. Je n’ai pas perdu de poids. Je me suis juste cassé une cote pendant la traversée. Sinon aucune douleur. Physiquement, j’aurais même pu continuer. Mais il y a le côté mental et émotionnel, il faut rester concentré tout le temps et cela demande beaucoup d’énergie.»
« J’avais prévu que c’était possible en deux semaines »
Dix-neuf jours, c’était conforme à l’objectif ?
« Je n’avais pas fixé de temps, ça dépend tellement des conditions. J’avais prévu que c’était possible en deux semaines, selon des conditions idéales : météo parfaite, neige dure en permanence. Or ça n’arrive jamais. Si on enlève les jours de mauvais ou les changements de parcours on n’est pas loin. »
Quand pensez-vous avoir pris le plus de risques ?
« L’étape de la Verte et des Droites (massif du Mont-Blanc, NDLR). C’était bien chaud toute la journée, avec les éboulements. Je le savais, je connaissais les conditions d’une fin d’été. On voyait tous les trous sur les glaciers, c’est l’avantage de la fin de saison. D’un autre côté, la stabilité des cailloux était bien pourrie. Ce sont des journées, où on en content quand ça s’arrête.»
« La préparation se fait sur le long terme »
Quelle étape vous a paru la plus difficile sur le plan technique ?
« La traversée du Diable, avec du 5 sup sans doute. Mais le rocher est super bon. Après, l’arête des Droites, pour bien rester sur le fil, ou le Grand pilier d’Angle, pour éviter les éboulements. »
Y a-t-il eu une préparation spécifique ?
« Non, la préparation se fait sur le long terme pour acquérir les techniques, l’aisance, la capacité à faire du solo par mauvais temps. Ici, en Norvège je suis habitué. Des années de maîtrise. Physiquement j’étais en forme, bien entraîné pour participer à la course Sierre-Zinal, le 10 août (NDLR, qu’il a gagné pour la dixième fois). Et mon hygiène de vie était saine. »
- 82 sommets de plus de 4 000 mètres reliés à travers trois pays : Suisse, France, et Italie
- 18 jours d'activité et 1 jour de repos
- 16 étapes, avec une moyenne en activité de 17 heures, 34 pour la plus longue.
- 1 207 kilomètres pour 75 344 mètres de dénivelé en 267 heures 45 minutes et 16 secondes d'activité
- 5 heures et 17 minutes de sommeil en moyenne par nuit
- 87 % du temps à pied et 13 % à vélo
- 40 % des sommets (32) gravis en « cordée »
« L’idée était de trouver une ligne en restant le plus possible en haut »
Combien de personnes étaient au courant ?
« Ma famille, l’équipe de chez NNormal (sa marque). Quelques semaines avant le départ, j’ai demandé des conseils à mes amis montagnards comme Michel Lane ou Mathéo Jacquemoud, sur certains passages, les conditions. Mathéo fait partie des gens qui m’inspirent comme ceux qui m’ont accompagné, notamment Benjamin Védrines. Avec aussi Hélias Millerioux ou Charles Dubouloz, il y a une génération de Français incroyable. »
L’aventure d’Ueli Steck en 62 jours, en 2015, a-t-elle été votre source d’inspiration ?
« Ueli m’a toujours inspiré et m’a beaucoup appris à grimper. Mais sur ce projet il y avait d’abord les Italiens Franco Nicolini et Diégo Giovannini (NDLR, 60 jours en 2008). »
« Tu vas beaucoup plus vite en parcourant beaucoup moins de distances »
Comment expliquer qu’ils aient mis trois fois plus de temps ?
« Parler record n’a pas beaucoup de sens sur ce type de projets qui varient selon les conditions. Le concept n’était pas le même. Ueli avait une logique de sommets, et redescendait à chaque fois. Moi l’idée était de trouver une ligne en restant le plus possible en haut, en trouvant le parcours le plus logique par les crêtes pour redescendre le moins possible, quitte à dormir en bivouac. Tu vas beaucoup plus vite en parcourant beaucoup moins de distances. Mais les journées sont plus longues.»
« Je voulais que les glaciers soient secs »
Votre arrivée en même temps que l’UTMB était-elle préméditée ?
« Non c’est des conneries tout ça. Sur un projet comme cela où la prise de risques est énorme, on ne peut pas se baser sur une autre course. On avait prévu de venir en famille dans les Alpes pour Sierre-Zinal en Suisse. Je me suis dit, autant profiter du voyage. Le paramètre déterminant était la météo. Quand j’ai vu que la période était bonne je suis parti. Et puis la fin de saison était propice, notamment par rapport aux conditions glaciaires. Comme j’ai fait la plupart du parcours toute seul (60%, NDLR), je voulais que les glaciers soient secs. »
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« Les 4000, c’est une excuse, un prétexte pour aller chercher des émotions sur des parcours intéressants »
L’alpinisme hyper technique dans lequel s’illustre Benjamin Védrines autre spécialiste de la vitesse en haute montagne ne vous tente pas ?
« J’aime faire des choses où il y a du mouvement, avec des difficultés moyennes. Ici, en Norvège, je fais des ouvertures en cascades de glace ou en ski de pentes raides. »
Que retenez-vous de cette aventure ?
« Le coucher de soleil, durant la montée du Weisshorn, ce spectre de Brocken, ces paysages, ces instants précieux, c’est ça que je retiens d’abord… En fait les 4000, c’est une excuse, un prétexte pour aller chercher des émotions sur des parcours intéressants.»
Comment gérer une telle concentration avec si peu de sommeil ?
« Je suis habitué à aller seul en montagne chez moi en Norvège et à rester concentré tout le temps. C’est l’une des clés de ce projet autant de jours. Car c’est un jeu qui peut devenir dangereux, avec une prise de risque plus élevée. Et puis en temps normal, je suis habitué à dormir moins de 7 heures. Là avec 5 heures je récupérais. »
« Ça fait 8 ans que je n’avais pas grimpé dans les Alpes. Le changement m’a surpris »
Avez-vous été frappé par l’impact du climat sur ces espaces protégés ?
« Ça fait 8 ans que je n’avais pas grimpé dans les Alpes. Le changement m’a surpris, notamment sur les itinéraires toujours en glace, comme l’arête de Bionnassay, ou la Dent Blanche, en train de devenir rocheux. La forme de certaines montagnes, comme la Verte ou les Droites a changé complètement. La traversée était en sable… L’arête du Moine n’existe plus. »
Vous considérez vous comme un alpiniste ?
« Moi je fais de la montagne. Les techniques d’alpinisme, de ski, de course à pied sont juste des moyens pour gravir ce qu’il y a devant soi. Qu’est-ce que ça veut dire être alpiniste ? Je ne le sais pas… »
« L’alpinisme a toujours suscité des débats »
Les grimpeurs qui dans les années 80 se sont mis à sprinter les faces nord ont été accusés de tuer l’alpinisme ? En réduisant la traversée des Alpes à 19 jours, n’êtes-vous pas en train de tuer le rêve ?
« Non, l’alpinisme a toujours suscité des débats, quand on lit les récits de Paul Preuss (NDLR, partisan de grimper sans corde). L’homme aime la discussion. C’est une grande constante dans l’histoire de l’alpinisme le débat sur les moyens, la vitesse… Après la légèreté est une évolution. On a tous profité de l’inspiration des autres, quand je vois Benjamin Védrines, capable de faire ce qu’il a fait au K2.»
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« Ce que j’ai vu au camp de base de l’Everest m’a dégouté »
La suite, des projets en Himalaya ?
« J’ai envie de revenir en Himalaya. Mais je n’aime pas l’ambiance des voies normales là-bas. L’an dernier ce que j’ai vu au camp de base de l’Everest m’a dégouté, avec des gens qui veulent juste une ligne sur leur CV. Il y a une réflexion à faire sur le modèle touristique. Ça devient très dangereux et des questions environnementales se posent avec les hélicos qui tournent tout le temps. Et puis j’essaye de ne pas partir loin trop longtemps. Je veux passer du temps avec mes filles qui grandissent. »
Comment trouver la motivation après de pareils projets pour aller sur des courses du trail ?
« Si j’y vais c’est qu’il y a toujours un bon niveau. Et j’ai envie de dire aux jeunes, qu’ «on est encore là ». C’est sûr que l’émotion n’est pas la même qu’il y a 20 ans. Alors je choisis mes courses. »
Article issu du Dauphiné Libéré