Avec l’hiver, une nouvelle routine s’installe à l’antenne savoyarde de Météo France à Bourg-Saint-Maurice. Chaque semaine, deux à trois prévisionnistes nivologues chaussent leurs skis de randonnée et partent travailler à (très) haute altitude.
Leur mission ? Donner l’information la plus fiable sur les bulletins d’estimation du risque avalanche (BRA) publiés tous les jours.
Un métier de terrain
Début décembre, c’était au tour de Bastien Chatelon, Guillaume Graille et Axel Bouchet de tâter de la neige. Avec 20 kilos sur le dos, les trois jeunes recrues du service public de météorologie se sont frayé un chemin à travers la neige fraîchement tombée au Signal de l’Iseran, à plus de 3 200 mètres d’altitude sur les hauteurs de Val-d’Isère.
Sur place, la mécanique est rodée. À l’aide d’une pelle, les deux prévisionnistes nivologues ont creusé jusqu’à faire apparaître un mur de neige. Toutes les couches du manteau neigeux se sont ainsi révélées à eux. Ici pas de matériel spécifique pour les étudier en détail, il suffit d’observer et de toucher.
« On a réalisé ce qu’on appelle une stratigraphie des différentes couches de la neige à l’aide de nos sens : d’abord, on a regardé puis on a glissé des doigts dans les strates pour voir la composition », explique l’un des trois prévisionnistes à ski, Bastien Chatelon.
Une pelle pour mesure
Parmi ces couches, l’une a particulièrement retenu son attention. Photos à l’appui, le jeune homme de 23 ans nous montre a posteriori des morceaux de glace placés sur une échelle de mesure. Ce sont des gobelets, des petits cristaux de givre qui se sont agrégés en une couche fragile et, dans le cas présent, retrouvés à une profondeur inquiétante. « Ainsi positionnés, les gobelets peuvent se détacher et déclencher des avalanches », prévient Bastien Chatelon.
Le prévisionniste a ensuite réalisé ce qu’il nomme le « test de la pelle ». Il a posé ledit outil en haut du mur de neige, positionné sa main par-dessus et par un mouvement de poignet régulier a tapoté à dix reprises dessus. « L’idée est de voir si la couche se décroche et, si c’est le cas, il faut regarder où est-ce que ça s’est décroché », détaille Bastien Chatelon.
Mais ce dernier s’appuie aussi sur des outils plus sophistiqués pour analyser la résistance de la couche neigeuse comme une sonde de battage. Un tel appareil est équipé d’un tube dans lequel une masse chute pour calculer le degré d’enfoncement dans la neige.
Météo France utilise une échelle de 1 à 5 pour classer le risque avalanche.
▶ 1 : Le risque est faible avec un manteau neigeux stable. Il est peu probable que des avalanches surviennent, sauf en cas de forte surcharge ou dans des pentes très raides.
▶ 2 : Le risque est limité. Le manteau neigeux est moins stabilisé dans quelques pentes raides. Mais des départs spontanés d’avalanche sont peu probables.
▶ 3 : Le risque est marqué. Dans de nombreuses pentes, le manteau neigeux n’est que modérément à faiblement stabilisé. Des avalanches peuvent se déclencher même à faible charge.
▶ 4 : Le risque est fort. La plupart des pentes sont concernées par un manteau neigeux faiblement stabilisé. Les avalanches déclenchées par une faible charge sont probables.
▶ 5 : Le risque est très fort. Il est observé une déstabilisation généralisée du manteau neigeux. D’importantes avalanches peuvent survenir spontanément.
L’importance du contact humain
De l’aveu des prévisionnistes rencontrés à Bourg-Saint-Maurice, ce contact avec le terrain est essentiel pour l’écriture des BRA, leur principale activité durant l’hiver. « On choisit les lieux de nos sorties en fonction de ce qu’il nous manque comme information », précise Michel Matveieff, prévisionniste nivologue à Météo France en poste depuis 2019 à l’antenne savoyarde de Bourg-Saint-Maurice.
Mais ce ne sont pas les seules excursions sur le terrain. Les prévisionnistes nivologues borains sont tenus de visiter à intervalles réguliers les 27 stations savoyardes dont ils ont la charge, de la Tarentaise à la Maurienne en passant par le Beaufortain (à la seule exception des Bauges, massif géré par l’antenne de Chamonix).
C’est une manière pour Michel Matveieff de renforcer le lien humain avec les acteurs sur place : « Ce sont les pisteurs qui nous font visiter le domaine skiable qu’ils gèrent. Ils nous montrent les zones à risque, l’enneigement ou l’exposition au soleil. Derrière, quand on les a au téléphone, on visualise mieux qui nous parle et ce dont ils nous parlent. » Chacun des prévisionnistes effectue entre cinq et sept visites de station par saison.
La montagne, un métier-passion
Et même en dehors du travail, les cinq agents borains s’aventurent sur les pentes enneigées de Savoie. C’est ce qui fait pour Michel Matveieff toute la spécificité de cette antenne du service public de météorologie : « On est tous des passionnés de ski. Alpin ou rando ! »
Celui qui prend sa retraite l’année prochaine voit d’un œil bienveillant l’arrivée de nouvelles recrues à Bourg-Saint-Maurice. « Ce sont des jeunes très sportifs, qui sont à fond quand il s’agit de sortir skier en montagne. » De quoi être rassurant quant à l’avenir de cette antenne boraine, dont la menace de disparition il y a deux ans semble bel et bien éloignée.
Article issu du Dauphiné Libéré