En ce mois de mai, les dernières stations, Tignes, Val d’Isère, Chamonix ou Val Thorens ont fermé leurs domaines, au terme d’une saison qui a vu la fréquentation des pistes françaises progresser de 4 % quand, en Suisse, ce fut le meilleur hiver de la décennie.
Toutes, vraiment ? Non car, en Isère, la station des Deux Alpes laisse ouvert son glacier du Jandri jusqu’en juillet. C’est l’une de ses réponses au défi climatique, faisant glisser son offre ski d’été en amont au printemps.
Le point commun entre ces stations à large amplitude d’activité ?
Des massifs inégalement exposés
Elles font partie de la douzaine de domaines skiables qui, au regard du taux d’équipement en neige de culture au niveau national (proche de 45 % de couverture), seraient les mieux préservés du très fort risque de faible enneigement auquel une France à +4°C exposerait nos massifs.
Et si ce taux d’équipement passait à 60 %, elles seraient une vingtaine sur 226 à l’heure actuelle. Toutes dans les Alpes, au nord pour les trois quarts.
C’est l’une des conclusions de la dernière étude des spécialistes de Météo France et de l’INRAE, à Grenoble et Toulouse qui, depuis 2019, parviennent à modéliser l’évolution de l’enneigement qu’il soit naturel ou “géré”, avec le renfort du damage et de la neige “produite”, selon les scénarios de réchauffement.
Un travail publié le 1er mai dans la revue scientifique La Météorologie mettant en évidence les conséquences pour les stations de sports d’hiver et la vulnérabilité de la moyenne montagne dès 2030-2050. Les chercheurs avaient jusque-là simulé l’enjeu au niveau national (Alpes, Pyrénées) et même européen , ou à l’échelle micro, développant un outil d’aide à la décision station par station (ClimSnow).
Manquait la mise en corrélation avec la fameuse “trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (Tracc)”, en appui du troisième plan national d’adaptation au changement climatique, lancé par le gouvernement le 10 mars dernier.
Un mois d’enneigement de moins en 2050 ?
On le sait, la France se réchauffe plus vite que la moyenne du globe. Et le relief aussi. « Le réchauffement attendu en montagne est plus marqué que la moyenne nationale, de + 0,4°C à +0,7°C en hiver et de +0,7°C à +0,9 °C en été », notent les chercheurs, qui ont planché sur la référence de hausse de température sur le territoire hexagonal : +2,7 °C, en 2050 et +4 °C en 2100 par rapport à la période préindustrielle (1850-1900).
« Ce qui correspond à un réchauffement planétaire de +2 °C et +3 °C au vu des engagements actuels de décarbonation des États dans le cadre de l’Accord de Paris », précise Hugues François, du Laboratoire Écosystèmes et Sociétés en Montagne à l’INRAE, coauteur de l’étude.
On voit que dans les Alpes du Nord, à 1 800 m d’altitude, la valeur médiane de cinq mois et demi d’enneigement observée sur la période 1976-2005, baisserait de un mois à +2,7 °C (deux mois dans les Alpes du sud).
Dans une France à +4 °C, deux mois d’enneigement seraient perdus dans la partie septentrionale de l’arc alpin quand la saison durerait à peine un mois et demi en zone méridionale. Sans le renfort de la production de neige, 90% des 226 stations françaises seraient en grande difficulté pour ouvrir dès 2050.
Les enneigeurs indispensables ?
Avec le taux d’équipement actuel, proche de 45 %, 214 stations, représentant 86 % de l’activité actuelle connaîtraient un très fort risque de faible enneigement, rédhibitoire dans une France à +4°C.
Quand à +2,7°C, au milieu de siècle, 95 domaines parmi les plus bas représentants 10 % de l’activité hexagonale seraient impactés. Avec un taux d’équipement de 60 %, le gain serait marginal, n’empêchant pas 73 % des stations d’être soumises à très fort risque à +4°C.
Bien sûr les Alpes du nord, par la diversité des stations et leur altitude, sont les mieux loties, avec un quart des domaines, mais seulement 4 % de l’activité ski, qui ne seraient plus viables en 2050. Dans les Alpes du sud, cette valeur monte à 9 %.
Les Alpes dans leur ensemble pèsent déjà les trois quarts de l’activité en France, et devraient donc, au-delà de 2050 en avoir l’exclusivité.
Une ressource en eau sous pression
Car on mesure aussi les limites de l’équipement, consommateur d’eau. « Au-delà d’un certain niveau de réchauffement, la contribution de la production est limitée », note Hugues François. A fortiori dans les autres massifs, et en moyenne montagne, « sensible au moindre dixième de degré de hausse de température ».
D’ores et déjà, la demande en eau a quasiment doublé par rapport à la période 1976-2005, rappelle l’étude qui montre de grandes différences d‘évolution de l’enneigement d’une station à l’autre. À altitude comparable avec les Alpes du sud, les Pyrénées sont plus exposées du fait de leur latitude.
Un quart de l’activité sera impacté dès 2050, malgré l’équipement actuel. La proportion passe à 38 % dans le Jura, 56 % dans les Vosges et le pire est à venir pour le Massif central avec une ou deux stations qui résisteraient sur 14 (73 % d’activité impactée).
« Jusqu’à quand est-il pertinent de privilégier cette option? »
Si le recours à l’enneigement est devenu l’arme majeure de la stratégie d’atténuation de l’impact climatique, permettant de diviser par trois l’aléa en 20 ans, les chercheurs interrogent sur son usage raisonné.
« Où et jusqu’à quand est-il pertinent de privilégier cette option ou d’en explorer d’autres ? » Hugues François note qu’« au-delà d’un certain seuil de changement climatique, l’adaptation n’est simplement plus une option, surtout si elle consiste à prolonger une activité malgré des conditions adverses.
Le recours à la production de neige peut aussi contribuer à des formes de maladaptation, en s’inscrivant dans une dépendance au sentier des modes de développement de ces territoires mobilisant les actifs et les acteurs pour une activité dont il devient alors de plus en plus difficile de dégager des moyens d’action pour contribuer à leur transition. »
Article issu du Dauphiné Libéré
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