Des Alpes à l’Himalaya : le record fou de deux guides français en wingsuit

L’Isérois Antoine Pecher et le Haut-Alpin Éric Jamet, guides à Chamonix, sont en route pour les Annapurna et un sommet de 7 000 mètres. Leur défi : le plus long saut au monde en wingsuit , sur 12 km, et battre leur propre record.

Réunis à Chamonix, Antoine Pecher et Éric Jamet, guides de haute montagne, se sont envolés pour le Népal où ils vont tenter de battre le record du monde de saut en distance et en hauteur depuis la chaîne des Annapurna à près de 7000 mètres.

Voler depuis les cimes

Professeur à l’École nationale de ski et d’alpinisme, Antoine Pecher est un enfant de Saint-Hilaire de Touvet (Isère). La Chartreuse est sa base de lancement. La wingsuit, combinaison aile qui lui permet de voler depuis le relief, est sa seconde peau. « Il m’arrive de monter à la dent de Crolles à 2000 m et de rejoindre la vallée en sautant, pour aller faire mes courses ».

Guide à Chamonix et ancien secouriste, le Haut-Alpin Éric Jamet a d’abord eu une image choc de la discipline. À l’aube des années 2010, la pratique, dérivée du parachutisme et du base-jump, connaît un essor fulgurant et un vent de démocratie mortifère. Chamonix, où les téléphériques connectent la ville aux cimes, était devenu le cadre d’un Tournez manège dangereux pour les wingsuiters au pied montagnard aléatoire.

Avec le PGHM, Jamet est allé en chercher quelques-uns dans les arbres. Désormais réglementée, la pratique se mérite, réservée à ceux capables de grimper avant de sauter.

Depuis, Éric, 38 ans, est devenu guide, comme Antoine, son aîné de onze ans. Le second fut d’abord le coach du premier dans l’équipe nationale de la Fédération française de la montagne et de l’escalade (FFME). Voilà une dizaine d’années qu’ensemble, ils pratiquent ce que l’on appelle le paralpinisme, alliant leurs deux passions, grimper et voler.

Et désormais, ils sont dans l’élite de cette petite communauté. « Plus la taille des combinaisons a augmenté, plus on s’est rapproché des sommets qui nous faisaient rêver », explique Jamet.

Ces combinaisons ailes leur offrent désormais une finesse telle qu’ils peuvent avancer dans l’air sur trois mètres pour un mètre de chute, avec la sensation d’être un oiseau. Grâce à cette évolution, la cordée a réalisé des sauts inédits dans le massif du Mont-Blanc.

Au printemps, ils furent les premiers à décoller de l’aiguille Verte (4122 m), ultime géant vierge pour les winsguisters. deux minutes et trente secondes d’adrénaline à une vitesse de croisière de 175 km/h pour survoler la vallée. « On parcourt tellement le massif en parapente, à ski ou en tant que guide qu’on avait repéré l’exit, le seul endroit, 150 m sous la cime, d’où le saut était envisageable », continue Éric.

Voler plus loin

Ils se sont envolés le 7 octobre pour le Népal et la chaîne des Annapurna où ils vont tenter de gravir un sommet vierge de près de 7 000 mètres. Leur défi : battre le record du monde du saut le plus long (12 km) et le plus haut sur 5 000 m de dénivelé.

« On a déjà sauté à une altitude supérieure », précise Pecher, pensant au Russe Valéry Rozov sous l’Everest et le Cho Oyu à près de 8 000 m. Mais il s’était posé au pied de la montagne. Quand eux entendent voler jusqu’aux hautes plaines népalaises, à moins de 2 000 m, parcourant un dénivelé, distance verticale entre le point de décollage et la zone d’atterrissage, inédit. Temps de vol estimé : quatre minutes et trente secondes.

Le duo a localisé un promontoire propice à ce record, grâce à l’œil avisé du père d’Antoine, géologue, et au repérage de leur caméraman suisse Nicolas Bossard. Le Lamjung culmine à 6980 mètres et n’a été gravi qu’une fois. Mais pour décoller, il leur faudra trouver un exit, une rampe de lancement suffisamment inclinée pour ne pas percuter la paroi. En l’occurrence une cime voisine jamais atteinte qu’ils devront gagner au prix d’une traversée vertigineuse.

L’art du vol parfait

Si la discipline fait peur, le duo explique qu’elle est l’une des plus sérieuses au monde, exigeant un repérage au cordeau. « On utilise un télémètre laser qui nous donne la topographie et la courbe de vol. On la croise avec les données de notre GPS qui enregistre nos courbes moyennes de vol selon les altitudes. Et on en déduit notre marge de sécurité », explique Antoine, à quelques heures du départ.

« Et dans l’Himalaya, à cette altitude, l’air est moins dense pour une moindre portance, il nous faudra une marge supérieure », complète Eric.

« J’ai partagé une ascension avec eux : une leçon de préparation millimétrée. Leur envol n’est jamais un saut dans l’inconnu mais l’aboutissement d’un plan sans faille », témoigne Jean Bernadet, président du groupe de BTP Nouvelles générations d’entrepreneurs qui les soutient.

Et quand le duo voit que ça ne passe pas, comme au Chardonnet (3824 m), dans le Mont-Blanc, au printemps, il n’insiste pas et descend en rappel. « Il nous manquait dix mètres ».

Des Alpes à l’Himalaya

Les garçons sont habitués à voler à 4000 mètres d’altitude. Du reste, avec l’Isérois Vincent Cotte, ils détiennent déjà l’actuel record de dénivelé puisqu’ils ont décollé du pilier du Frêney, colonne de granit du toit des Alpes, pour atterrir 3250 mètres plus bas dans la station italienne de Courmayeur.

Mais là, ils vont évoluer dans d’autres sphères, 3 km plus haut. « Et il faudra que bien des planètes soient alignées, entre l’ascension, le repérage, la météo, le vent. Et si on se trompe sur l’itinéraire ou le choix de l’exit, ça peut coûter cher. On n’a pas beaucoup de jokers ».

Leur expérience himalayenne se résume à deux expéditions au Pakistan. Et deux vols mémorables des tours de Trango à 6200 m, parfaitement verticales, Manhattan de granit sur le glacier du Baltoro. Le film de leur exploit, Éternelle flemme a été primé à Banff (Canada). En haut, ils avaient jeté leur paquetage dans le vide pour le récupérer 2000 mètres plus bas, intact au pied de la paroi.

Mais au Népal, ils ne pourront se permettre pareille tactique pour voler léger. « On devra faire des concessions au style alpin puisqu’on doit atterrir dans une autre vallée. Des sherpas nous accompagneront pour gérer le rapatriement du matériel. »

Rien que l’équipement de vol pèse 7 kg, entre aile et parachute. Autre paramètre, vu l’accès délicat, ils devront décoller avec leurs grosses chaussures d’alpinisme. Ils s’y sont entraînés dans le Mont-Blanc. Entre l’approche, l’acclimatation et le feu vert des météorologues, leur envol n’est pas prévu avant la fin octobre.

Article issu du Dauphiné Libéré

Découvrez nos lectures liées
Restez informé, suivez le meilleur de la montagne sur vos réseaux sociaux
Réserver vos séjours :
hébergements, cours de ski, forfaits, matériel...

Dernières actus