Randonnée : est-il possible de croiser des ours brun dans les Alpes françaises ?

Il a beau avoir disparu des Alpes au milieu du siècle dernier, son aura plane encore sur la région dauphinoise. L’ours fascine toujours autant et continue « d’habiter » nos montagnes, au détour du nom d’une équipe de hockey ou d’une sculpture à Villard-de-Lans.

Mais alors qu’en avril dernier, l’Office français de la biodiversité (OFB) estimait la population d’ours bruns dans les Pyrénées françaises à au moins 96 individus, pourrait-on imaginer un retour du plantigrade dans les Alpes ?

D’aucuns jugeraient la question absurde. Et pourtant, si l’ours a toujours subsisté dans les Pyrénées, il y a encore un peu plus d’une trentaine d’années on ne comptait plus un seul loup en France. Éradiqué dans les années 1930, il fait son grand retour dans l’Hexagone en 1992, au niveau du parc du Mercantour, dans les Alpes-Maritimes.

Et c’est à pattes qu’il est revenu, depuis l’Italie voisine, sans l’aide d’un quelconque programme de réintroduction. Aujourd’hui, on en dénombre plus de 1000 sur l’ensemble du territoire, bien au-delà des Alpes.

Et si l’ours, présent lui aussi dans les Alpes italiennes, faisait de même et traversait la frontière de son plein gré ? Sur le papier, le scénario n’est pas si improbable, puisqu’il s’est déjà aventuré ainsi dans les Alpes suisses.

Une espèce casanière

« La population d’ours bruns a un fonctionnement très différent de celle des loups, notamment sur les caractéristiques de dispersion », explique Pierre-Yves Quenette, chef du service “Conservation et espèces à enjeux” à l’OFB. « Chez les loups, à la fois les mâles et les femelles peuvent se disperser et sur des grandes distances, jusqu’à 1000 kilomètres. »

« Un loup peut très bien traverser toute une partie de l’Europe. L’ours brun, lui, a des distances de dispersion inférieures à cela. Et surtout, la grosse différence, c’est que ce ne sont que les mâles qui se dispersent à longue distance. Les femelles sont plutôt sédentaires. »

En clair, quand bien même il prendrait l’envie à un ours de s’expatrier, il n’y a quasiment aucune chance d’observer un essor de la population comparable à celui des loups. Il ne s’agirait jamais que d’un individu solitaire, qui se trouverait bien dépourvu lorsque le rut serait venu…

« On observe des populations avec mâles et femelles dans le Trentin (NDLR : dans les Alpes italiennes, au nord-est du pays), à la suite des réintroductions d’ours de Slovénie en 1999 et 2001, comme on l’a fait dans les Pyrénées. »

« Ce sont essentiellement des jeunes mâles qui se sont dispersés après avoir quitté le noyau et qui sont ensuite allés jusqu’en Suisse, dans différents cantons : celui des Grisons au départ, puis de Berne et du Valais. »

« On pourrait donc imaginer qu’un ours aille jusque sur le versant français des Alpes : ça pourrait arriver. Mais on n’aurait que des mâles, pas de femelles, donc pas de reproduction envisageable. »

Photo Flickr/Georges et Benjamin Bruny
Photo Flickr/Georges et Benjamin Bruny

De petites portées

Mais soyons fous : imaginons qu’il prenne l’envie à une femelle d’explorer elle aussi nos contrées. Quand bien même, pas de quoi assurer la pérennité de l’espèce.

« En général, il n’y a que deux jeunes par portée, et ce tous les deux ans au mieux. » Un rythme de reproduction beaucoup plus lent que chez le loup donc, qui se reproduit chaque année.

« Chez le loup, on peut avoir jusqu’à 30 ou 40 % de taux d’accroissement annuel ; chez l’ours brun, c’est de l’ordre de 15 % dans le meilleur des cas. »

Exit donc, la possibilité de voir l’espèce reconquérir les Alpes françaises de façon viable. Vient alors l’épineuse question de la réintroduction. La dernière en date en France remonte à 2018, avec les ourses slovènes Claverina et Sorita, lâchées dans les Pyrénées. C’est d’ailleurs là qu’ont eu lieu toutes les réintroductions depuis la première en 1996, époque où on ne recensait plus que cinq individus.

Un retour manqué

Autant être clair : aucun projet de réintroduction d’ours brun n’est en cours dans les Alpes françaises. Et à notre connaissance, cette idée n’a nullement été évoquée officiellement ces dernières années.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Au début des années 1990, l’idée de son retour dans nos montagnes avait plutôt la cote, à en juger par les articles de presse de l’époque. Dans un article paru le 22 octobre 1992 dans le journal La Croix , on parle ainsi d’un « dossier de réintroduction bien avancé, impulsé par le parc naturel régional du Vercors et l’association Artus. »

Mieux encore, l’initiative est alors « soutenue par des hommes politiques comme le président du conseil général de l’Isère, Alain Carignon. »

Cela peut surprendre, quand on imagine l’hostilité que pourrait rencontrer un tel projet de nos jours. Là où le directeur du parc du Vercors de l’époque, Dominique Parthenay, estimait auprès de nos confrères que « l’ours valoriserait considérablement le massif et lui apporterait une image de pays privilégié où l’on vit en pleine nature, librement », la donne a désormais changé.

Pourquoi ? Pour certains, c’est le retour du loup entre-temps qui a rebattu les cartes. La prédation du canidé sur les troupeaux aurait desservi l’ours, faisant redouter des prélèvements similaires sur les troupeaux de la part du plantigrade.

A priori donc, aucune chance de voir remis sur les rails le projet amorcé en 1992. « Personne ne prendra la responsabilité de faire une réintroduction d’ours », nous glisse-t-on au Muséum de Grenoble.

Photo Flickr/Citizen59
Photo Flickr/Citizen59

Réintroduction ?

Si, on le rappelle, aucun projet de réintroduction d’ours dans les Alpes françaises n’est à l’ordre du jour, on peut se poser la question de la pertinence qu’aurait un tel dispositif. À ceux qui avancent que l’Homme ne doit pas s’immiscer ainsi dans la nature, Fabien Quétier, responsable du département “Paysages” pour l’association Rewilding Europe, a une réponse toute trouvée. « La question serait plutôt de se demander si les humains ont une forme de responsabilité à réparer ce que l’on considère peut-être comme des erreurs. »

Une analyse qui se prête totalement, selon lui, au cas du plantigrade. « L’ours n’a pas disparu, il a été éliminé, exterminé de manière volontaire. Aujourd’hui, on se rend compte qu’on est peut-être allé trop loin en éradiquant systématiquement la faune et la flore. »

« Une réintroduction, ce n’est pas anodin » « Ce n’est pas aux gens qui voudraient réintroduire l’ours de justifier pourquoi ce serait intéressant. Il faut se demander quelle serait la bonne raison de ne pas le faire. » Ce qui ne signifie pas pour autant que Rewilding travaille à un programme sur le sujet.

Et pour cause, « malgré tout, une réintroduction, ce n’est pas anodin », estime Fabien Quétier. « Il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme et ne pas faire du lâcher d’ours le tout et pour tout de ce qu’est une réintroduction. Il faut regarder comment l’espèce peut s’insérer dans le territoire. »

« Du point de vue écologique, mais ce n’est souvent pas ça l’obstacle, et du point de vue social et politique. Et être assez clair sur l’objectif et le nombre d’individus pour que la population soit viable. »

Reste évidemment la question de l’impact d’un retour de l’animal. D’un point de vue environnemental, l’ours pourrait être bénéfique. « Il mange beaucoup de végétaux et, en se déplaçant, joue un rôle important dans le transport de graines grâce à ses excréments. »

« Les ours ont aussi un rôle de perturbation car ils sont un peu brouillons quand ils s’alimentent. Ils cassent les branches, arrachent toutes les feuilles pour manger quelques baies : un effet assez analogue à celui des bisons, des chevaux ou des vaches. Cela crée des micro-habitats dans lesquels d’autres espèces vont pouvoir s’épanouir. »

 

Les activités humaines impactées  ?

À titre d’exemple, dans les Pyrénées françaises, l’OFB a dénombré 310 attaques d’ours sur du bétail en 2024, et 14 sur des ruchers. « Il est plus facile de protéger un troupeau d’un ours que d’un loup », explique Fabien Quétier.

« Après, les troupeaux ne peuvent pas toujours être derrière une clôture électrique. Et il y a aussi les dérochements, quand les animaux prennent peur, ils fuient comme un seul homme et tombent de la falaise. Ce n’est pas l’ours qui les tue, mais les pertes lui sont attribuées. »

D’un point de vue économique, enfin, certains estiment que les ours peuvent engendrer une dynamique touristique intéressante. « Dans les Abruzzes, ils sont une des attractions touristiques, les gens vont là-bas pour les voir », estime Fabien Quétier.

« À Rewilding, on promeut un tourisme axé sur la faune, la flore et les milieux riches. Certaines régions d’Europe ont réussi à le faire, d’autres peu ou mal. Le Vercors n’est pas si mal de ce point de vue là. Beaucoup d’espèces y ont été réintroduites : marmottes, bouquetins, vautours… L’attrait touristique du Vercors serait moindre sans toutes ces espèces. »

Article issu du Dauphiné Libéré

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